Projet de loi 67: les sérieuses réserves des omnipraticiens

L’incompréhension est de mise à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). Alors que le projet de loi 67 visant l’élargissement de certaines pratiques professionnelles dans le domaine de la santé et des services sociaux va avoir un impact sur la première ligne de soins et son organisation, «pourquoi ne pas entendre la voix des médecins?» interroge la FMOQ. Le Collège des médecins du Québec (CMQ) a certes été invité en commission parlementaire pour commenter le PL67, mais elle déplore que les deux fédérations de médecins n’y aient pas été conviées.Pour son président, le Dr Marc-André Amyot, cette non-invitation signifie que le gouvernement ne saisit pas l’importance des omnipraticiens. «On est les plus importants dispensateurs de soins en première ligne. C’est nous qui vivons les difficultés d’accès au quotidien. On l’a donc pris avec déception. C’est le signe que l’on veut retirer aux médecins de famille l’importance qu’ils ont», estime-t-il en entrevue avec Profession Santé.«Nous désirons rappeler au gouvernement son obligation constitutionnelle de négocier tout changement aux conditions de pratique des médecins du Québec. L’élargissement des professions du domaine de la santé affectera la façon de faire de tous les intervenants en première ligne, dont les médecins. La FMOQ aurait dû être consultée avant la rédaction de ce projet de loi ou, à tout le moins, lors des commissions parlementaires.» — conclusion du mémoire de la FMOQ présenté à la commission des institutions Faute d’avoir pu s’exprimer devant les députés de la commission des institutions, la FMOQ leur a remis un mémoire de 29 pages dans lequel elle formule plusieurs inquiétudes. En préambule, elle affirme ne pas s’opposer à l’interdisciplinarité ni à un élargissement du champ de pratique de certains professionnels. Cependant, «ces changements doivent impérativement se faire de façon contrôlée entre les ordres professionnels, afin d’assurer une clarté des rôles et des responsabilités de chaque professionnel dans le cadre d’une consultation unique ou encore, d’une prise en charge longitudinale», indique la Fédération.Risque de doublonsSa crainte est qu’en permettant aux infirmières cliniciennes, aux psychologues, aux conseillers d’orientation, aux sexologues et aux orthophonistes de poser certains diagnostics en santé mentale, le PL67 entraîne des dédoublements de service. Pour la FMOQ, plusieurs troubles mentaux, sexuels ou de langage sont un mélange de dysfonctionnements de différents systèmes du corps humain. Ils peuvent également être causés par une mauvaise interaction entre ces systèmes, dont seuls les omnipraticiens détiendraient l’expertise pour en comprendre les rouages. «Les personnes affectées de telles conditions médicales vont-elles finir par revenir dans le cabinet du médecin après une consultation initiale ailleurs?», se demande la Fédération.Autre exemple cité dans son mémoire, celui des conseillers d’orientation qui ne pourront pas demander un examen complémentaire pour affiner leur diagnostic ou prescrire un traitement quand ils l’auront posé. Dans ce cas-ci, «le patient va devoir consulter un médecin qui devra alors procéder à une nouvelle évaluation pour enfin prescrire le bon traitement avec une ordonnance le cas échéant», anticipe la FMOQ, qui en déduit que «l’objectif de la loi n’est donc pas atteint». La présidente du Conseil du trésor et ministre responsable de l’Administration gouvernementale, Sonia Lebel, comme le président du CMQ, le Dr Mauril Gaudreault, ont toutefois annoncé que le PL67constituait «un premier pas» et que, dans un second temps, les infirmières cliniciennes, les psychologues, les conseillers d’orientation, les sexologues et les orthophonistes pourraient être autorisés à prescrire après avoir posé un diagnostic en santé mentale.Le Dr Amyot rappelle cependant que «le geste de prescrire, ce n’est pas juste un problème égal un médicament. Il faut connaître la pharmacologie, les éventuelles interactions médicamenteuses, c’est assez complexe. Il ne faudrait pas banaliser cette complexité. On ne traite pas une pathologie. On traite un patient dans son ensemble», affirme-t-il avec conviction.Le président de la FMOQ précise dans la foulée que les médecins de famille «n’ont pas besoin de gens qui viennent faire leur travail à leur place. On a besoin d’aide pour faire notre travail», nuance-t-il en ajoutant que le succès du PL67 passe nécessairement par l’élaboration d’un plan d’intégration des soins identifiant les différentes trajectoires à suivre selon la condition d’un patient. Lire aussi: Nouveaux pouvoirs aux professionnels de la santé: un pas de plus en faveur l’interdisciplinaritéLes pharmaciens en conflit d’intérêtsL’autre enjeu soulevé par le mémoire de la Fédération concerne les nouvelles compétences qui seraient accordées aux pharmaciens communautaires. En l’état actuel du projet de loi 67, ils pourront prescrire de leur propre chef des médicaments pour traiter certaines maladies courantes, telles les infections urinaires, la conjonctivite ou la pharyngite, leur liste complète devant être établie plus tard, par règlement. Ils pourront aussi prescrire un médicament à leurs patients déjà diagnostiqués de diabète ou d’hypertension quand leur condition est stable. Enfin, les pharmaciens seront autorisés à effectuer des prélèvements, par exemple pour détecter puis traiter un streptocoque de type A dans la gorge.Le pouvoir de prescrire accordé au pharmacien «le place en position de conflit d’intérêts entre ses intérêts financiers personnels et ceux de la population», considère la FMOQ dans son mémoire. «Autrefois, les médecins avaient le droit de vendre des médicaments à leurs patients», rappelle pour sa part le Dr Amyot. «Or le conflit d’intérêts a été le motif invoqué pour nous retirer ce droit. Qu’est-ce qu’il y a de différent avec le pharmacien?» se demande-t-il, en se contentant de soulever cet enjeu. Par ailleurs, la FMOQ mentionne que les pharmaciens n’ont ni la formation, ni le temps, et peu ou pas de local pour procéder à une évaluation physique ou mentale d’un usager. «De plus, ils n’ont pas accès aux DMÉ et à l’historique médical des patients.» Selon la Fédération, il est donc «questionnable sur les plans éthiques et professionnels de conférer aux pharmaciens le pouvoir de diagnostiquer des maladies sans véritable examen ni consultation du DMÉ du médecin traitant, pour ensuite, leur permettre de vendre les médicaments reliés à ce diagnostic».D’autant plus que l’«on a appris la semaine dernière que nombre de pharmacies réduisent leurs horaires d’ouverture», signale le Dr Amyot. «On leur en donne plus, mais les pharmaciens ne peuvent pas en prendre plus. Ils ont déjà beaucoup de responsabilités avec la loi 41 dont ils n’ont pas encore développé le plein potentiel», souligne le président de la FMOQ. Cette dernière insiste sur la nécessité de s’assurer de la complémentarité des soins et de leur intégration pour éviter les silos qui sont contre-productifs, tant pour les patients que pour les professionnels de la santé.Lire aussi: «31, 41, 67, pis quoi encore…»L’enjeu de la propriété des cliniques médicalesLe dernier point évoqué par le mémoire de la Fédération a déjà été mis de l'avant lors de l’étude du projet de loi 15, mais il lui semblait nécessaire de le réitérer dans le cadre du PL67, car «cela ne semble pas être une priorité du gouvernement», constate le Dr Amyot. Il s’agit de la gestion des cliniques médicales par des non-médecins qui prendrait de l’ampleur au Québec et dans le reste du Canada.«Pourquoi faut-il être pharmacien pour détenir une pharmacie? Pourquoi faut-il être radiologiste pour détenir un laboratoire d’imagerie médicale? Le même critère devrait s’appliquer aux cliniques médicales», affirme le président de la Fédération en mentionnant les potentiels risques pour la qualité des soins, la confidentialité des données de santé des patients, etc.En commission sur le PL67, le président du CMQ avait également abordé cet enjeu. Il a insisté sur l’encadrement des sociétés privées fournissant des soins de santé, qui, n’étant pas inscrites au registre de du Collège, ne sont pas tenues de respecter les normes professionnelles, qu’il s’agisse d’environnement de travail, de publicité ou de facturation. Le Dr Mauril Gaudreault avait notamment signifié que le Collège avait «dû entamer des procédures judiciaires pour avoir accès à des dossiers de patients contenus dans des dossiers médicaux électroniques, propriété de cliniques médicales détenues par des gens d’affaires.»

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