Produits de santé naturels: un projet de loi fédéral veut revoir leur surveillance

Article mis à jour le 20 décembre 2024 avec les déclarations de Jean-François Desgagné.Les produits de santé naturels (PSN), accessibles en vente libre, sont utilisés par plus de 7 Canadiens sur 10 pour prévenir ou traiter une maladie, réduire un risque pour leur santé ou maintenir une bonne santé. Alors que leur mise sur le marché et leur usage est réglementé depuis 2004, un nouveau projet de loi fédéral – le PL C-368, porté par le député conservateur Blaine Calkins –, propose de modifier la Loi sur les aliments et drogues afin que les PSN ne soient plus considérés comme des produits thérapeutiques et donc plus soumis au même régime de surveillance que les autres médicaments. Malgré l'opposition de plusieurs professionnels de la santé et de la santé publique, la Chambre des communes du Canada a statué le 28 novembre dernier de laisser le projet de loi C-368 poursuivre son cours au Sénat, indique l’Association canadienne des centres antipoison dans un communiqué. Plus de surveillance après la mise en marchéUne très mauvaise nouvelle qui pourrait mettre les consommateurs en danger, alerte l’Association canadienne pour les centres antipoison et la toxicologie clinique. «Nous sommes très préoccupés par ce projet de loi C-368, dont l’implication concrète sera la fin des mécanismes de surveillance de mise en marché pour les produits de santé naturels et qu’il n’existera plus de leviers légaux pour retirer les produits jugés dangereux», souligne la Dre Maude St-Onge, directrice médicale du Centre antipoison du Québec (CAPQ) et porte-parole francophone pour l’Association canadienne des centres antipoison.Si le projet de loi est adopté par le Sénat, il s’agirait d’un très gros pas en arrière pour cette toxicologue, car «on sait que les produits de santé naturels peuvent être liés à des effets adverses graves et des interactions médicamenteuses.» Un risque à ne pas prendre à la légère, alors que les PSN gardent une image de produits bénins et sans danger auprès de la population. «Souvent, les gens ont l’impression que, parce que c’est naturel, ce n’est pas dangereux, observe la Dre St-Onge. Mais les substances qui proviennent des plantes sont comme des médicaments à nos yeux, et peuvent entraîner des effets indésirables.» Un constat partagé par le président de l'Ordre des pharmaciens (OPQ) Jean-François Desgagné. «Cela nous ferait reculer sur certains acquis obtenus en 2023 concernant l'homologation des PSN. C'est une occasion manquée pour la protection du public, ça libéralise ce marché alors qu’on devrait augmenter certains contrôles», souligne-t-il, tout en croyant peu probable que ce projet de loi «particulier, sans être catastrophique» soit adopté – d'autant plus compte tenu du contexte politique fédéral actuel. À lire aussi: C’est une évidenceSelon les dernières données de Santé Canada, 12% des utilisateurs de produits de santé naturels ont rapporté avoir ressenti des effets indésirables. En 2018, les intoxications involontaires ont impliqué 79 231 consultations aux départements d'urgence d’après les centres antipoison.La toxicologue prend pour exemple les extraits de thé vert associés avec des atteintes hépatiques, même à dose thérapeutique. «Santé Canada surveille ces produits de près et a changé les normes sur l'étiquetage, mais si la prévalence augmente, on pourrait aujourd’hui retirer le produit du marché.» D’autres substances sont liées à des interactions médicamenteuses, comme le millepertuis qui présente un risque de toxicité et de syndrome sérotoninergique s’il est associé à des médicaments antidépresseurs, ou encore l’ail et le ginkgo biloba qui présentent un risque de problèmes de coagulation s’ils sont associés avec la warfarine. En outre, certaines substances vendues comme produits de santé naturels ne contenaient pas du tout les ingrédients indiqués sur l’étiquette, voire qui contenaient des médicaments, ajoute la toxicologue. Ainsi, «des herbes contre les allergies étaient imbibées de diphenhydramine [un antihistaminique]. C’est sûr que c’est efficace, mais ça reste un médicament. On a aussi des produits énergétiques qui contenaient des hormones thyroïdiennes par exemple.»«Les étagères des pharmacies sont remplies de ce genre de médicaments dont l’intérêt thérapeutique est plus que douteux, qu’il s’agisse de pilules pour la perte de poids, de produits d’hygiène féminine ou encore de traitements homéopathiques», dénonçait, en mars dernier, Jean-François Desgagné auprès de Profession Santé. «Une compagnie peut prétendre n’importe quoi, surtout pour les médicaments liés à la perte de poids. C'est à la limite du scandale», réitère-t-il aujourd'hui. Les recommandations de l'OPQ en matière d'encadrement et de réglementation des produits de santé naturels sont attendues début 2025, dans le cadre du Projet Cohérence. «Si on ne les vend pas en pharmacie, d'autres personnes avec moins de scrupules s'en chargeront», craint-il.Les professionnels de la santé appelés à la vigilanceTout en espérant que leur action fasse pression sur les institutions et contrecarre l’adoption du texte de loi, les membres de l’Association comptent sur l’implication des professionnels de la santé afin de sensibiliser leurs patients et de communiquer toute interaction médicamenteuse ou tout effet indésirable grave auprès de Santé Canada.«Tout professionnel de santé en centre hospitalier est tenu de signaler les effets indésirables associés aux médicaments mais également aux produits de santé naturels», rappelle la Dre St-Onge. Cette déclaration obligatoire doit se faire à travers ce formulaire. «Suite à une déclaration d’effets indésirables, Santé Canada a le devoir d’agir et dispose de leviers légaux pour retirer les produits problématiques», précise la directrice médicale du CAPQ. Selon elle, environ 700 déclarations ont été faites depuis l’introduction de la Loi visant à protéger les Canadiens contre les drogues dangereuses, ou loi de Vanessa en 2023. L’autre levier est la bonne volonté des professionnels de la santé eux-mêmes – et pas seulement en milieu hospitalier. Actuellement, les pharmaciens communautaires ne sont par exemple pas tenus de déclarer les effets indésirables associés aux PSN via le formulaire prévu par la loi, indique la Dre St-Onge. Ces derniers peuvent donc le faire de leur propre chef via une plateforme de signalement mise en ligne sur le site de Santé Canada. «Si ce projet de loi passe, ça va être d’autant plus important pour les pharmaciens communautaires, ainsi que tous les autres professionnels de la santé, de faire ce signalement. Ce sera le seul mécanisme de surveillance post-mise sur le marché», alerte la clinicienne. Les professionnels et le grand public peuvent aussi, en tout temps, se tourner vers le CAPQ afin de signaler un événement indésirable ou obtenir des conseils de prise en charge, rappelle-t-elle. Reste que les professionnels manquent souvent de ressources sur ces produits de santé naturels, malgré la réglementation actuelle. «Il y a une bonne part d’inconnu, confirme la Dre St-Onge. Donc c’est parfois difficile de conseiller un patient et de bien évaluer les risques.» Ce que confirme Audréé Elliott, pharmacienne au CIUSSS de la Capitale Nationale et au CAPQ. «Les pharmaciens communautaires ont des ressources comme le Natural Medicine Database, mais tous les PSN n’y figurent pas, à l'image des remèdes traditionnels. Ce qui rend difficile l’évaluation des interactions médicamenteuses.»Enfin, la responsabilisation du grand public est un atout à ne pas négliger, à travers des conseils notamment. «Notre priorité est que les gens, s’ils font le choix de consommer ce genre de produits, puissent le faire de manière sécuritaire», rappelle la directrice médicale du CAPQ.

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