Prévention secondaire de l'ischémie myocardique chez la personne âgée : effet similaire de l'atorvastatine à haute dose et de la pravastatine à dose modérée

Médecine interne Marie-France Dubeau Critique et pratique fait école. Des résidents de première année en spécialité de l’Université Laval ont rédigé un résumé critique d’un article récent d’intérêt dans leur domaine. Le responsable du cours d’apprentissage de la lecture critique, le Dr Michel Cauchon, a invité des cliniciens enseignants en spécialité et en médecine familiale à collaborer à la révision de ce travail de synthèse. Quelques-uns de ces travaux seront publiés au cours des prochaines semaines. Manon Robitaille Article de référence Deedwania P, Stone PH, Merz NB, Cosin-Aguilar J, Koylan N, Luo D, et coll. Effects of intensive versus moderate lipid-lowering therapy on myocardial ischemia in older patients with coronary heart disease : results of the study assessing goals in the elderly(SAGE). Circulation, février 2007; 115: 700-7. RÉSUMÉ Objectif Comparer l’efficacité de l’atorvastatine(Lipitor)à 80 mg/jour à celle de la pravastatine(Pravachol)à 40 mg/jour à réduire l’ischémie myocardique chez les personnes âgées ayant une maladie coronarienne athérosclérotique(MCAS)stable. Conception Essai clinique randomisé à double insu. Contexte Étude menée dans 192 sites répartis dans 16 pays. Participants Parmi 4852 individus, 893(18 %)âgés de 65 à 85 ans avec antécédents de MCAS, cholestérol LDL entre 2,6 et 6,5 mmol/l et au moins un épisode d’ischémie myocardique de trois minutes ou plus lors d’un monitorage ambulatoire d’ECG de 48 heures. Les patients avec fibrillation auriculaire ou insuffisance cardiaque de classes III ou IV(NYHA)ont été exclus. Interventions Les participants ont été répartis aléatoirement pour recevoir de l’atorvastatine à 80 mg/jour(n = 446)ou de la pravastatine à 40 mg/jour(n = 447). Principales mesures de résultats La principale était le changement absolu de la durée totale d’ischémie myocardique lors du monitorage ambulatoire d’ECG à 12 mois. Les secondaires comprenaient les changements absolu et relatif de la durée totale et du nombre d’épisodes d’ischémie myocardique ainsi que du fardeau ischémique à 3 et 12 mois; la proportion de patients sans épisode d’ischémie à 3 et 12 mois; le changement relatif à 3 et 12 mois du bilan lipidique; l’incidence et le délai de survenue d’événements cardiovasculaires aigus graves(mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde, arrêts cardiaques avec réanimation, revascularisation coronarienne, AVC, hospitalisation pour angine instable). L’incidence de mortalité toutes causes a été évaluée post hoc. Résultats Parmi les 893 patients randomisés, 377 du groupe atorvastatine(85 %)et 374 du groupe pravastatine(84 %)ont terminé l’étude. Respectivement, 408(92 %)et 396(89 %)ont été inclus dans l’analyse d’efficacité. Une réduction de la durée totale d’ischémie myocardique a été notée à 3 et 12 mois pour les deux traitements(p < 0,001), sans différence significative entre les deux groupes(p = 0,88). Les groupes ne se distinguaient pas quant aux paramètres secondaires, sauf pour le bilan lipidique. Alors que le groupe atorvastatine expérimentait une réduction statistiquement significative du cholestérol total, LDL-C, triglycérides et apolipoprotéines B par rapport au groupe pravastatine, ce dernier présentait une augmentation statistiquement significative du HDL-C par rapport au groupe atorvastatine. Les événements cardiovasculaires majeurs étaient moins fréquents dans le groupe atorvastatine à 12 mois, mais la différence n’était pas statistiquement significative(hazard ratio [HR] 0,71; IC 95 % 0,46-1,09). La mortalité toutes causes a été plus faible dans le groupe atorvastatine(1,3 % [6 décès] vs 4 % [18 décès]; HR 0,33; IC 95 % 0,13-0,83). L’incidence d’effets secondaires et de retraits subséquents de l’étude ont été similaires. Toutefois, plus d’anomalies des enzymes hépatiques ont été retrouvées dans le groupe atorvastatine(p < 0,001). Conclusion L’atorvastatine à 80 mg/jour et la pravastatine à 40 mg/jour réduisent la fréquence et la durée d’ischémie myocardique de façon équivalente. La première pourrait réduire la mortalité toutes causes et les événements cardiovasculaires graves, comparativement à la seconde. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude L’utilisation de hautes doses de statines(la thérapie dite « intensive »)a été associée à une réduction modeste des événements cardiovasculaires comparativement à des doses plus faibles dans des populations générales de patients ayant une MCAS stable ou un syndrome coronarien aigu. 1 Importance des résultats La mesure principale était la réduction de l’ischémie myocardique. À 3 et 12 mois, la réduction absolue de la durée totale de l’ischémie myocardique était significative dans les deux groupes sans qu’aucun traitement ne se démarque. Environ la moitié des participants n’avaient pas d’ischémie myocardique à 12 mois quel que soit le groupe d’étude. Aucune différence statistiquement significative des paramètres d’efficacité secondaires n’a été notée entre les groupes, sauf pour l’importance des changements des paramètres lipidiques(un résultat intermédiaire). Enfin, une intrigante diminution de la mortalité toutes causes favorise l’atorvastatine à haute dose, quoique l’on puisse s’interroger sur la valeur réelle de ce résultat. Le nombre de décès est faible, et cette analyse n’était pas prévue dans le protocole au départ. La fréquence d’effets indésirables, particulièrement les myalgies, a été similaire dans les deux groupes. Critique de la méthodologie Même s’il s’agit d’un essai clinique randomisé à double insu, plusieurs points faibles mettent en doute la pertinence clinique, la validité et les résultats. La pertinence clinique de l’étude est limitée par le choix de l’ischémie myocardique mesurée par Holter ambulatoire comme mesure principale des résultats. C’est une mesure intermédiaire des événements cardiovasculaires. La validité de cette approche et sa concordance avec les événements cardiovasculaires ne sont pas encore clairement établies. La pertinence est aussi limitée par le choix des traitements. Le but étant de comparer thérapies intensive et modérée, le même médicament à des doses différentes aurait dû être employé. La validité des résultats peut également être mise en doute. Le processus et le contexte de sélection des patients(lieu, année)sont vagues. Le processus de randomisation n’est pas décrit. Même si les groupes semblent assez comparables, des renseignements sur la médication des participants auraient été utiles pour parfaire notre jugement à cet égard. La méthodologie précise que l’analyse du paramètre d’efficacité principal respectait le groupe d’assignation, et la proportion des patients randomisés inclus dans cette analyse, semblable dans les deux groupes, a été d’environ 90 %. Les auteurs indiquent toutefois que pour la mesure à 12 mois, ils ont assigné la dernière mesure disponible aux patients qui n’ont pas terminé l’étude. Cette approche(controversée!)a été appliquée chez environ 6 % des patients. Finalement, le financement de l’étude par Pfizer laisse planer un doute quant à un certain conflit d’intérêts pour l’interprétation des résultats. Mise en perspective selon l’état des connaissances Quelques études ont montré un bénéfice d’une thérapie intensive aux statines sur les événements coronariens combinés, mais non sur la mortalité totale, à la suite d’un syndrome coronarien aigu ou d’une MCAS stable(1). Cette étude a utilisé l’ischémie myocardique comme mesure de l’efficacité d’une statine à haute dose versus à dose modérée afin de montrer que les hautes doses pourraient être favorisées chez les personnes âgées. Pourtant, une étude antérieure avait montré que même si l’ischémie myocardique peut être prévenue par l’utilisation de statines, le type et la dose(atorvastatine 80 mg/j ou lovastatine 40 mg/j)ne semblent pas associés à cet effet(2). Compte tenu des limites de cette étude, l’efficacité de hautes doses de statines comparativement à des doses modérées reste donc encore à prouver chez la personne âgée. Par contre, les craintes soulevées quant à l’utilisation des statines à hautes doses chez les personnes âgées semblent peu appuyées par les données. Références 1. Cannon CP, Steinberg BA, Murphy SA, Mega JL, Braunwald E. Meta-analysis of cardiovascular outcomes trials comparing intensive versus moderate statin therapy. J Am Coll Cardiol, 2006; 48:438-45. 2. Stone PH, Lloyd-Jones DM, Kinlay S, Frei B, Carlson W, Rubinstein J, et coll. Effect of intensive lipid lowering, with and without anti-oxidant vitamins, compared with moderate lipid lowering on myocardial ischemia in patients with stable coronary artery disease : the vascular basis for treatment of myocardial ischemia study. Circulation, 2005; 111:1747-55. CONTRIBUTION À LA PRISE DE DÉCISION CLINIQUE L’étude SAGE ne permet pas de faire un choix probant quant au type et à la dose optimale de statines à prescrire aux patients âgés souffrant de MCAS stable.

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