Prescription et administration de nouveaux médicaments: la pratique sage-femme grandit au Québec

Un (petit) pas de plus vers la reconnaissance. Cette semaine entrera en vigueur le nouveau Règlement sur les médicaments qu’une sage-femme peut prescrire ou administrer, fruit d’un travail de deux ans et d’un combat de plusieurs décennies pour cette profession toujours sous-représentée et peu accessible au Québec. À partir de jeudi, soit 15 jours après sa publication dans la Gazette Officielle, les sages-femmes seront donc habilitées à prescrire de l’acide tranexamique pour le traitement des hémorragies postpartum, mais aussi à prescrire et à poser des stérilets et des implants contraceptifs. Ces nouvelles activités professionnelles peuvent être exercées durant la grossesse, l’accouchement et jusqu’à six semaines en post-natal ou post-IVG. Cinq ans après l'obtention du pouvoir de prescrire et d'utiliser non plus une liste de médicaments spécifiques, mais des catégories de médicaments, ce règlement est une nouvelle victoire pour la présidente de l’Ordre des sages-femmes du Québec (OSFQ), Julie Pelletier. «Même s’il s’agissait de nouvelles possibilités pour les sages-femmes, le précédent règlement de 2020 n’incluait pas l’acide tranexamique pour le traitement des hémorragies post-natales. C’est ce qui a déclenché les réflexions pour le modifier de nouveau», explique-t-elle. À lire aussi: Les infirmières, sages-femmes et doulas peuvent aider pour la santé mentale des mèresL’Ordre a également profité de l’évolution rapide de la pratique des sages-femmes à travers le monde, notamment en matière de contraception, pour actualiser ce volet du même coup. «En 2020, les sages-femmes ont pu accéder à la prescription des anovulants, mais elles ne pouvaient pas procéder à l'installation des stérilets et des implants contraceptifs», rappelle Julie Pelletier. Ce changement relatif à la contraception a également été motivé par les témoignages de femmes des Premières Nations, qui privilégient bien souvent le contact avec une sage-femme pour gérer leur santé sexuelle et reproductive, surtout en région éloignée.Malgré cette avancée concrète, deux bémols subsistent, tempère Julie Pelletier. «Ça nous a pris presque deux ans pour ajouter un médicament pour traiter les hémorragies à la liste de ceux que nous pouvons prescrire. Mais la science évolue si rapidement que d’autres médicaments vont arriver sur le marché, et qu’ils pourraient ne pas être inclus dans les catégories qui nous sont aujourd’hui accessibles. On risque de ne pas pouvoir offrir les meilleurs services aux patientes, selon les données probantes.» Le deuxième est la limite de suivi à six semaines post-natal, qui n’a plus lieu d’être selon Julie Pelletier. Bien que cet élargissement de leur pratique soit une excellente nouvelle pour les femmes de la province, notamment en région éloignée où les sages-femmes sont parfois les seules soignantes accessibles pour les soins de santé sexuelle et reproductive, il reste limité dans le temps. Ce seuil des six semaines, pourtant absent de la Loi sur la pratique des sages-femmes dans le cadre de projets-pilotes de 1990, a été instauré dix ans plus tard sans que les raisons en soient particulièrement établies – était-ce en conformité avec la durée générale d’un épisode de soins? Était-ce parce que l’Ontario venait d’inscrire cette même durée dans sa propre législation? Était-ce en vertu d’une résistance très forte de la part du milieu médical et infirmier à l’arrivée des sages-femmes à l’époque? Des résistances persistantes de la part de certains professionnels de la santéToujours est-il que ces dernières doivent aujourd’hui composer avec ce seuil imposé, qui implique bien souvent une zone grise, explique Julie Pelletier. «Ça occasionne de drôles de situations, car nos rendez-vous sont parfois annulés, et on ne voit nos patientes que huit ou 10 semaines après leur accouchement… Comment compléter notre épisode de soin hors de notre capacité légale?» Les sages-femmes se retrouvent ainsi dans une situation acceptable, mais pénalisable, où elles choisissent de terminer leur suivi tout en sachant qu’elles n’en ont pas le droit selon la loi – un entre-deux inadmissible pour l’OSFQ.«On est complètement ailleurs aujourd’hui. Le Collège des médecins, l’Ordre des pharmaciens et des infirmières, tout le monde est d’accord pour ouvrir notre champ de pratique. Sauf que pour changer cette durée de suivi de six semaines post-natal, il faut changer la loi et donc convaincre le ministre.» C’est le grand défi de l’Ordre ces prochaines années, d’autant que les doléances à soumettre au gouvernement ne s’arrêtent pas là. Il s’agit surtout de revaloriser une profession sous-représentée, méconnue et victime de préjugés défavorables selon elle. «On a tellement dit à la population qu’il était presque impossible de trouver une sage-femme au Québec que dans certaines régions les listes d’attente débordent, et dans d’autres, la demande est quasi-nulle car les gens préfèrent ne pas essayer. La région de Laval demande des sages-femmes depuis 20 ans, sans succès», illustre la présidente de l’OSFQ. À cela s'ajoutent les réticences tenaces de certains professionnels de santé sur le terrain. «On ne les ressent pas au niveau de l’Ordre ni au niveau des associations, mais dans certaines régions, on observe une résistance, voire une méfiance, de la part de certains médecins de famille, gynécologues ou infirmières. Il y a une espèce de rivalité où chacun protège ses acquis, au détriment de la population.» Consultez: L'arrivée d'une sage-femme à Gaspé ouvre la porte à d'autres régionsDifficile en effet de ne pas voir la pratique sage-femme comme une concurrence, surtout dans les régions éloignées en manque de services de santé. «À la Baie des Chaleurs par exemple, il n’y a pas de gynécologue-obstétricien, donc les médecins de famille font des suivis de grossesse. C’est sûr que l’arrivée d’une ou plusieurs sages-femmes va diminuer cette activité. Mais il ne faut pas oublier que les sages-femmes ne font que ça, alors que les médecins de famille ont une expertise beaucoup plus large!», rappelle la présidente de l’OSFQ. Développer la pratique sage-femme à travers la province permettra selon elle de décharger les cabinets médicaux et infirmiers, d’améliorer l’accès ainsi que la santé post-natale et de diminuer le risque d’hospitalisation des nouveaux-nés notamment. «On doit devenir la porte d’entrée dans le système pour les femmes enceintes»Cette collaboration interprofessionnelle ne pourra toutefois être garantie que par une meilleure promotion de la pratique sage-femme auprès de la population. Plus cette dernière réclamera des soins différents, plus la pratique trouvera sa place dans le paysage des soins de santé au Québec. «On travaille fort pour augmenter le nombre de sages-femmes dans la province, mais il faut que le gouvernement ouvre des postes», ajoute la présidente de l'OSFQ. Actuellement, seule l’Université du Québec à Trois-Rivières propose un baccalauréat en pratique sage-femme. Elle devrait augmenter sa prochaine cohorte de 26 à 35 places. Mais la pénurie de sages-femmes, couplée à la baisse de la natalité dans la province, n’incitent pas les pouvoirs publics à promouvoir la profession. «Le gouvernement n’a jamais fait de planification des effectifs de sages-femmes au Québec», déplore Julie Pelletier. Un chantier qui serait toutefois amorcé, selon elle, tout comme les échanges de l’Ordre avec le ministre de la Santé Christian Dubé. Mais changer la loi prend du temps. «Nous essayons de contribuer autrement, via la santé publique notamment, avec un accès à la contraception pour tous ou le dépistage généralisé des ITSS.»Ne manquez pas: La santé sexuelle des femmes, entre tabou et manque d’accès aux soinsDes activités qui peuvent être initiées sans changement légal selon elle. L’Ordre réclame aussi des modifications dans les indicateurs de la pratique sage-femme dans le réseau, puisque ces dernières sont actuellement évaluées sur le nombre d’accouchements qu’elles réalisent par service. «Dans des régions à plus faible densité, on va s’occuper d’une population en grande vulnérabilité. On fera moins d’accouchements, mais on fournira beaucoup d’autres services. Sauf que ce ne sera pas suffisant pour le gouvernement, qui choisira de couper des postes.» Le nouvel interlocuteur qu’est Santé Québec pourrait-il permettre aux sages-femmes de la province d’obtenir des orientations claires et des ouvertures de postes? C’est en tout cas ce que Julie Pelletier espère aujourd’hui. «On est à une croisée des chemins, on doit être innovants.»

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