Pourquoi ils se sont tournés vers le privé

Le privé en santé se conjugue de différentes manières. Alors que des cliniciens choisissent de se désaffilier de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), d’autres vont prodiguer des soins couverts par le régime public, mais dans des établissements privés. Voici le portrait de deux médecins qui ont fait ces choix. Les centres médicaux spécialisés en renfort Copropriétaire et président de la clinique Chirurgie Dix30, le plus grand centre de chirurgies privé au Canada, le Dr Hugo Viens est d’avis que le privé peut cohabiter avec le public dans le réseau de la santé à condition que des professionnels de la santé en assurent la gestion et la supervision. Type de pratique : Chirurgien orthopédiste, le Dr Hugo Viens exerce au CISSS de la Montérégie-Centre. La grande majorité de son travail se déroule désormais en milieu hospitalier, mais il continue de voir quelques patients à la clinique. Il n’est pas désaffilié de la RAMQ. L’avantage de cette pratique : Selon le Dr Viens, la pratique en CMS n’est pas si différente à proprement parler de la pratique en milieu hospitalier. «La seule différence, c’est que la chirurgie a lieu dans un établissement qui n’est pas la propriété du gouvernement», dit-il. Comme les cas dirigés vers les CMS sont habituellement plus simples que ceux adressés à l’hôpital, les chirurgiens qui y exercent peuvent voir plus de cas par jour et augmenter leur présence au bloc opératoire. «Un chirurgien va toujours vouloir plus de temps opératoire! Ça permet aussi de diversifier sa pratique», ajoute-t-il. Dans le privé, les médecins sont aussi libres d’embaucher le personnel avec qui ils souhaitent travailler, ce qui contribue à améliorer l’esprit d’équipe. «Il est plus facile de créer un environnement de travail qui correspond à nos besoins», affirme le Dr Viens. Désavantage de sa pratique : Malgré son grand intérêt pour les chirurgies orthopédiques plus complexes, telles que les chirurgies de la colonne ou les arthroplasties totales de la hanche, le Dr Viens ne peut pas vraiment traiter ces cas en CMS, où l’on privilégie les cas plus simples et rapides. Par ailleurs, le fait de devoir exercer dans différents endroits peut occasionner des difficultés pour le chirurgien. «Il est plus facile de gérer une pratique lorsqu’elle se fait toujours au même endroit. Opérer dans un milieu auquel on n’est pas le plus habitué peut ajouter un stress supplémentaire», indique-t-il. Cohabitation privé-public : Se disant profondément attaché au réseau public, le Dr Viens met en garde contre les dérives potentielles en cas de recours accru au privé en santé. «Il faut que les médecins restent en contrôle de ce que le privé va être ou devenir dans la province afin d’éviter que les centres privés ne deviennent purement un “business”», avance-t-il. Pas question de mettre la rentabilité avant les services aux patients. Selon lui, si on compte accroître le nombre d’interventions réalisées dans le secteur privé, le modèle des CMS est à privilégier; on s’assure donc qu’il y aura un médecin nommé comme directeur médical, ou tout professionnel de la santé répondant aux règles déontologiques d’un ordre professionnel. «Les professionnels de la santé répondant à un ordre professionnel doivent être propriétaires de ces centres et deviennent en quelque sorte un rempart face à une dérive, comme celle qu’on a pu voir dans les CHSLD privés lors de la pandémie », prévient le médecin. Le Dr Jean-François Caron a l’entrepreneuriat dans le sang. Il a ouvert une clinique et un complexe médicaux désaffiliés de la RAMQ il y a près de 10 ans. Depuis qu’il exerce au privé, le médecin de famille considère qu’il peut davantage personnaliser les soins qu’il offre aux patients. Type de pratique : Après quatre ans de pratique comme médecin de famille en GMF et en résidence pour personnes âgées, le Dr Jean-François Caron sentait que, pour répondre aux besoins de ses patients, il devait s’entourer d’une équipe multidisciplinaire. «Avoir accès à des psychologues, des orthophonistes ou des sexologues dans le public, c’est très difficile. Lorsque je dirigeais mes patients vers d’autres professionnels, j’avais rarement des réponses ou des suivis», dit-il. Le médecin de famille a donc quitté sa pratique en 2012 pour entamer la construction du complexe médical Réjane-Durand, nommé en l’honneur de sa mère décédée d’un cancer, à Rosemère, où il souhaitait regrouper plusieurs professionnels de la santé sous un même toit. Peu de temps après, il y fondait la clinique médicale privée Humani, où il fait aujourd’hui du sans-rendez-vous et suit également des patients. L’avantage de cette pratique : Le plus grand avantage pour le Dr Caron est le temps qu’il peut consacrer à chaque patient. «Au public, il fallait passer 10 à 15 minutes avec un patient. Je considère que ce n’est pas assez. J’avais l’impression de faire du fast food médical», confie-t-il. Avoir plus de temps pour ses patients lui donne également le sentiment d’avoir une pratique plus humaine, puisqu’il peut personnaliser les soins et a moins l’impression de traiter les patients comme des «numéros». «Certains d’entre eux me disent qu’ils choisissent le privé, car ils pensent que les médecins sont meilleurs. Les médecins ne sont pas meilleurs, nous avons juste plus de temps», précise-t-il. Il ajoute qu’au privé la qualité du service rendu est très importante, car le patient pourrait décider de ne pas revenir s’il n’a pas aimé son expérience. «Au privé, nous n’avons pas le choix de mettre la qualité des soins en priorité, sinon nous n’aurons pas de patients», dit-il. Désavantage de sa pratique : Désaffilié de la RAMQ, le Dr Caron ne s’ennuie pas beaucoup de sa pratique au public. Il aimerait néanmoins pouvoir continuer à travailler dans des résidences pour personnes âgées. Or, le cadre réglementaire actuel l’en empêche. Le médecin soutient toutefois qu’il aimerait que le système de santé du Québec puisse rembourser certains frais aux patients qui consultent au privé, comme le font certains pays d’Europe. La RAMQ pourrait, par exemple, rembourser aux patients l’équivalent des frais de consultation, illustre-t-il. «Que ce soit mes patients qui me paient directement ou plutôt un organisme tiers, ça ne change pas grand-chose. Ce n’est pas ce qui est important pour moi. Ce qui m’importe, c’est la qualité de mes soins», assure-t-il. Cohabitation privé-public : Pour le Dr Caron, la cohabitation du privé et du public est essentielle, et les deux types de services peuvent travailler main dans la main. Au total, environ 15 000 patients sont pris en charge à la clinique Humani par les trois médecins de famille qui y exercent, dont le Dr Caron. Ce dernier explique que ce sont 15 000 patients de moins qui attendent d’avoir un médecin de famille. «Prendre en charge les problèmes des patients plus rapidement avant que leur état ne se dégrade s’ils sont dans l’attente d’un médecin de famille représente une économie de temps et de coûts pour le système de santé public. Cet argent est réinvesti au public et c’est la population qui en sort gagnante», estime le médecin de famille. Il souhaite également qu’à l’avenir les soins au public soient davantage axés sur les besoins des patients. Selon lui, la solution à une amélioration de l’accès aux soins de santé serait de décentraliser les soins dans de plus petits centres de gestion et qu’ils soient gérés un peu comme les établissements privés. «Il faut remettre les patients en priorité dans le système de santé, qu’ils soient vus rapidement et avec convivialité», croit-il.

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