Pour ou contre la médecine privée?

Notre bon ministre de la Santé, soucieux de régler les problèmes de son système de santé, vient d'accoucher d'une idée extraordinaire, soit celle d'empêcher les jeunes médecins d’exercer dans le secteur privé après leurs études afin de rentabiliser l’investissement des Québécois dans leur formation.Selon un article publié dans La Presse, 775 médecins – incluant des médecins de famille et des médecins spécialistes –, exercent exclusivement au privé. Si ma calculatrice ne me ment pas, sur un total de 22 479, on parle ici de 3,4 % du total des médecins1. Le ministre Dubé devrait relire la loi de Pareto. Ce que le ministre ne dit pas, c’est qu’en exerçant au privé, ces médecins rendent tout de même des services à la population. Le problème n'est pas là. Le problème est que pour avoir des services, les Québécois doivent payer de leur poche. Le ministre confond l’exode vers le privé et l’exode hors Québec.Comprenez-moi bien, je suis absolument en faveur d'un système de santé public, accessible, de qualité et abordable. Malheureusement, si j'ai la conviction que notre système de santé est de qualité, son accessibilité demeure problématique. Ce n'est pas une surprise, et le Québec n'est pas la seule province canadienne à vivre ce problème. Cela est aussi vrai ailleurs dans le monde. 16,7 millions de Français n'ont pas de médecin2. Cela sonne étrangement familier. Même chez nos voisins du Sud, on anticipe une pénurie de médecin et de professionnels de la santé d'ici l'année 20353.Au lieu de blâmer les médecins et les autres professionnels de la santé pour le manque flagrant de planification du réseau de la santé de tous les gouvernements occidentaux, il y aurait lieu de faire un bilan sérieux de la situation et mettre en place des solutions tout aussi sérieuses dénuées de biais politiques.Bien des démographes voyaient depuis très longtemps que les courbes démographiques annonçaient un vieillissement de la population, qui touche par ailleurs tout autant les professionnels de la santé. La moyenne d'âge des médecins spécialistes au Québec est de 49,4 ans, et celle des médecins de famille est de 47,4 ans. 158 médecins de plus de 80 ans sont toujours en pratique4 ! Il y a quelques années, la statistique officielle était qu’un médecin sur quatre avait plus de 60 ans5.Pour résumer, l'équation est simple: il y a plus de malades et moins de médecins.Plusieurs professions de la santé se sont féminisées et, règle générale, les femmes demeurent écartelées entre le travail et la famille et fournissent probablement moins d'heures travaillées que leurs prédécesseurs.La nouvelle génération a aussi compris qu’il y a autre chose dans la vie que le travail. Je caricature un peu, mais tout le monde aimerait bien travailler du lundi au jeudi, de 8 à 4. Les exigences du système de santé ET des patients ne sont malheureusement pas compatibles avec cet espoir.Plusieurs de mes collègues dans les spécialités chirurgicales se plaignent des heures d'ouverture trop brèves des blocs opératoires et du manque de personnel pour les soutenir. Ils sont les premiers à répondre aux offres des cliniques privées dotées de blocs opératoires modernes, bien équipés et avec du personnel. Après deux années à boiter en raison d’une hanche amochée, les Québécois qui ont des moyens acceptent l’offre de ces spécialistes enfin disponibles.Le tableau de bord de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec indique de son côté que 70,9% des infirmières et infirmiers du Québec travaillent à temps plein. Sur un effectif total de 82 381 infirmières et infirmiers, mobiliser ces ressources donnerait probablement plus d’oxygène au réseau de la santé que de viser le 3,4% des médecins qui choisissent le privé6.Bref, freiner l’exode au privé ne «prive» pas les Québécois de services. Elle les prive de leurs sous! Malheureusement pour eux, le gouvernement qui se plaint de cet exode va aussi économiser de l’autre main les frais des soins offerts au privé que le système public n’a pu offrir à temps. Quelque chose me dit que pour cette raison notamment, le projet de loi annoncé par le ministre Dubé ne verra peut-être jamais le jour.À ceux et celles qui disent que les médecins qui choisissent le privé le font seulement pour l’argent, je pense qu’il s’agit d’une demi-vérité. Plusieurs le font pour la disponibilité plus grande des plateaux techniques et pour une pratique de qualité hors des contraintes du système public. Une pratique de qualité, ça implique aussi une pratique qui tente de réduire le 25% du temps consacré à la paperasse7. Et certainement qu’un ministre qui veut des informations administratives rapidement, va vouloir des statistiques et des rapports, qui demanderont du temps et des ressources humaines, tant chez les fournisseurs de soins que chez les gestionnaires.Eh oui, il y a des médecins, des pharmaciens, des infirmières, des psychologues, etc., qui veulent faire de l’argent, parfois beaucoup.Les résidents en médecine crient à la discrimination. Cette discrimination s’ajoute déjà aux PREM (Plans régionaux d’effectifs médicaux) et aux AMP (Activités médicales particulières) qui imposent déjà des contraintes leur début de carrière8.La pharmacie est un bel exemple de système privé avec un financement mixte public-privé. Aucun système n’est parfait et on ne peut certainement pas affirmer que les honoraires du régime public pour la pharmacie communautaire ou que les salaires et les conditions de travail dans les départements de pharmacie sont à la hauteur. Mais, il y a là un système mixte qui fonctionne et qui offre des services aux Québécois. Source d’inspiration?Il me semble qu’il est temps de regarder les causes véritables aux problèmes d’accessibilité et de présenter des solutions concrètes et SIMPLES. Le modèle de la médecine privée est simplement un modèle qui comporte des valeurs d’attraction qui méritent d’être explorées pour que le système public en bénéficie et fonctionne mieux.PS: Monsieur le ministre, la loi ou principe de Pareto dit qu'environ 80 % des effets sont le produit de 20 % des causes9.Références:1 https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2024-11-03/secteur-prive-en-sante/quebec-veut-obliger-des-medecins-a-pratiquer-au-public.php2 https://www.tf1info.fr/sante/video-reportage-penurie-de-medecins-ces-francais-qui-font-plus-d-une-heure-de-route-pour-se-soigner-ou-renoncent-2320767.html3 https://evalcompany.com/fr/penurie-de-personnel-medical-aux-etats-unis-et-evaluations-internationales/4 https://lemedecinduquebec.org/archives/2014/3/etat-des-effectifs-medicaux/#:~:text=Les%20m%C3%A9decins%20de%20famille%20ont,moyenne%20de%2051%2C0%20ans5 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1832302/systeme-sante-depart-omnipraticiens-louis-godin6 Tableau de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec7 https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/le-15-18/segments/entrevue/419992/remplir-formulaire-assurance-remboursement-frais-billet-medecin8 https://fmrq.qc.ca/postes-pem-prem/medecine-familiale/activites-medicales-particulieres-amp/9 https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_Pareto

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Derrière ce blogue:

Marc Parent

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