Plus de 300 GMF au Québec: ça change quoi pour la première ligne?

Les ambitions du ministère de la Santé et des Services sociaux sont affichées. Gaétan Barrette estime que le Québec a besoin de 400 à 500 groupes de médecine de famille (GMF) et d’une cinquantaine de supercliniques pour offrir à la population une première ligne efficace.302 GMF au Québec, dont 40 accrédités au cours de la dernière année. Et bientôt 315. Trente mois avant l’échéance de son plan stratégique 2015-2020, le ministère de la Santé a atteint une de ses cibles. «C’est un grand succès», proclame Gaétan Barrette. «On a provoqué des changements avec la loi 20, et ça se concrétise sur le terrain», poursuit le ministre qui tient à saluer l’engagement des médecins de famille à changer de direction. «Ils veulent que ça marche, et c’est déjà un succès en soi», insiste-t-il, se disant «fier que ce modèle d'organisation des soins ait suscité un tel engouement».À la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), on rappelle que l’on a toujours soutenu ce modèle-là. «Les médecins de famille adhèrent vraiment à la pratique en GMF. Ils veulent travailler en groupe, avec d’autres professionnels de la santé, pour mieux organiser la prise en charge des patients. La hausse du nombre de GMF reflète cette volonté», indique Louis Godin, le président de la FMOQ, convaincu que celle-ci va se poursuivre dans les prochaines années.Dépendamment de leur taille, Gaétan Barrette estime qu’il faudrait «entre 400 et 500 groupes de médecine de famille pour couvrir tout le Québec», auxquels s’ajouterait une cinquantaine de supercliniques. Son postulat est le suivant: un GMF avec 10 médecins qui font de la prise en charge à temps complet, c’est 15 000 personnes suivies; un GMF avec des médecins qui pratiquent aussi à l’hôpital, c’est 10 000 personnes couvertes; quant aux GMF-réseau, ils devront réaliser au moins 20 000 consultations par an, dont plus de 80% réservées aux patients sans médecin. «La conjugaison des GMF et des supercliniques va nous permettre d’avoir une première ligne efficace», assure le ministre de la Santé. En la matière, le Dr Godin ne doute pas de l’impact des GMF. «Il est réel et concret, affirme-t-il. La pratique de groupe favorise l’accès aux soins, et l’interdisciplinarité permet un meilleur partage de la prise en charge et du suivi des patients.»Un apport discutable?Erin Strumpf, professeure à l'Université McGill et membre de l’Institut de recherche en santé publique de l'Université de Montréal, est plus sceptique. «On peut présumer que l’impact est effectif, car l’offre est élargie. Ce n’est pas pour autant que les besoins de la population sont satisfaits. L’essor des GMF permet certes d’atteindre un objectif en termes de structure, mais ça ne dit rien en termes d’accès à des soins de qualité ou d’économies générées à l’échelle du réseau de la santé.»Pour les avoir étudiés de près, la chercheuse souligne que «les GMF première génération n’ont pas changé grand-chose». Elle rappelle aussi que le rapport du Vérificateur général du Québec pour l’année 2015-2016 mentionnait que les GMF ne respectaient pas forcément les exigences du MSSS quant au nombre de patients inscrits et aux heures d’ouverture. Autrement dit, Mme Strumpf demande à voir, mais elle n’est «pas sûre que la multiplication des GMF soit si bénéfique que cela».Accès garanti, heures d’ouverture élargies, plus de patients suivis, Dominique Hotte, qui pratique elle-même au sein du GMF La cité médicale, à Montréal, juge que l’apport des groupes de médecine de famille est «globalement positif». Toutefois, la co-porte-parole du Regroupement des médecins omnipraticiens pour une médecine engagée (ROME) redoute un effet de vases communicants: «Les médecins en GMF et en supercliniques ne tombent pas du ciel. Ils vont devoir quitter une autre pratique. On constate déjà des ruptures de service dans plusieurs hôpitaux, avec des équipes fragilisées qui sont proches du burnout.» Plutôt que de superposer les structures, elle considère qu’il vaudrait mieux optimiser l’existant. «C’est déjà un peu mêlant pour nous, les médecins, et ça l’est encore plus pour les patients qui ne savent plus s’ils doivent consulter leur médecin de famille, se rendre dans un GMF ou aller à l’urgence.»«C’est sûr qu’il faut démystifier certaines choses et expliquer que le recours à l’urgence ne doit pas être systématique», convient Louis Godin. Selon lui, l’époque où les médecins n’étaient pas accessibles est en effet révolue. «Aujourd’hui, ils sont disponibles. Il faut le faire savoir à l’aide d’une grande campagne d’information, car les gens l’ignorent trop souvent.»

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