Projet de loi 130: les médecins de famille ne veulent pas devenir de «simples exécutants»

Les auditions de la Commission de la santé et des services sociaux sur le projet de loi 130 ont repris mardi. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a ainsi pu exposer au ministre de la Santé ses «préoccupations» concernant plusieurs articles. Son président, le Dr Louis Godin, a carrément demandé le retrait de l’article 7 qui associe des obligations de travail en première ligne à l’exercice des privilèges en établissement. Il a aussi discuté d’autres mesures qui toucheront l’organisation de la pratique médicale en établissement.Mais globalement, ce qui préoccupe le Dr Louis Godin, c'est l'accroissement des pouvoirs du ministre de la Santé. «Il centralise tout ce qui touche l’organisation du système de santé», a déploré le président de la FMOQ. Selon lui, cela va à l’encontre de tout ce qui se passe ailleurs, particulièrement dans les endroits où l’on a eu des résultats remarquables en organisation.Le Dr Godin voit aussi dans le projet de loi 130 un pas de plus vers un système dans lequel on éloigne des centres de décisions «des gens qui sont le plus près des patients», à savoir les médecins, les pharmaciens et les autres professionnels de la santé. «Ils deviennent des exécutants de ce qui peut être décidé au niveau central», souligne-t-il.Des articles problématiques L’article 7 du projet de loi permet de donner à un médecin qui a des privilèges dans un établissement des obligations à l’extérieur de cet établissement. Or, selon le Dr Godin, un CA d’établissement n’a pas les connaissances nécessaires pour décider de cela. De plus, les médecins qui ont travaillé en établissement à temps plein depuis de nombreuses années n’ont plus forcément les compétences nécessaires pour exercer en première ligne. «Il existe des règles très précises par le Collège des médecins sur les obligations qu’un médecin a lorsqu’il change de milieu de pratique après un certain temps pour aller en occuper un autre», a-t-il souligné devant les parlementaires.Louis Godin trouve également que le projet de loi va à l’encontre des ententes prises entre le ministre de la Santé et la FMOQ, notamment en ce qui concerne la gestion des PREMs ou des activités médicales. «Ce qui était écarté par cette entente est remis en place par le projet de loi 130», assure-t-il.La FMOQ voudrait aussi que l’article 18 soit modifié. Tel qu’il est rédigé actuellement, il réduit le rôle du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP). Alors que ce dernier pouvait faire des recommandations sur le plan d’organisation d’un établissement, il n’aura plus qu’un rôle de consultant, ce qui «fera perdre une expertise dont les patients bénéficient».Le Dr Godin estime aussi qu’il existe déjà dans la Loi sur les services de santé et des services sociaux «tous les articles et les outils nécessaires pour permettre de bien baliser quelles sont les obligations d’un médecin», et qu’il est donc inutile de donner au ministre la possibilité de modifier de façon unilatérale les obligations des médecins, comme le propose l’article 27. Le ministre de la Santé ne devrait pas non plus s’arroger le pouvoir d’approuver et de modifier les règlements de chaque département régional de médecine générale (DRMG), des conseils d’administration des établissements et des CMDP, comme le lui permettra l’article 36.Selon le président de la FMOQ, l’implication des professionnels de la santé est «un gage de succès». «L’approche coercitive et centralisatrice» du projet de loi 130 conduira donc a encore plus de «démotivation et de désorganisation, ce qui a déjà beaucoup été amené par la Loi 20 et la Loi 10».Le ministre Barrette s’attendait bien entendu à ce que la FMOQ se positionne contre son projet de loi. Il a cependant essayé de convaincre le Dr Godin que ses projets de loi n’avaient rien à voir avec une volonté de concentrer le pouvoir entre ses mains. Pour lui, utiliser la voie législative était le seul moyen de faire évoluer la situation.Centraliser pour mieux délocaliser«C’est un pouvoir qui émane du gouvernement proposé par le ministre de la Santé, bon c’est moi, mais exercé de façon locale avec votre participation, que je souligne», a-t-il fait la leçon au président de la FMOQ, ne pouvant s’empêcher au passage de lui faire remarquer sa participation au processus et le félicitant de savoir convaincre ses membres «d’aller dans la bonne direction qui est celle du bénéfice des citoyens».Gaétan Barrette affirme que les statistiques montrent que les médecins québécois ont adopté l’accès adapté seulement en raison de la Loi 20. «Un succès de votre part, mais provoqué de mon côté», a t-il affirmé au Dr Godin, ajoutant qu’avant le dépôt de ce projet de loi, la tendance allait dans l’autre direction: «20 était nécessaire, 20 donne des résultats, 20 va régler le problème pour ce qui est de l’accès à la première ligne si on arrive à destination, à la condition que le taux d’inscription soit là et que l’accès adapté soit mis en place à grande échelle», a résumé Gaétan Barrette.Évidemment, la lecture de la FMOQ est un peu différente. Le Dr Godin a remercié le ministre de reconnaître le travail réalisé par les médecins. «Il y a effectivement une transformation sur le terrain, mais j’ai un bémol par rapport à l’effet que vous accordez à la loi 20 dans cette transformation», a-t-il répondu au ministre. Il a fait remarquer que les médecins de famille n’avaient pas attendu le projet de loi 20 pour adopter l’accès adapté, qui était une de leurs priorités depuis plusieurs années. «Le mouvement était déjà engagé. La Loi 20 n’existerait pas, on continuerait dans ce sens», a-t-il précisé. Il a aussi rappelé au ministre qu’employer des lois pour obliger les médecins à travailler dans certains milieux plutôt que d’autres n’était pas nouveau, puisque c’est ainsi qu'en 2003 on a contraint les médecins de famille, en pénurie, à délaisser le suivi de patients pour pallier les «découvertures» à l’urgence. Il a aussi souligné qu’encore aujourd’hui, les médecins de famille sont contraints de se soumettre à des activités médicales particulières (AMP), ce qui ne les aide pas pour atteindre les objectifs de leur entente avec le ministère sur l’accessibilité.Gaétan Barrette, réaffirmant qu’il n’avait d’autre choix que d’ajouter des obligations aux médecins pour que le système de santé fonctionne, voulait aussi que le président de la FMOQ comprenne que ce que prônent les partis d'opposition, à savoir le salariat des médecins, conduirait à encore plus d’obligations pour les médecins que ses propres lois.«J’ai trois partis qui rêvent de façon éveillée et affirmée de vous mettre à salaire. Un malheur, selon votre description», puisque «vous avez une convention collective où vous êtes régis par un nombre infini de règles, l’apocalypse des soins de santé», a souligné le ministre.S’il se dit contre le salariat, le Dr Godin n’a pas semblé inquiet outre mesure par le scénario dépeint par le ministre. Selon le président de la FMOQ, chaque mode de rémunération présente des avantages et des inconvénients, mais on se trompe si on y voit la solution d’une meilleure organisation ou d’un meilleur accès aux services. Selon lui, il faut un mode de rémunération mixte «et particulièrement entre des modes forfaitaires et des modes à l’acte qui permettent une bonne prise en charge et un bon volume d’activités».Consulter le mémoire de la FMOQ

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