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Pharmaciens hors Québec: mieux desservir les minorités francophones

Les pharmaciens constituent souvent le premier intervenant dans le parcours de soins. Mais hors du Québec, rares sont ceux qui peuvent comprendre leurs patients francophones. C’est ce que le nouveau programme de pharmacie de l’Université d’Ottawa cherche à changer.
07/04/2024
Christine Landry, pharmacienne et directrice du nouveau programme de pharmacie de l’Université d’Ottawa
Christine Landry, pharmacienne et directrice du nouveau programme de pharmacie de l’Université d’Ottawa (Crédit: Université d'Ottawa)

«Ça fait peut-être moins les nouvelles en Ontario, mais il y a aussi un manque important de pharmaciens ici», raconte Christine Landry, pharmacienne et directrice du nouveau programme de pharmacie de l’Université d’Ottawa. Avec la pandémie, il semblerait que plusieurs aient quitté le domaine ou réduit leurs heures, alors même que les champs de pratique augmentaient et que leur rôle clé était mis en lumière, comme au Québec. 

Mais la pénurie de professionnels capables de donner des soins en français est encore plus marquée. «Dans le Nord et dans l’Est de l’Ontario, il n’y a pratiquement pas de pharmaciens francophones», ajoute Mme Landry. Que ce soit en milieu communautaire ou hospitalier, les pharmaciens francophones se font rares dans cette province, surtout hors des centres urbains, où les communautés francophones se trouvent. Le Nouveau-Brunswick peine également à recruter des pharmaciens qui peuvent s’exprimer dans les deux langues officielles. 

Répondre à un besoin

«À mon avis, le plus gros problème, c’était le manque de formations en français. Les pharmaciens formés au Québec étaient peut-être tentés d’y rester après leurs études», croit Sydney Morin, pharmacienne à l’hôpital Montfort et professeure de clinique dans le programme de pharmacie. En effet, l’hôpital Montfort, l’hôpital universitaire francophone à Ottawa, fut pendant longtemps le seul programme de résidence en pharmacie en français hors Québec, et aucune formation de premier cycle n’était donnée en français dans le ROC. 

Après trois tentatives infructueuses, l’Université d’Ottawa a finalement mis sur pied son tout premier programme de pharmacie, entièrement en français. «Nous avons fait des études de besoins du marché, et identifié les besoins des communautés francophones minoritaires», explique Mme Landry. Le programme de doctorat en premier cycle de l’Université d’Ottawa devient ainsi le premier programme de pharmacie en français hors Québec, et s’ajoute aux deux autres formations en français dispensées au Québec (à l’Université Laval et à l’Université de Montréal). 

Desservir les francophones partout au Canada

Après trois ans de travail pour sa mise en place, le programme a accueilli ses premiers étudiants en septembre 2023. Les 55 étudiants viennent majoritairement de l’Ontario et du Québec, mais aussi du Nouveau-Brunswick, de l’Alberta et du Manitoba. «On essaie de rejoindre les personnes des communautés minoritaires francophones qui voudraient étudier en français», note Mme Landry. 

Le programme souhaite ainsi contribuer à mieux desservir les communautés francophones minoritaires du Canada. Sydney Morin fait partie de ceux qui voulaient étudier la pharmacie en français, et qui a dû s’établir temporairement à Québec pour ses études.

Durant le parcours, les stages se font autant que possible en milieu francophone minoritaire, voire dans la région d’origine de l’étudiant, s’il le désire. «On sait que si l’étudiant fait un stage dans son milieu, il a plus de chance d’y retourner après ses études», souligne Mme Landry. 

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Pour une meilleure qualité de soins

La pénurie de pharmaciens francophones porte atteinte aux populations minoritaires partout au Canada. Sur près d’un million de francophones en milieu minoritaire, 78% auraient de la difficulté à accéder à des soins de santé en français. Chez les professionnels de santé en Ontario, à peine 3% peuvent offrir un service dans les deux langues, alors que la province compte plus d’un demi-million de francophones.

Pourtant, langue et santé sont intimement reliées. Des études ont montré que la barrière de la langue augmentait le stress et la détresse émotionnelle des patients, menait à un usage accru des services d’urgence et à une baisse de la confiance envers son professionnel de la santé. Pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle dans un moment de vulnérabilité est rassurant. «Les patients peuvent mieux exprimer leurs symptômes, leurs inquiétudes, ou leurs problèmes», illustre Sydney Morin. C’est aussi un besoin essentiel, puisque le patient doit bien comprendre les conseils, traitements et mesures à suivre pour améliorer sa santé. 

Quant au professionnel de la santé, bien comprendre son patient lui permet d’éviter des erreurs médicales, et cela réduit le taux et la durée d’admission à l’hôpital, puisque les nuances communiquées par le patient sont bien comprises. 

«Les gens sont tellement heureux quand quelqu’un les comprend», remarque Kyla Agtarap, pharmacienne et résidente en pharmacie à l’hôpital Montfort. Elle se souvient de la difficulté qu’avait sa propre mère à obtenir des soins de santé en français. Lorsqu’il fut le temps d’entreprendre ses études, Kyla a dû se résoudre à les faire en anglais, mais a tout de même réussi à obtenir une résidence à l’Hôpital Montfort. 

La barrière de la langue a une incidence encore plus grande en milieu rural, selon Christine Landry. La pharmacienne donne l’exemple du taux de vaccination contre la COVID très bas dans le Nord de l’Ontario, une disparité qui pourrait entre autres être expliquée par le manque de professionnels de la santé francophones pouvant démystifier la vaccination et répondre aux questions des patients. «Dans toutes les communautés rurales, le professionnel de la santé sur place (peu importe qui il est) devient central dans les soins», rappelle Mme Landry. «Ça fait tellement une grosse différence s’il n’y a pas de barrière avec le professionnel de la santé; la relation avec le patient est au cœur de notre travail, poursuit Sydney Morin, qui dit s’être dirigée en pharmacie pour améliorer la santé des patients. Parler la même langue que son patient crée un beau lien de confiance.»

L’Université d’Ottawa espère ainsi contribuer à l’amélioration de la santé de tous les minorités francophones du Canada. En plus du doctorat de premier cycle en pharmacie, l’École des sciences pharmaceutiques souhaite ouvrir d’autres programmes, dont une maîtrise en sciences pharmaceutiques. «On sait que les besoins dans le système de santé sont grands. Notre but, c’est d’y répondre et d’alléger le fardeau dans les urgences et les cliniques médicales», conclut Mme Landry.


Ce reportage a été rendu possible grâce aux bourses d'excellence de l'Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

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