Pénurie de médecins sur la Côte-Nord: la grande séduction se poursuit

«Présentement, il y a environ 35 postes de médecin de famille à combler», indique Marie-Josée Biron, conseillère cadre en enseignement universitaire, recrutement médical et télésanté pour le CISSS de la Côte-Nord. Comme toutes les régions, la Côte-Nord fait face à une pénurie de médecins, mais aussi à des défis particuliers. «Il y a beaucoup de structures qui ne fonctionnent pas bien ici, ou d’ententes négociées qui ne sont pas applicables à la Côte-Nord», affirme le Dr Roger Dubé, chef du DRMG de la Côte-Nord, et médecin de famille pratiquant à Baie-Comeau depuis quatre décennies.Des Escoumins à Blanc-Sablon, en passant par la communauté naskapie de Kawawachikamach, le territoire de la Côte-Nord est très étendu, et comprend des villages isolés comme des villes de taille moyenne. Plusieurs villages ne peuvent mettre sur pied un GMF, par exemple, faute d’un bassin de population suffisamment élevé (moins de 6000 habitants). «Les points de services sont à peu près à 100 km entre eux. La collaboration est difficile d’un RSL [réseaux locaux de services de santé et de services sociaux] à un autre», ajoute le Dr Dubé. Et les déplacements des patients comme du personnel peuvent être retardés par la météo, surtout dans les communautés de la Basse-Côte-Nord, qui ne sont pas reliées par la route (parlez-en à Pierre Fitzgibbon et aux deux autres ministres coincés à La Romaine durant trois jours en mars dernier). Du renfort essentiel «On fonctionne beaucoup avec du dépannage», mentionne le Dr Dubé. ProfessionSanté.ca est d’ailleurs arrivé dans la région au moment même où survenait la crise provoquée par la fin des ententes avec les agences de placement qui fournissent de nombreuses infirmières, entre autres. Sur la Côte-Nord, 60% des effectifs seraient de la main-d’œuvre indépendante. «Du jour au lendemain, le gouvernement a plafonné les tarifs partout au Québec. Ces gens ne vivent pas ici, ça prend des incitatifs pour qu’ils viennent!» s’étonne le Dr Pierre Gosselin, qui exerce à Port-Cartier. À lire aussi: Régions rurales: plus d’aide financière aux étudiants pour améliorer l’accès aux soinsAinsi, si les médecins sont difficiles à recruter depuis les années 1980, la pénurie touche maintenant tout le monde, même au-delà des professionnels de santé. L’Hôpital Royer de Baie-Comeau, incapable d’engager des cuisiniers, s’est vu obligé de fermer la cafétéria des employés. Rien pour attirer du sang nouveau: «Quand on parle du problème de main-d’œuvre, ça n’aide pas au recrutement des médecins», constate la Dre Marie-Laurence Dionne, basée à Baie-Comeau. Une pratique exigeante, mais enrichissante«Ce qui est difficile, c’est que les médecins qui prennent leur retraite laissent un grand nombre de patients, ce qui signifie beaucoup de prise en charge pour les nouveaux facturants», souligne Mme Biron. Avec les deux médecins de Port-Cartier partis à la retraite, presque 2500 patients sont désormais orphelins. Même si une telle charge de travail en refroidit quelques-uns, la Dre Dionne voit la situation d’un autre œil: «J’ai l’impression que je viens chercher beaucoup de compétences». La Dre Anne-Sophie Chénard, qui pratique surtout à l’urgence du CLSC de Port-Cartier, rapporte aussi bien gérer le tout. «Je savais qu’il y aurait une certaine pression — du milieu et des patients — mais je suis quand même à l’aise pour mettre mes limites, et elles sont respectées», confie-t-elle. Comme dans plusieurs petits milieux, la pratique sur la Côte-Nord est très variée. Urgence, oncologie, hospitalisation, gériatrie, enseignement, santé-voyage, visite à domicile ou dans les communautés autochtones, soins palliatifs, prise en charge, médecine sportive, même, grâce à l’équipe de hockey mineur du Drakkar de Baie-Comeau; les médecins de famille doivent être touche-à-tout. «Il y a vraiment une ouverture et des possibilités de créer des choses», apprécie la Dre Dionne. «La pratique en région est plus intéressante qu’en ville, selon moi. Je peux choisir d’avoir une pratique très diversifiée ou faire juste une chose. Il y a plus de flexibilité», avance la Dre Chénard.Cette possibilité de pratiquer dans différents domaines d'expertise offre une occasion d’apprentissage unique aux résidents et résidentes en médecine. «La moins grande proximité des spécialistes permet d’en apprendre plus, d’aller plus loin», croit le Dr David Lee, médecin responsable du GMF universitaire de Manicouagan. Pierre-Gabriel Roy, qui complète sa résidence en médecine familiale à l’hôpital Royer de Baie-Comeau, est heureux d’être en contact avec une variété de cas, toujours en ayant accès à des spécialistes au besoin grâce aux corridors de services. «Dans les grands centres, pour un cas, il y aurait six ou sept spécialistes dans le dossier, alors qu’ici l’omnipraticien est le chef d’orchestre. J’ai une meilleure compréhension du dossier de chaque patient.»Multiplier les efforts de recrutementSur la Côte-Nord, la pénurie de médecins de famille touche particulièrement les régions intermédiaires, comme Port-Cartier et Forestville. «Ce ne sont pas les endroits les plus isolés qui ont le plus de problèmes de recrutement», précise le Dr Dubé. En effet, la pratique en dispensaire sur la Basse-Côte-Nord attire son lot de candidats, attirés par cette pratique hors de l’ordinaire. Les villes de taille moyenne ont plus de difficulté à attirer des candidats qui ne sont pas originaires de la région.La clé, selon le Dr Dubé, est de faciliter un contact le plus tôt possible avec les étudiants. «Les étudiants ont souvent davantage de préjugés sur la région que sur la pratique. Plusieurs ne savent pas où est la Côte-Nord», remarque la Dre Chénard. Les stages d’été SARROS, offerts dans toutes les régions du Québec, permettent par exemple aux futurs médecins de découvrir des milieux et des pratiques méconnus. Depuis quelques années, Baie-Comeau accueille aussi des externes dans le cadre de l’externat longitudinal intégré (ELI), qui propose une approche à l’horizontale dans le temps plutôt que par bloc de spécialité. À lire aussi: Médecine de famille: déception, colère, inquiétude et espoirLe stage de 10 jours de médecine en région éloignée (SMRI) est une autre occasion d’immersion pour une vingtaine d’étudiants chaque année. Ce stage a d’ailleurs permis le premier contact de la Dre Dionne avec la Côte-Nord pour. «J’ai découvert la beauté de la région et j’ai ensuite décidé d’y faire ma résidence», raconte celle qui a grandi à Drummondville. Le SMRI change de région annuellement, mais se déroulera à Baie-Comeau cet été. Logés dans une pourvoirie à l’extérieur de la ville, les étudiants sont exposés à des situations extrêmes d’urgence, mises en scène par des comédiens et des médecins locaux. «On en profite pour organiser une visite de la ville, et l’entreprise de plein-air Attitude nordique planifie un brunch de réseautage», décrit Mme BironSi le film La Grande Séduction relève de la pure fiction (le village de Harrington Harbour, lieu de tournage, étant trop petit pour justifier la présence d’un médecin à temps plein), la Côte-Nord déploie tout de même des activités de «Petite séduction» pendant quelques jours pour les candidats qui souhaitent mieux connaître la région. «On essaie que les candidats habitent chez un autre médecin. C’est une belle mobilisation des milieux», croit Mme Biron. La mise sur pied du GMF-U Manicouagan il y a près de 20 ans a également agi comme un véritable moteur de recrutement à Baie-Comeau et dans les environs. «On a 65% de rétention chez les étudiants qui viennent y faire leur résidence. Ça fait vraiment une différence par l’exposition que ça offre», estime Mme Biron. L’expérience est si positive qu’un projet de GMF-U à Sept-Îles est dans les cartons. Chose certaine, les médecins rencontrés avaient tous la Côte-Nord gravée sur le cœur, et encouragent les jeunes à expérimenter. «Se former en région donne une perspective différente», conclut la Dre Dionne. Qui sait, peut-être que vous serez les prochains à tomber amoureux de l’endroit?Ce reportage a été rendu possible grâce aux bourses d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

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