Parcours de soins pharmaceutiques: «l’information ne circule pas»

Après quatre ans de travaux, le comité intraprofessionnel composé de représentants de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES), de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), de l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ), du Réseau Québécois des Pharmaciens GMF (RQP GMF), ainsi que des facultés de pharmacie de l’Université de Montréal et de l’Université Laval, vient de dévoiler ses recommandations pour améliorer le parcours de soins pharmaceutiques des patients. Dans la foulée de l’élargissement des activités des pharmaciens, et en particulier de leur autonomie croissante au regard de la prescription des médicaments, le comité initié par l’APES a voulu identifier les défis et les limites du parcours de soins pharmaceutiques en place. Un parcours pas assez efficace selon le président de l’AQPP Benoit Morin. «Il y avait place à l'amélioration, tant face au manque de constance entre les différentes organisations qu’au besoin de standardiser ce parcours.» Ces lacunes exposent le patient à un risque d’événements indésirables liés aux médicaments, à de nouvelles consultations ainsi qu’à des réadmissions non planifiées en établissement de santé, particulièrement lors du transfert public-privé des patients, au congé de l’hôpital, au cours duquel les médicaments sont susceptibles d’être modifiés et les informations pas toujours bien transmises entre les milieux de soins. Une question de manque de ressources à plusieurs niveaux, poursuit Benoit Morin. «On manque de pharmaciens d’hôpital, d’officine, de techniciens qualifiés… Nous n’avons aucun outil commun, donc l’information ne circule pas. Les sorties d’hôpital ne sont pas toujours vues par les pharmaciens d’établissement, pareil pour les GMF.» Plusieurs recommandations du comité intraprofessionnel concernent ce manque de ressources, tant humaines que technologiques et informationnelles. Clarifier les rôles des pharmaciens suivant un même patientMême si la pharmacie est «une grande famille», comme le rappellent souvent ses représentants, elle n’échappe pas à l’écueil du travail en silo. Un fonctionnement qui empêche la pleine collaboration des professionnels, et surtout, la compréhension du rôle de chacun dans le parcours pharmaceutique du patient. «Au cours de son parcours de soins, le patient va rencontrer différents pharmaciens, celui de l’hôpital pour les soins aigus, puis celui d’un CHSLD ou d’un GMF, et en bout de piste, le pharmacien communautaire, explique la présidente de l’APES Julie Racicot. Un patient souffrant d’une maladie chronique peut même être suivi par deux ou trois pharmaciens en même temps.» À lire aussi: Comment les pharmaciens peuvent sauver le système de santé canadienL’enjeu est alors de définir précisément les rôles de chacun pour éviter de dupliquer, assurer une continuité de soins et alléger les pharmaciens. «On avait développé ce parcours de soins pendant la pandémie avec le Paxlovid, rappelle Benoit Morin. C’est un modèle qu’il faut généraliser. Il faut pouvoir se référer à des pharmaciens d’hôpital spécialisés dans leur domaine.»Un constat partagé par la présidente de l’APES Julie Racicot, pour qui l’une des solutions passe par la reconnaissance de la spécialisation en pharmacothérapie avancée afin de soutenir la prise en charge de certains patients spécifiques et de situations cliniques ciblées. Un premier pas vers la réorganisation du travail en établissement de santé et en GMF d’après les recommandations du comité.Les pharmaciens GMF appellent eux aussi à être davantage considérés et connus au sein de la profession. Forts de leur accès aux dossiers des patients et des médecins, ils sont une passerelle entre le pharmacien communautaire et l’équipe GMF, souligne Anne Maheu, coordonnatrice du projet de recherche du RQP GMF. «On fait partie intégrante du parcours de soins. C’est important que notre rôle soit bien reconnu à l’intérieur de ce parcours, pour prioriser cette collaboration qui a toujours été prise pour acquise et peu enseignée. Mais il y a beaucoup à faire pour qu’elle soit optimale.»La pharmacie a besoin de reconnaître les spécialisations de ses membres pour faciliter le référencement et le parcours du patient, confirme Benoit Morin. «Le PL67 nous donne plus d’autonomie pour régler nos problèmes. Mais l’une des conditions pour le faire est d’être capable de se référer et d’être confortable de le faire. Ça prend des pharmaciens d’hôpital spécialisés dans certains domaines.»La nécessité d’une main-d’œuvre suffisanteL’optimisation des parcours de soins pharmaceutiques dépend en premier lieu des effectifs disponibles en pharmacie, et la pénurie actuelle de pharmaciens dans tous les milieux de soins requiert la création d’une table de concertation permanente sur la planification de la main-d’œuvre, appellent les associations professionnelles. À l’aube de l’entrée en application du projet de loi 67, l’un des principaux enjeux est de garantir la présence de personnel technique qualifié et en nombre suffisant pour soutenir les pharmaciens, souligne Julie Racicot. «On demande aux pharmaciens d'en faire davantage pour être capable de prendre ces activités cliniques en charge, de les embrasser et de vraiment exercer pleinement notre profession à la hauteur des compétences qu'on détient. Mais il faut se sortir des tâches plus techniques et là, on manque de support.» Des tâches techniques qui doivent pouvoir être déléguées aux techniciens et assistants techniques, si tant est qu’ils soient présents. «On ne forme pas assez de techniciens qualifiés, et trop peu de jeunes postulent au parcours d’ATP, déplore Benoit Morin. Les pharmaciens vont en manquer pendant plusieurs années. Si on veut en former plus rapidement, ça prend une planification.» Mais il ne faut pas oublier les personnels techniques déjà présents en pharmacie, et dont la formation n’est parfois pas optimale, observe le président de l’APPSQ Patrick Hémery. «On a encore trop de gens qui travaillent en pharmacie et qui n’y connaissent pas grand-chose. Leur formation en pharmacologie et pharmacothérapie n’est pas assez solide.»Faciliter la collaboration et le partage de renseignements«Un vrai parcours de soin rend les informations disponibles», lance Benoit Morin. Ce qui peut paraître impensable en 2025 est pourtant pointé par le comité intraprofessionnel: il n’existe aucun système de communication commun et accessible aux différents pharmaciens suivant un même patient. Un retard technologique invraisemblable selon Julie Racicot. À lire aussi: Une étude quantifie les bénéfices de l'élargissement du rôle des pharmaciens«On fonctionne encore par fax pour transmettre des informations entre l’hôpital et les pharmaciens communautaires, qui sont exclus du réseau car ils sont au privé. On déploie des dossiers santé numériques dans les hôpitaux, mais les pharmaciens communautaires n’y ont pas accès. Ce qui implique de saisir les informations plusieurs fois, avec autant de risques d’erreurs.» De son côté, le président de l’AQPP révèle travailler sur un prescripteur électronique arrimé avec les cliniques médicales et les DMÉ. Ce manque d’interopérabilité est l’un des principaux obstacles à des parcours de soins optimisés et, surtout, sécuritaires pour le patient. «Les médicaments pris à l’hôpital ne figurent pas dans le DSQ! Quand le patient sort, on ne sait pas ce qu’il a reçu à l’hôpital, et rien ne semble avancer», regrette de son côté Patrick Hémery. Le président de l’APPSQ se demande si la communication par fax sera toujours en vigueur lorsqu’il prendra sa retraite d’ici 4 ou 5 ans – et pense que oui. Un moment clé pour repenser les parcours de soins pharmaceutiquesSi les différents représentants de la pharmacie auraient souhaité diffuser ces recommandations plus tôt, le contexte de l’entrée en vigueur du projet de loi 67 offre une fenêtre de choix pour interpeller les pouvoirs publics – au premier rang desquels le MSSS et Santé Québec – ainsi que l’ensemble des acteurs de la pharmacie et au-delà. «Le timing est bon, car notre rôle s’élargit et nous devons nous harmoniser, souligne Julie Racicot. Les pharmaciens d’établissement vont avoir un droit de prescrire encore plus grand, et les autres pharmaciens doivent pouvoir se tourner vers eux s’ils ont besoin d’un spécialiste.» Un point sur lequel tous les représentants de la pharmacie s’accordent, à commencer par Benoit Morin. «Si je ne peux pas me référer à des confrères et que je ne suis pas à l’aise pour faire certaines activités cliniques, je vais moins en faire. Et si je ne peux pas communiquer avec eux, c’est pareil.» Vous pouvez retrouver les Recommandations du comité intraprofessionnel sur le site internet de l'APES.Références: Thompson-Moore N, Liebl MG. Health care system vulnerabilities: Understanding the root causes of patient harm. Am J Health Syst Pharm 2012;69:431-6.Himmel W, Kochen MM, Sorns U, Hummers-Pradier E. Drug changes at the interface between primary and secondary care. Int J Clin Pharmacol Ther 2004;42:103-9.Mansur N, Weiss A, Beloosesky Y. Relationship of in-hospital medication modifications of elderly patients to postdischarge medications, adherence, and mortality. Ann Pharmacother 2008;42:783-9.Kripalani S, Roumie CL, Dalal AK, Cawthon C, Businger A, Eden SK et coll. Effect of a pharmacist intervention on clinically important medication errors after hospital discharge: A randomized trial. Ann Intern Med 2012;157:1-10.

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