Panel du 16e congrès de l'AMQ - L’amélioration des soins dépend-elle d’un mode de rémunération ?

Plusieurs panélistes sont venus débattre de la présentation de Pierre Thomas Léger, des HEC, pour qui le paiement mixte est le seul à pouvoir encourager les médecins à prendre en compte « la qualité, la quantité et les coûts » (voir texte ci-contre).Tous les intervenants semblaient d’accord avec le Dr Gaétan Barrette pour dire que l’on reproche actuellement à la rémunération des médecins d’être la cause de tous les maux du système de santé. La Dre Vander Stelt semblait la seule à trouver ce reproche normal, « puisque la population n’en a pas pour son argent ». « À partir du moment où les besoins de la population sont satisfaits, les gens, selon moi, sont d’accord pour que nous soyons bien payés », a t-elle souligné. Quand les patients n’ont pas de difficulté à voir leur médecin, la question de leur niveau de rémunération ne se pose plus.Pour le Dr Roy, il faut élargir le débat sur les modes de rémunération. « On s’est rendu plus loin que cela... La médecine de qualité est une affaire de groupe avec partage, soutien mutuel et émulation, voire intérêt économique partagé. » Il faut donc que la rémunération tienne compte du travail d’équipe. La performance doit quant à elle être une affaire d’organisation et « le paiement doit ajouter et acheter de la valeur ».Le Dr Barrette n’a pas changé d’avis sur le paiement à l’acte, qu’il juge le meilleur qui soit dans la mesure où l’on se donne les moyens de le baliser. « Certaines interventions doivent être payées à forfait, car elles ne sont pas quantifiables. Pour le reste, la rémunération à l’acte fait ce qu’elle a à faire », affirme-t-il. Il suffit de lui imposer des limites et d’exiger des « livrables ». « Il est possible d’avoir des garde-fous qui font que l’on maintient les avantages de la productivité tout en évitant les écueils associés à la rémunération à l’acte », assure-t-il.Pour le Dr Godin, il n’y a pas de mode de rémunération parfait, mais il ne faut diaboliser ni le paiement à l’acte ni le paiement à forfait, car, dans les deux cas, « tout est dans l’applicabilité ».Le président de la FMOQ regrette que l’on véhicule l’idée que les médecins de famille sont tous payés à l’acte, alors que 35 % d’entre eux sont à forfait. Il met aussi en garde contre ce qui peut « sembler très simple sur le plan théorique, mais se révéler beaucoup plus complexe dans la réalité ». Ce qui est, selon lui, le cas du paiement à la performance. Pour lui, impossible d’associer la qualité des services à la façon dont on les rétribue, puisque ce sont deux aspects différents. « Les modes de rémunération sont un outil pour aider à organiser le système. » Leur choix dépend donc avant tout des circonstances, du lieu et de ce que l’on recherche. « Nous sommes à la croisée des chemins », affirme pour sa part Mme Denis, pour qui les modes de rémunération appellent à des changements, comme ceux du financement des établissements. Que l’on choisisse un mode de rémunération mixte ou à l’acte, il faut ajouter une dimension de performance. Il faut aussi associer les médecins à la performance de l’établissement afin « que ces deux solitudes cohabitent mieux ».Toujours pour Mme Denis, une partie de la rémunération des médecins devrait être liée à l’atteinte d’objectifs de volume d’interventions, de qualité, de prise en charge, d’accès, ou encore de continuité. En retour, le médecin devrait aussi être « associé à la gestion non seulement clinique, mais aussi administrative, ainsi qu’aux orientations du système de santé et des établissements qui coordonnent ou livrent les services ».Pour sa part, la Dre Vander Stelt trouve normal que la société soit aujourd’hui plus exigeante vis-à-vis des médecins, car les gens sont mieux informés. « Ils savent qu’il y a des variations en médecine, ils savent aussi que l’on ne fait peut-être pas tout correctement, et ils veulent qu’on s’arrange pour qu’ils en aient pour leur argent. » Ce que ne permet pas le paiement à l’acte, qu’elle juge « insuffisant, sur le point d’être dépassé et largement incomplet ». Pour ce médecin, il faut miser sur un paiement mixte, avec des éléments de paiement à la performance, en plus de tabler sur l’optimisation des soins : « Les médecins doivent cesser de poser des actes contestables d’un point de vue clinique. »Amélioration de la qualité et modes de rémunération « Dans la rémunération à l’acte, la qualité n’entre pas en compétition avec le volume. Cela peut arriver, mais ce n’est pas la norme », a déclaré le Dr Barrette. L’important est de ne pas oublier que, par définition, tous les modes de rémunération diminuent le volume, à part la tarification à l’acte. « Si vous voulez des ressources raisonnables et un revenu dit “raisonnable”, il faut un volume d’activités », explique-t-il. Et ce sont les médecins eux-mêmes qui doivent définir ce volume après une réflexion menée de façon conjointe avec les administrateurs. « La qualité ne réside pas dans la solitude », rappelle de son côté le Dr Roy. C’est donc dans une logique de groupe que l’on doit envisager, selon lui, la rémunération mixte. D’autant qu’un des avantages des modèles forfaitaires est de « libérer les docteurs pour qu’ils fassent autre chose que du débit ».L’acte peut avoir ses avantages, notamment « quand l’incertitude est grande ou que le médecin doit réinventer chaque cas ». En revanche, il existe plusieurs domaines où il est important de standardiser la pratique, ce qui permet de payer pour un résultat attendu.Il faut donc « un modèle mixte réfléchi, reposant sur un équilibre cohérent et tenant compte de la diversité des objectifs que l’on poursuit », précise le vice-président des Affaires scientifiques de l’INSPQ.Pour la Dre Vander Stelt, le paiement à l’acte a ses limites. Imaginer rétribuer les médecins des urgences en région rurale selon ce modèle ne fait aucun sens. Et c’est la même chose pour ceux qui s’occupent de certaines populations des centre-villes, comme les toxicomanes et les personnes ayant des troubles de santé mentale. Pas facile non plus, selon elle, de rétribuer de cette façon des tâches médico-administratives. Et c’est sans parler du stress associé au volume d’interventions que peut engendrer ce mode de paiement, puisque certains médecins travaillent en fonction du montant qu’ils veulent gagner. Enfin, cette modalité de paiement ne prend pas en compte la question de la multidisciplinarité. « Les médecins se trouvent à faire encore beaucoup de choses qu’ils ne devraient pas faire. En vaccinant 75 enfants en une journée dans le cadre d’un paiement à l’acte, je “fais mon beurre”, mais je me serai aussi substituée à une infirmière... et je n’aurais certainement pas fait mon devoir de médecin envers la société », affirme la Dre Vander Stelt.Un faux problème pour le Dr Barrette, puisque, si l’on ne veut pas que les médecins vaccinent, il suffit de ne pas payer cet acte ! De plus, le paiement à l’acte n’empêche pas les ajustements. Il suffit donc d’y ajouter des majorations quand la situation le nécessite, par exemple dans le cas des urgences en région ou des soins aux personnes vulnérables.Reste que pour la Dre Vander Stelt, il n’est pas normal qu’aujourd’hui encore autant de pédiatres et de médecins de famille vaccinent, ce qui, à son avis, est une perte totale de temps sur le plan médical.Le Dr Godin, quant à lui, s’étonne plutôt que l’on ait aussi peu de considération pour la rémunération à l’acte, alors que l’on a tendance à estimer le financement à l’activité en établissement comme la prochaine grande solution. « Les modes de rémunération doivent être choisis en fonction de ce que l’on veut faire et de ce que l’on veut payer, en sachant qu’il y aura toujours des avantages et des inconvénients, des effets bénéfiques et des effets pervers », affirme-t-il. Il estime aussi qu’il y a « un piège » à dire qu’au Québec on n’en a pas pour son argent dans le système de santé. C’est aussi le cas dans bien des domaines. Pour lui, il serait donc plus constructif de se demander si « avec notre argent, on pourrait faire les choses différemment et les adapter ».Un point de vue qui rejoint celui de Mme Denis pour qui la réalité a changé : « La première ligne d’aujourd’hui sera peut-être la deuxième ligne de demain. Il y a beaucoup de choses que les patients peuvent faire chez eux aujourd’hui et que l’on n’aurait jamais imaginées il y a 20 ans. » L’important pour elle est de réinventer les modes de collaboration entre les médecins et les établissements, et de mettre en place sous une forme ou une autre une reddition des comptes sur les sommes consenties.Le rôle des médecins dans la santé des populationsPour le Dr Barrette, il faudrait peut-être aussi réfléchir au rôle du médecin en matière de santé. À son avis, ce dernier n’est pas forcément le mieux placé pour faire de la prévention ou de la sensibilisation. « En matière de tabagisme par exemple, les annonces télévisées ont eu sans aucun doute beaucoup plus d’effets que tout ce que l’on a entrepris collectivement, à titre de médecin de famille ou de spécialiste. » Les médecins doivent donc mener une réflexion sur ce qui est le plus efficace et s’asseoir avec les gestionnaires pour prendre les décisions nécessaires en fonction des données de la science.La norme sociale et de bonnes politiques publiques ont beau être plus efficaces que les soins individuels, elles ne constituent pas, selon le Dr Roy, une raison suffisante pour faire oublier aux médecins leur responsabilité, celle d’améliorer la santé des populations. « Il y a de la morbidité et de la mortalité évitables qui requièrent des soins, et on a une responsabilité professionnelle considérable à cet égard », précise-t-il.Au-delà de la rémunération, il faut surtout mieux travailler, soutient la Dre Vander Stelt. « Quand les médecins participent aux décisions administratives, ils font baisser les coûts et cet argent devrait être réinvesti dans l’hôpital et les services, voire dans l’enveloppe de paiement des médecins elle-même. »Le mode de rémunération devrait aussi aider à améliorer la pratique. Selon l’Association canadienne des radiologistes, les médecins de famille demandent trop de radiographies de la colonne lombaire, de l’ordre de 20 % à 30 % supplémentaires. « J’aimerais beaucoup que, quand je demande une radiographie de la colonne lombaire, le radiologiste puisse me dire en recevant ma requête qu’elle n’est pas indiquée. Et je voudrais aussi qu’il puisse être payé pour cela », dit la Dre Vander Stelt. Le radiologiste serait rémunéré, le patient n’aurait pas besoin de se déplacer, il n’y aurait ni cliché ni transcription des résultats, et le médecin de famille pourrait apprendre à inscrire les bonnes indications.Les panélistesOn a ainsi pu entendre les positions des Drs Denis A. Roy, vice-président des Affaires scientifiques de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), et Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), de Lise Denis, ex-directrice générale de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), et de la Dre Ruth Vander Stelt, présidente de l’Association des médecins du Québec (AMQ).

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