Orthophonistes-audiologistes: «Soigner les liens de voisinage» avec les autres professions

Rares, les orthophonistes et les audiologistes? «Peut-être plus pour longtemps», affirme Marie-Pierre Caouette, MOA, orthophoniste, qui vient d’être réélue pour trois ans à la présidence de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (OOAQ). Elle en assume aussi la direction générale.Où se cachent les orthophonistes et les audiologistes?Partout! (rires). On retrouve les orthophonistes dans les CLSC, les hôpitaux, les centres de réadaptation, mais aussi en milieu scolaire.Les audiologistes sont plutôt concentrés en première ligne et dans les centres de réadaptation. Depuis un peu plus de cinq ans, la pratique privée se développe de façon significative. Comme dans les autres professions en santé, la répartition des ressources n’est malheureusement pas égale selon les régions et les problématiques.Que faites-vous pour diminuer les listes d’attente?Nous inventons de nouvelles approches. La thérapie individuelle est efficace et gratifiante, mais pour une personne traitée à temps, quels sont les coûts entraînés par tous ceux dont l’état s’est aggravé pendant qu’ils étaient sur une liste d’attente?Je suggère à nos membres de consacrer au moins une journée par semaine à des activités professionnelles dont le rayonnement sera plus important pour la population: enseignement, recherche, mentorat, consultation, etc. Il s’agit d’être présent avant que les problèmes ne prennent de l’ampleur.Faites-vous de l’intervention précoce?Certainement. Nous sommes d’ailleurs enchantés de participer au déploiement prochain du programme de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés. En ce qui concerne le langage, la prévention des troubles de la lecture et de l’écriture nous préoccupe également beaucoup.Avec près d’un Québécois sur deux qui est fonctionnellement analphabète, il faut agir! Savez-vous que, dès l’âge de 12 mois, l’orthophoniste peut reconnaître des indices de difficultés d’apprentissage? Le bébé d’un an qui n’arrive pas à associer correctement les animaux et leurs cris éprouvera fort probablement de la difficulté à associer des lettres et leurs bruits en première année.Pensez-vous que les orthophonistes et les audiologistes suffiront à la tâche?Non, c’est pourquoi nous travaillons en collaboration avec nos partenaires sur le terrain depuis des décennies. J’aime beaucoup les principes de la méthode Lean Healthcare, qui vise «le bon traitement, au bon moment, par la bonne personne». Il n’est pas nécessaire que l’orthophoniste et l’audiologiste réalisent eux-mêmes tous les dépistages et toutes les activités de prévention. Ce sont cependant des experts précieux dans la formation et l’appui aux intervenants, et dans l’élaboration de programmes destinés à la population.L’interdisciplinarité serait-elle un mythe?Plutôt un objectif à atteindre. Durant les 15 dernières années, les professions en réadaptation ont connu une phase de croissance importante. Chacune a renforcé son identité, élargi son champ de compétences. En relevant la tête après avoir défriché son bout de terrain chacun, nous sommes plusieurs à nous être rendu compte que les terres se touchaient... Le premier réflexe a été de poser des clôtures.Et qui dit «clôtures» dit «chicanes», et c’est ce que le système a connu après la loi 90 et quelques dossiers judiciaires. La coutume était d’opposer les «purs et durs» de chaque clan, avec toutes les tensions et les ruptures de communication qui s’ensuivirent. Il a fallu calmer le jeu.Comment?Grâce à la loi 21, qui inscrit la notion de «partage des compétences » sous l’angle «ensemble, pour le patient». L’angle a changé et, au lieu de se concentrer sur les zones frontières, on regarde maintenant l’ensemble du décor. Au-delà des tensions, nous avons choisi de nous concentrer sur ce qui nous unit en essayant de circonscrire le plus objectivement possible les zones de tension. C’est une rencontre de l’autre, qui nous ressemble finalement, avec la même fierté par rapport à ses compétences propres et le même désir profond d’être au service de la population.À la phase de croissance et d’installation des professions dans le système professionnel succède donc une phase de négociation. Nous en sommes là actuellement. Il s’agit de soigner les liens de voisinage.Quelles sont vos relations avec les médecins et les autres professionnels de la santé?Elles sont bonnes. Par exemple, les audiologistes auront l’an prochain une journée de formation conjointe avec les ORL. L’Association d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale nous invite à participer au comité scientifique du congrès de 2011.Ce n’est pas d’hier que les ORL, les orthophonistes et les audiologistes collaborent sur le terrain, mais la formation conjointe constitue un pas en avant, un rapprochement historique à nos yeux. De même, nous formons depuis l’an dernier la Coalition en santé auditive avec les ORL, l’Ordre des audioprothésistes et les associations d’usagers. Délaissant les guerres de pouvoir, nous avons décidé de mettre nos talents en commun et de ramener les choses à l’essentiel, soit le bien-être des patients.Au cours de la dernière année, une majorité d’activités auxquelles j’ai assisté dans le système professionnel québécois portaient le mot «ensemble» dans leur titre. J’y vois une vague de fond, un désir collectif profond d’aller au-delà du corporatisme pour allier nos forces et faire face aux enjeux énormes qui se présentent à nous. La prochaine décennie sera riche en défis pour les professionnels de la santé, mais je me sens privilégiée et stimulée d’être là, en ce moment, pour contribuer au changement.On peut lire les réflexions de la présidente de l’OOAQ dans le magazine Fréquences et sur le site www.ooaq.qc.caÀ propos de l’orthophonie et de l’audiologieCes deux disciplines sont apparues au tournant des années 1950, comme bien d’autres professions en réadaptation. La première école d’orthophonie-audiologie du Canada a vu le jour à la faculté de médecine de l’Université de Mon tréal, avec une cohorte de six étudiants. Le diplôme terminal de maîtrise est la norme dès la création du programme.- L’orthophoniste évalue et traite les troubles du langage oral (parler, comprendre) et écrit (lire, écrire), de la parole et de la communication. On retrouve ce professionnel auprès de clientèles de tous les âges, présentant des problématiques très variées, du bégaiement à la dysphagie.- L’audiologiste procède à une évaluation globale des besoins du patient, dans toutes ses sphères d’activité. En réadaptation, il favorise l’intégration familiale, sociale, scolaire et professionnelle de la personne. Il travaille aussi activement à prévenir les méfaits du bruit, de la musique amplifiée, et la surdité professionnelle notamment.L’OOAQ en brefEn pleine croissanceComptant à peine quelques centaines de membres il y a une décennie, l’Ordre a franchi le cap symbolique du 2000e membre l’an dernier. S’il a fallu 40 ans pour atteindre le 1000e membre, seulement 12 ans ont été nécessaires pour doubler le nombre. On prévoit que l’Ordre comptera 3000 membres d’ici huit ans et aura doublé son effectif dans 15 ans.Mobilité de la main-d’œuvreL’OOAQ mènera dans quelques mois sa 10e mission de recrutement d’orthophonistes en Belgique. Ce sont maintenant près de 25 orthophonistes qui arrivent bon an mal an au Québec. Plus des deux tiers d’entre eux demeurent au Québec après deux ans.Conciliation famille-travailVoici le profil caractéristique des membres de l’OOAQ: une clientèle essentiellement féminine (87 % des audiologistes, 97 % des orthophonistes), et un âge moyen s’approchant de 30 ans. «Cela amène son lot de défis en matière de conciliation travail-famille et d’accessibilité aux services», résume la présidente, Marie-Pierre Caouette.

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