Opioïdes: les nouvelles lignes directrices américaines trouveront peu d'écho au Québec

Selon ces lignes directrices, encore à l’état d’ébauche, les CDC ne recommanderaient plus aux médecins d’éviter de prescrire une dose atteignant un niveau équivalent à 90 milligrammes (mg) de morphine par jour ni d’essayer de limiter à trois jours le traitement par opioïdes de la douleur aiguë. Par ailleurs, les CDC suggéreraient aux médecins de ne pas interrompre brusquement le traitement des patients recevant des doses élevées d’opioïdes, sauf si la vie de la personne est en danger. Par exemple, dans le cas de patients qui prennent des drogues ou des médicaments d'ordonnance qui entrent en interaction avec les opioïdes. En résumé, les CDC ont décidé de ne plus recommander des normes de «soins inflexibles» et ont plutôt choisi de miser sur le jugement clinique, indiquent-ils dans un communiqué de presse. Ces modifications trouveront néanmoins peu d’écho au Québec, estime le pharmacien Philippe De Grandpré. D’abord, les doses d’opioïdes prescrites dans la province ont toujours été plus faibles qu’aux États-Unis ou ailleurs au Canada. Puis, les lignes directrices publiées par le Collège des médecins du Québec en 2020 laissent une marge de manœuvre aux médecins pour personnaliser le traitement aux patients. En effet, ces lignes directrices ne précisent pas la limite des doses à prescrire par jour à son patient ni le nombre de jours de traitement pour la douleur aiguë. Elles misent surtout sur le jugement professionnel pour «atténuer les conséquences négatives liées à l’usage de drogues sans en éliminer à tout prix la consommation», indique le document. Selon le CMQ, qui a publié ses recommandations en collaboration avec l’Ordre des pharmaciens du Québec et l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, le prescripteur «doit accepter que l’abstinence ne soit pas un objectif absolu» et doit «cibler d’abord une consommation responsable». «Par exemple, si le prescripteur réussit à faire passer la consommation d’un patient de 400 mg équivalents de morphine par jour à 250 mg, c’est un beau progrès. Il ne faut pas absolument cibler 90 mg puisque cela peut engendrer d’autres problèmes», affirme Philippe De Grandpré. Plus d’impact dans le reste du Canada De leur côté, les lignes directrices canadiennes concernant l’ordonnance des opioïdes, en grande partie calquée sur celles des CDC, recommandent de limiter la dose prescrite à moins de 90 mg d’équivalents de morphine par jour. Toutefois, le Centre national Michael G. DeGroote de recherche sur la douleur de l’Université McMaster, à l'origine des lignes directrices parues en 2017, n’en fait pas une recommandation stricte. «Il se peut que certains patients bénéficient d’une amélioration importante de leur douleur à une dose [plus élevée]. Il peut alors être judicieux d’orienter ces patients vers un collègue pour obtenir un second avis médical sur la possibilité de leur prescrire [une dose plus importante].» Selon la Dre Aline Boulanger, anesthésiste, les recommandations canadiennes sont toutefois peu suivies par les prescripteurs du Québec, qui s’en remettent à celles du CMQ. «L’impact de ce guide a été plus modeste au Québec que dans les autres provinces», constate cette vice-présidente de l’Association québécoise de la douleur chronique. Les nouvelles modifications des CDC pourraient néanmoins inspirer de nouvelles directives au Canada. Les médecins de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, par exemple, qui suivent davantage les lignes directrices canadiennes, pourraient être amenés à changer leur pratique de prescription des opioïdes, estime Philippe de Grandpré. Un record de mortalité La décision américaine d’assouplir les lignes directrices sur la prescription d’opioïdes est prise dans un contexte où le nombre de décès par surdose n’a jamais été aussi élevé chez nos voisins du Sud. Entre avril 2020 et avril 2021, 100 000 Américains sont décédés de surdose, dont les trois quarts sont liés aux opioïdes. En fait, le nombre de décès n’a jamais cessé d’augmenter depuis la publication des dernières lignes directrices des CDC en 2016, et ce, même si le nombre de prescriptions d’opioïdes a diminué au cours de la même période. À cette époque, l’agence américaine avait raison de publier des recommandations plus restrictives puisque ces médicaments étaient alors prescrits en trop grandes quantités, soutient la Dre Aline Boulanger. Toutefois, «certaines restrictions ont pu nuire au traitement adéquat de la douleur de certains patients», mentionne-t-elle. En effet, des patients ont vu leurs doses réduites ou n’ont tout simplement pas eu accès à des opioïdes à cause de ces recommandations. «Les patients ont été obligés de se tourner vers la rue pour avoir des opioïdes et soulager leur douleur. Donc, la mortalité a augmenté puisque plusieurs produits contaminés ont été consommés», explique Philippe De Grandpré. Même si la limite quotidienne n'était qu'une recommandation, plusieurs États américains l’ont inscrit dans leur règlementation. Ainsi, par peur de perdre leur permis d'exercice, plusieurs médecins ont décidé de ne plus prescrire d’opioïdes. «Avant, les opioïdes étaient donnés à quasiment tous les patients en douleur chronique. Ensuite, il y a eu des lignes directrices très strictes. Je crois qu’il y aura bientôt un retour du balancier», analyse le pharmacien spécialisé en douleur chronique. Notons que les lignes directrices des CDC ne s’appliquent pas aux patients souffrant de douleurs dues au cancer, qui sont en fin de vie ou en soins palliatifs.

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