Opinion: Bien informés, les patients sont à l’aise avec tous les professionnels de première ligne!

En tant que chercheurs.ses en services de première ligne provenant de différentes disciplines, nous sommes d’avis que l’article publié le 12 mars dernier, intitulé: «Les patients seraient plus à l’aise avec un médecin de famille qu’avec un pharmacien ou une infirmière pour les soins», ne reflète pas les données retrouvées dans la littérature scientifique, et mérite donc une analyse plus critique. Bien que le Collège des médecins de famille du Canada affirme que «rien ne remplace un.e médecin de famille» aux yeux des patients.tes, il est essentiel de considérer les possibles angles morts de cette enquête et de mettre en perspective ces résultats avec l’ensemble des données probantes sur le sujet, et dans le contexte actuel du système de soins au Canada.De nombreuses études montrent que les soins fournis par les infirmiers.ères cliniciens.nes et praticiens.nes spécialisés.es (IPS), ainsi que les pharmaciens.nes en première ligne sont non seulement efficaces, mais également bien acceptés par les patients.tes. Une revue systématique, ayant un haut niveau d’évidence, a montré que les IPS fournissent des soins comparables aux médecins en termes de qualité et de satisfaction des patients.tes, avec des résultats similaires en matière de prise en charge des maladies chroniques et de prévention1.Par ailleurs, une étude menée dans une région rurale de Québec fait état d’un niveau de satisfaction de 90% parmi les usagers ayant reçus des soins d’un.e IPS2, et on retrouve des résultats similaires dans une étude récente effectuée au sein d’une équipe interprofessionnelle en GMF3. Finalement, il est important de mentionner que des revues systématiques ont également montré que les soins dispensés par les infirmiers.ères sont non seulement acceptés, mais souvent valorisés par les patients4,5.Ensuite, nous pensons qu’il est pertinent de discuter du rôle complémentaire joué par les autres professionnels.les de la santé en première ligne. En effet, plutôt que de penser les professions de façon isolée, il nous semble évident que le système de santé repose sur une approche collaborative et complémentaire entre tous les professionnels.les impliqués.es. L’enquête rapportée dans l’article du 12 mars semble également ignorer un facteur essentiel: l’apport des autres professionnels.les dans l’accessibilité à la première ligne. Une étude de Maier et coll. publiée dans Health Policy montre que dans plusieurs pays ayant intégré des modèles de soins interprofessionnels, l’élargissement du rôle des IPS et des pharmaciens.nes a permis d’améliorer l’accès aux soins, sans compromettre la qualité des services offerts6. De plus, la prise en charge globale du patient est optimisée lorsque d’autres professionnels.les sont intégrés.es, comme le démontre cet article de Charron et coll.7. En effet, dans un contexte où plus d’un million de Québécois.ses sont toujours sans médecin de famille8, affirmer que seule la relation avec un.e médecin est privilégiée par les patients.tes ne tient pas compte de la réalité du terrain, ni de la contribution potentielle et actuelle des autres professionnels.les de la santé qui œuvrent en première ligne. Ensemble, les pharmaciens.nes et les infirmiers.ères offrent un accès rapide et sécuritaire à des soins essentiels, notamment en ce qui concerne la gestion des maladies chroniques, la prescription de médicaments et le suivi des patients.tes. Ces exemples ne représentent qu’une partie des soins et services pouvant être offerts en complémentarité à ceux fournis par les médecins de famille.Finalement, la méthodologie utilisée pour réaliser cette enquête n’est pas précisée et gagnerait à être questionnée. D’abord, il n’est pas précisé si les répondants.tes avaient déjà consulté un.e pharmacien.ne ou un.e IPS pour leurs soins en première ligne. Une méconnaissance des alternatives aux médecins de famille pourrait expliquer certains résultats biaisés. En fait, une étude de Légaré et ses collègues publiée dans CMAJ a montré que les patients.tes exposés.es à des soins collaboratifs, où les rôles des différents.tes professionnels.les sont clairement définis, développent une confiance accrue envers ceux-ci9. La perception des patients.tes peut ainsi évoluer avec une meilleure sensibilisation et une expérience concrète de ces professionnels.les dans ces modèles de soins. Il est donc probable que des patients.tes n’ayant jamais eu d’expérience collaborative aient de la difficulté, lors de l’enquête, à se projeter dans un suivi offert par un.e autre professionnel.le qu’un.e médecin. L’écart entre les données probantes et les résultats de cette enquête soulève aussi certaines questions en termes de rigueur scientifique. L’échantillon des participants.tes représente-t-il la diversité des patients.es en première ligne et vivant diverses expériences de soins, incluant ceux qui n’ont pas de médecin de famille? Le questionnaire utilisé introduisait-il un biais de formulation en suggérant une préférence pour le.la médecin de famille? Ces éléments méthodologiques pourraient exercer une influence importante sur les résultats obtenus.En conclusion, les services de première ligne ne devraient pas être perçus comme centrés uniquement sur les médecins, mais bien comme un réseau intégré où médecins, infirmier.ères, pharmaciens.nes et autres professionnels.les du social et de la santé collaborant pour optimiser les soins aux patients. Pour réaliser ce type d’enquête, il nous paraît essentiel de sonder des patients.tes ayant des expériences diverses et multiples afin de refléter, d’une part, la complexité du système actuel de soins de première ligne, et d’autre part, la diversité des soins et services qui y sont offerts. Malheureusement, certaines conclusions promues par cette enquête perpétuent une vision réductrice et peu compatible avec les défis actuels du système de santé et de services sociaux québécois. Il est essentiel d’encourager un débat fondé sur des données probantes, et non sur des perceptions, afin d’assurer une évolution efficace et équitable de la première ligne au Québec.Bibliographie 1- Swan, M., Ferguson, S., Chang, A., Larson, E., & Smaldone, A. (2015). Quality of primary care by advanced practice nurses: A systematic review. BMJ Open, 5(4), e007167. https://doi.org/10.1136/bmjopen-2014-0071672- Regragui, S., Gallagher, F., Lacroix, M., Leblond, G., Cardinal, S., Fecteau, L., & Lacasse, A. (2019). Patients’ satisfaction with the care provided by nurse practitioners in primary care settings of a remote region of Canada: A cross-sectional study. Clinical Nursing Studies, 7(3), 79–87. https://doi.org/10.5430/cns.v7n3p793- Côté, N; Freeman, A; Jean, E; Dumont, S; Laberge, M; Duhoux, A; Denis, J-L; Binette, S. (2022). Projet pilote Archimède. Les facteurs contributifs à l’optimisation du travail d’équipe – Enjeux d’optimisation des rôles professionnels, de collaboration interprofessionnelle et d’accessibilité à des soins et des services desanté. Centre de recherche en santé durable VITAM.4- Lukewich, J., et coll. (2022). "Effectiveness of registered nurses on system outcomes in primary care: a systematic review." BMC Health Services Research 22(1): 440.5- Norful, A., et coll. (2017). "Utilization of registered nurses in primary care teams: A systematic review." International Journal of Nursing Studies 74: 15-23.6- Maier, C. B., & Aiken, L. H. (2018). Task shifting from physicians to nurses in primary care in 39 countries: A cross-country comparative study. Health Policy, 122(10), 1110-1117. DOI: 10.1093/eurpub/ckw0987- Charron, M., Duhoux, A., Contandriopoulos, D., Page, C. & Lessard, L. (2017). Le rôle des infirmières dans les services de première ligne face aux personnes souffrant d’un trouble mental courant. Santé mentale au Québec, 42(1), 289–303. https://doi.org/10.7202/1040255ar8- Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. (2023). Accès aux médecins de famille : statistiques et défis actuels. Gouvernement du Québec. https://www.msss.gouv.qc.ca9- Légaré, F., Stacey, D., Pouliot, S., Gauvin, F. P., Desroches, S., Kryworuchko, J., & Dunn, S. (2010). Interprofessionalism and shared decision-making in primary care: A stepwise approach towards a new model. Journal of Interprofessional Care, 24(1), 18-30. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.3109/13561820.2010.490502

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