Nouvelle année, vieilles histoires

En ce moment, je me réveille tôt, souvent à 5h30. Je suis en train de manger un yogourt et des baies à 6 heures quand le téléphone sonne. «Votre patiente est revenue. Elle est complètement dilatée. Voulez-vous vous en occuper?»Je réfléchis un instant. Après tout, c'est Rosh Hashanah. J’ai prévu d’aller à la synagogue, mais c’est une patiente que j’attendais. Je l’ai renvoyée chez elle il y a deux jours lorsqu'elle est arrivée en travail latent. Je demande à ma collègue: «Pensez-vous qu'elle puisse accoucher avant 10 heures?» Je sais qu'il s'agit d'une question à laquelle on ne peut pas répondre. «Je pense que oui», répond-elle néanmoins.Je me précipite à l'hôpital, en portant des vêtements passables pour la Shul. Heureusement, je fréquente la synagogue féministe hippie: les tenues chics ne sont donc pas de rigueur. Quand j'ai parlé à ma sœur hier soir, elle m'a dit: «Je pense que je vais porter un pantalon et des baskets à la Shul, juste au cas où nous devrions sortir rapidement».En entrant dans l'Hôpital général juif, je salue d'un signe de tête l'agent de sécurité, j'enfile ma blouse, je tape la main de la réceptionniste au triage et j'embrasse l'une des infirmières en chef sur le chemin de la salle d'accouchement. Je prends des nouvelles de ma patiente, Miranda. C'est son premier bébé. C'est une scientifique américaine, recrutée par une université francophone bien qu'elle ne parle pas français. J’imagine qu’elle doit être brillante. Bien que cette famille ne soit pas vulnérable au même titre que la plupart de mes patients réfugiés, elle est nouvellement arrivée ici et ne connaît presque personne. Je sais que la famille souhaite vraiment que j'assiste à l'accouchement.Lorsque j'entre dans la pièce, je vois le stress disparaître du visage de ma patiente. «Quel couple adorable», me dit Philippe, l'infirmier de nuit. «Ce sont clairement des hipsters et le mari est super mignon avec sa chemise hawaïenne!» J'entre et le mari, Noel, porte effectivement une chemise vintage rouge vif et jaune, dont j'apprendrai plus tard qu'elle appartenait à son défunt père. À côté de Miranda, une femme au visage doux, qui ne peut être que la mère de Noel, lui frotte le dos. Au moment du changement d'équipe, l'infirmière de jour arrive. Miranda commence à pousser avec force et détermination, mais au bout d'une heure, la tête est toujours coincée et commence à enfler. Elle ne descend pas plus bas. Ça ne me plaît pas. À lire aussi: Comment la grossesse et la maternité modifient le cerveau des femmesJe m’entretiens avec la Dre Dina Mohammed. C'est la cheffe des résidents en obstétrique, elle est calme, gentille et compétente. J'ai appris à la connaître, à lui faire confiance et à la respecter. Elle incarne tout ce que l'on attend d'une consultante. Elle vient examiner ma patiente et elle approuve mon évaluation. Lorsque l'obstétricien, le Dr Nguyen, la rejoint, nous discutons des prochaines étapes avec la patiente et sa famille. Le Dr Nguyen leur donne trois options: continuer à pousser, subir une césarienne ou accoucher aux forceps. Nous sortons pour donner à la patiente le temps de discuter avec ses proches. Le Dr Nguyen et moi bavardons un peu à propos de la retraite. Lorsque nous rentrons à nouveau dans la chambre, il est presque 10 heures, mais je ne peux pas partir. La patiente et sa famille optent pour les forceps. Je lui tiens la main, tandis que Dina insère les forceps en douceur. Le bébé naît facilement en deux poussées. L'équipe pédiatrique est là. Le bébé, un peu sonné, est réanimé. Alors qu'il pousse son premier cri et que je le ramène à sa maman, je sens que tout va bien. Après avoir remercié tout le monde et embrassé les nouveaux parents, je pars, je me change et je sors en courant. Je ressens la satisfaction d'un travail bien fait. Je suis reconnaissante de faire partie de cette équipe qui fonctionne bien. Voici des gens venus de partout, d'origines culturelles et religieuses diverses, qui travaillent ensemble pour faire naître une nouvelle vie en toute sécurité. À lire aussi: Quand le mépris exacerbe l’exode des médecins de familleMaintenant, tout ce qui me vient à l'esprit, c'est que je n'ai pas encore bu de café ce matin et que mon estomac gargouille. Mon mari a promis de m’apporter à manger à la synagogue.En me dirigeant vers la station de taxi, je croise un homme qui frappe à la porte du service des dossiers médicaux.«C'est un jour férié à l'hôpital, dis-je, un jour férié juif».Le type me jette un regard noir. «Putain de Juifs!, lance-t-il. Comme si les règles normales ne s'appliquaient pas à eux. Pourquoi ne peuvent-ils pas être ouverts quand tout le monde l'est? Il s'agit d'une institution publique, bon sang. Ces putains de Juifs essaient toujours de contrôler tout le monde!»Je suis déconcertée, mais je n'ai ni le temps ni l'envie de discuter. L'ignorant, je me précipite vers les taxis. Ma petite lueur de satisfaction est cependant anéantie. Je suis maintenant contrariée, en colère et anxieuse. J'arrive à la Shul un peu avant 11 heures. La rue est bordée de barrières en béton. Je passe devant les gardes de sécurité armés, la police et la table de sécurité où l'on vérifie mon identité avant de me laisser entrer. Je pénètre dans le sanctuaire lumineux, dans ce lieu où je fais partie d'une communauté aimante et solidaire. J'écoute ensuite l'histoire d'Abraham, de Sarah et d'Isaac, d'Hager et d'Ismaël et je réfléchis à la manière dont nous en sommes arrivés là.Je revois le bébé quelques jours plus tard, il souffre d'une légère paralysie du nerf facial qui nécessitera un traitement. Parfois, même lorsque vous essayez de faire ce qu'il faut, cela peut laisser des cicatrices.

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