Nous ne sommes pas seuls

Dans La Presse, on rapporte que l'Ordre des Infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) se dit préoccupé par le fait que des infirmières montrent des lacunes dans leur capacité à évaluer l'état des patients. Ceci avait été noté lors de l'inspection professionnelle réalisée par l’Ordre. Un coroner a récemment constaté un problème similaire1.Comme pour les pharmaciens, l'évaluation de la condition physique et mentale des patients est un ajout dans l'exercice professionnel de nos consœurs et confrères infirmières et infirmiers.Depuis quelques années, le système professionnel au Québec a fait l'objet de nombreuses modifications législatives en ce qui a trait aux champs d’exercice des différents corps professionnels qui le composent, en particulier dans le domaine de la santé. Bien que ceci puisse être salué, cela a néanmoins des impacts qui se font ressentir de la formation jusqu'à l'exercice d'une profession. Cela a aussi des incidences sur l'organisation du travail et les ressources humaines requises.Le principal syndicat représentant les infirmières et infirmiers, la Fédération interprofessionnelle du Québec, a dénoncé cette situation en argumentant que ceci fait «porter aux professionnels l'odieux des défaillances systémiques d'un réseau à bout de souffle».Cela ressemble en beaucoup de points à la récente situation dénoncée par de nombreux pharmaciens à la suite d’une décision du Conseil de discipline de l'Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ).Les changements dans les rôles professionnels vont-ils trop vite ?Pour répondre aux préoccupations de ses membres, l'OIIQ dit avoir conçu une formation destinée aux maisons d'enseignement collégial et universitaire ainsi qu’aux établissements de santé. Elle sera diffusée cet automne.Il me semble inspirant que l’OIIQ ait noté ses propres lacunes lors du processus d'inspection professionnelle et a réagi en concevant une formation sur le sujet. Cette approche pourrait être fort inspirante pour l’OPQ.Lors de changements législatifs majeurs, même si les institutions d'enseignement adaptent leurs programmes en conséquence, les professionnels en exercice ont aussi besoin de formation supplémentaire et de soutien. Il faut développer une masse critique de professionnels détenant ces compétences et qui pourront les utiliser ou les partager à leurs consœurs et confrères.La profession de pharmacien a vécu quatre changements législatifs dans les quelques 25 dernières années. C’est énorme!Comme le soulignait le confrère Christophe Augé dans l'un de ses récents billets2, la polyvalence du pharmacien est attrayante, mais elle comporte du même coup son lot de défis. On lui demande d’avoir une polyvalence qui me semble supérieure à celle exigée de nos consœurs infirmières.Les pharmaciennes et pharmaciens du Québec doivent traiter l'ensemble des patients se présentant à leur pharmacie et qui reçoivent des ordonnances de médecins de famille et de médecins spécialistes. Rappelons qu’au Québec, il y a plus de 60 spécialités médicales incluant la médecine familiale. Est-il raisonnable de penser que le pharmacien de première ligne peut détenir toutes les connaissances et les spécificités propres à chacune de ces spécialités ?Le dossier de la spécialité en pharmacie fait du surplace depuis plus de 30 ans. Cette reconnaissance des différentes spécialités en pharmacie devrait viser à ce que la profession, dans son ensemble, puisse détenir les expertises requises pour fournir des soins pharmaceutiques de qualité requis par nos patients. La reconnaissance des spécialités présenterait un autre avantage indéniable en fixant aussi une limite à ce qui peut raisonnablement être adressé par un pharmacien de première ligne en pharmacie communautaire.Ainsi, non seulement la formation des pharmaciens gagnerait à être bonifiée, tant dans la formation à l'évaluation physique et mentale, mais aussi dans plusieurs domaines de surspécialité médicale.En général, il semble raisonnable de penser que la première étape dans un processus de changement est une formation, et par la suite une évaluation de la pratique, avant de passer au processus des sanctions au sein du processus disciplinaire.Il me semble donc opportun de réfléchir et de s'inspirer de l'initiative de l'OIIQ, et de penser à créer rapidement un réseau de soutien et d'expertise pour les pharmaciens de première ligne après avoir défini des attentes réalistes.Références1- https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2025-07-30/soins-infirmiers/des-lacunes-dans-l-evaluation-des-patients.php#2- https://professionsante.ca/ode-la-polyvalence-et-son-maintien