«Nous avons besoin de la crédibilité sociale des médecins» -- Corinne Voyer, de la Coalition Poids

L’obésité gagne du terrain. La Coalition québécoise sur la problématique du poids veut profiter des prochaines élections pour interpeller les partis politiques et amener les autorités publiques à agir.Tour d’horizon des possibles mesures à prendre avec Corinne Voyer, chargée de dossier à la Coalition. Infirmière bachelière, elle est détentrice d’une maîtrise en santé communautaire.Le Québec grossit-il?Oui. Nous ne parvenons pas à contenir l’épidémie d’obésité: 60,1% des hommes canadiens, 44,2% des femmes ont un excès de poids1.L’obésité chez les enfants et les adolescents canadiens a presque triplé au cours des 25 dernières années. Au Québec, c’est près d’un enfant sur quatre qui présente un excès de poids (2004)2. On remarque également que les problèmes de poids sévères frappent maintenant dès la petite enfance.Que propose la Coalition Poids?Nous redoublons d’ardeur en ces temps de préparation d’élections pour tenter d’influencer les décideurs, en suggérant cinq mesures concrètes identifiées prioritaires par nos partenaires (encadré ci-dessous). Elles pourraient assez facilement faire consensus.Crédibilité des médecinsQu’attendez-vous des médecins?Qu’ils se prononcent publiquement, et avec plus d’ardeur, en faveur des saines habitudes de vie et de la prévention de l’obésité. Leur crédibilité sociale pourrait accélérer bien des dossiers.Quelques médecins s’impliquent déjà, à la Coalition notamment, et les moyens sont à la portée de tous: lettres ouvertes aux médias, dépôt de mémoires lors de consultations publiques, participation à des conférences de presse quand des enjeux publics sont en jeu, présence sur les blogues, rencontre avec les élus, etc.Quand un médecin se prononce, on a tendance à l’écouter, et encore plus lorsque les médecins font front commun. La santé publique ne s’active-t-elle pas déjà?Oui, mais ce n’est pas suffisant. Rien de tel qu’un médecin clinicien confronté chaque jour à la maladie pour témoigner des difficultés vécues par ses patients et pousser les décideurs à agir.L’idéal, c’est quand un «clinicien champion» -- je pense par exemple au Dr Martin Juneau --, influence directement ses pairs.Le Dr Juneau est l’exemple-type du médecin qu’on veut avoir partout au Québec: un clinicien engagé, dans son milieu et dans la communauté, qui rallie la pratique clinique, la recherche, la prévention des maladies chroniques et la promotion des saines habitudes de vie. Le médecin doit être conscient que, lorsqu’un patient sort de son bureau, bien qu’on lui ait dit de bien manger et de bouger plus, il est souvent livré à lui-même, dans un environnement pas toujours propice pour adopter de saines habitudes de vie.Il faut se demander pourquoi ce même patient, après deux pontages, revient pour un troisième. C’est là qu’on voit les limites de l’éducation quand notre environnement est devenu obésogène.Que pourraient faire concrètement les médecins pour promouvoir la santé?Contribuer à définir une norme sociale que la population adoptera. L’exemple de la lutte au tabac peut les y aider. C’est acquis, par exemple, qu’on ne fume pas dans un lieu public; or, ce type de norme sociale, il faut l’instaurer aussi pour l’obésité, avec des acteurs mobilisés.Sans se limiter à l’éducation, il s’agit de créer des environnements favorables contribuant à nous faire bouger plus par exemple.C’est très fort, une norme sociale, ça a un puissant effet d’entraînement. On l’a bien vu aussi avec la ceinture de sécurité que l’on attache désormais.Prenez les pistes cyclables: la demande est là, et l’on peut accélérer le mouvement en en créant de nouvelles, tout en adoptant simultanément des mesures d’apaisement de la circulation automobile.Ce choix de société, le maire du Plateau Mont-Royal, à Montréal, l’a fait. On le critique parce qu’il veut remettre l’auto à sa place, mais dans 10 ans, on l’en félicitera.Changer les choses, c’est tout un engrenage; seule une suite de petits pas peut conduire à susciter de nouvelles normes sociales. Encore faut-il commencer par se mettre en marche.Et dans le réseau de la santé?Qu’attendent les hôpitaux pour sortir la malbouffe et les boissons sucrées de leurs machines distributrices?Ça se traduirait certes, dans un premier temps, par une perte de revenus pour leurs fondations, mais se doter d’une politique alimentaire digne de ce nom à l’hôpital, comme du reste à l’école, qui sont tous deux des lieux exemplaires, avec le soutien de l’État, m’apparaît un minimum.Sortir la friteuse devra aussi s’accompagner de cours de savoir culinaire à donner aux employés.Taxer la malbouffeCertaines mesures peuvent être prises rapidement, selon vous, comme taxer les boissons gazeuses…Oui, que les professionnels de la santé fassent consensus sur ce sujet et le dossier avancera vite.Quand l’industrie agroalimentaire commence à avoir peur, c’est bon signe. Ses techniques consistent à nous faire croire que tous ses produits sont bons pour la santé.Or, de l’eau et beaucoup, beaucoup de sucre, le tout décliné sous X formes et avec des emballages sexy, ça reste de l’eau et du sucre.Ces compagnies s’excusent en investissements, en finançant les organismes voués au sport, comme Participaction. C’est bon pour leur image, mais il y a là quelque chose de malsain.En fait, le système économique lui-même est malade, quand il en arrive à associer par exemple Coke et McDo aux Jeux Olympiques. Ces compagnies vendent leurs produits en les associant à des corps d’athlètes, alors que ces produits n’ont vraiment aucun lien, bien au contraire, avec la santé.C’est tout cela qu’il faut dénoncer, et des organismes comme le nôtre, avec des budgets modestes, essaient de faire contrepoids au lobby de l’argent.En attendant de changer le système, que faire?Le problème n’est pas de manger de la malbouffe de temps en temps, mais d’être inondé de publicité pour ces produits, à l’exclusion de tous les autres. Et aussi, que ce marketing vise des clientèles déjà vulnérables, dont les enfants et les personnes de milieux défavorisés, qui ont déjà les problèmes de santé les plus fréquents.Plus que tout, je dénonce les tactiques qui utilisent les enfants pour vendre tout et n’importe quoi. Voyez dans les épiceries comment l’on prend bien soin de mettre les produits nocifs pour la santé à la hauteur des yeux des enfants, les boissons sucrées et autres M&M's.Une épicerie pourrait très bien cesser cette pratique et poser ces produits plus haut, sur les tablettes, en privilégiant plutôt les bonnes choses, fruits ou autres, à hauteur des yeux des enfants. C’est tellement facile de tout tirer vers le bas…*Une initiative parrainée par l’Association pour la santé publique du Québec.Coalition PoidsCinq mesures et recommandations Investir en prévention.Près d’un enfant québécois sur quatre souffre d’embonpoint ou d’obésité; 57% de la population adulte est en surpoids au Québec.Pour chaque dollar investi en prévention, ce sont 5,60 $ épargnés en soins de santé (étude du Trust for America’s Health).Recommandation: Financer des actions visant à augmenter l’accès et la consommation d’aliments sains et abordables pour tous; encourager un mode de vie physiquement actif, transport actif et collectif, en augmentant les occasions de bouger à l’école.Instaurer une taxe sur les boissons gazeuses.Chaque canette de 355 ml de boissons sucrées contient en moyenne sept cuillerées à thé de sucre -- c'est vrai pour les boissons gazeuses, punchs, cocktails (excluant les jus de fuit à 100%), boissons énergétiques et énergisantes, eaux vitaminées/enrichies/thés et cafés froids préparés et prêts à la consommation, breuvages laitiers aromatisés.Ces boissons sucrées sont un contributeur important à l’épidémie d’obésité, selon l’OMS et diverses autres organismes de santé. Elles sont associées également au diabète de type 2, aux maladies cardiovasculaires, syndrome métabolique, hypertension et détérioration de la santé dentaire et osseuse.Recommandation: Instaurer une taxe sur les boissons sucrées, payée par les fabricants sous forme de redevance. Les revenus seraient réinvestis pour favoriser un meilleur accès aux aliments sains. Favoriser le transport actif.Marche, vélo, patin à roues alignées, planche à roulettes… une façon simple et accessible de stimuler l’activité physique, et donc de réduire les taux d’obésité.La lutte à la sédentarité est de tous les instants, chaque kilomètre parcouru à pied chaque jour étant associé à une diminution de presque 5% de la probabilité d’être obèse.Partout dans le monde, le pourcentage de marcheurs et de cyclistes réguliers est inversement proportionnel au taux d’obésité (Source : Isabelle Paré, Genève, paradis piéton. Le Devoir, 5 mai 2012, pp. A7).Recommandation: Que l’État offre aux municipalités les moyens, connaissances et ressources qui permettront un meilleur aménagement urbain, véritable stratégie pour lutter contre l’obésité et favoriser la santé. Développer les compétences culinaires à l’école.La perte du savoir-faire (notions et habiletés culinaires de base) a un impact sur la saine alimentation. Cette perte serait, selon certains, en partie responsable de la dépendance aux aliments transformés, achetés à l’épicerie ou préparés au restaurant.Les jeunes femmes qui participent à la préparation des repas consommeraient moins de boissons gazeuses; les jeunes hommes qui font de même consommeraient moins de friture.Recommandation: Que l’école redonne aux enfants des compétences culinaires, notamment grâce au retour des cours de cuisine.Adopter une politique d’école active. Au cours des dernières années, la condition physique des jeunes s’est détériorée. À tel point qu’un nombre croissant d’entre eux présentent des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires3.L’activité physique avant la puberté et à l’enfance est particulièrement bénéfique à la santé et ses effets perdurent à l’âge adulte4. Les études démontrent également que l’activité physique améliore les performances scolaires5,6.Recommandation: Faire bouger les jeunes, 60 minutes par jour, à l’école, et ce, par l’accompagnement et le soutien des intervenants entourant le milieu scolaire et par le financement, l’accessibilité et la qualité des infrastructures.1) Statistique Canada (2012). Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, 2011. http://www.statcan.gc.ca/daily-quotidien/120619/dq120619b-fra.htm2) Tjepkema, M. et M. Shields (2005). Obésité mesurée : obésité chez les adultes au Canada, Ottawa, Statistique Canada, produit no 82-620-MWF20050001, 35 pages : http://www.statcan.gc.ca/pub/82-620-m/2005001/article/adults-adultes/8060-fra.htm3) Comité scientifique de Kino-Québec (2011). L’activité physique, le sport et les jeunes – Savoir et agir. Secrétariat au loisir et au sport, minitère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, gouvernement du Québec.4) Comité scientifique de Kino-Québec (2011). L’activité physique, le sport et les jeunes – Savoir et agir. Secrétariat au loisir et au sport, minitère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, gouvernement du Québec.5) J.Pediatr 2005 ; 146 : 732-76) Comité scientifique de Kino-Québec (2011). L’activité physique, le sport et les jeunes – Savoir et agir. Secrétariat au loisir et au sport, minitère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, gouvernement du Québec.

«Nous avons besoin de la crédibilité sociale des médecins» -- Corinne Voyer, de la Coalition Poids

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