Normaliser les questions sur les habitudes de consommation d'alcool est la clé d'un dépistage réussi, selon des médecins

De nombreux médecins sont d'accord avec les nouvelles lignes directrices les incitant à interroger leurs patients sur leur consommation d'alcool, mais ils constatent également des obstacles: les gens ne savent plus quelle quantité d'alcool ils consomment, certains mentent et beaucoup ne savent pas à quoi correspond une consommation ou un «verre standard». La Dre Ginette Poulin, médecin généraliste spécialisée en toxicomanie au Manitoba et en Ontario, estime qu'il est important que les médecins normalisent ces conversations, car la détection précoce de la consommation d'alcool à haut risque est essentielle pour prévenir de graves problèmes de santé, au même titre que le dépistage systématique du diabète ou de l'hypertension artérielle. Si les gens vous disent: «"Je bois environ deux verres le soir", vous pourriez probablement doubler ce qu'ils vous disent pour évaluer leur consommation réelle, car nous savons que les gens ont honte», a-t-elle affirmé. Les patients minimisent souvent la quantité qu'ils boivent, peut-être parce qu'ils ne réalisent pas qu'un verre de vin de neuf onces équivaut à près de deux verres standard, a souligné la Dre Poulin, l'une des trois douzaines d'auteurs d'un guide clinique publié la semaine dernière dans le Journal de l'Association médicale canadienne. À lire aussi: De nouvelles directives invitent les médecins à dépister régulièrement les troubles liés à la consommation d'alcool Les recommandations à l'intention des médecins de famille les encouragent à demander à leurs patients la fréquence et la quantité d'alcool consommée, afin de déterminer les habitudes de consommation excessives potentielles. Il s'agit notamment de demander aux femmes combien de fois, au cours de l'année écoulée, elles ont bu plus de quatre verres en une seule occasion, et aux hommes combien de fois ils ont bu plus de cinq verres. Le guide recommande aux médecins d'aller plus loin en posant quatre questions du questionnaire CAGE, à savoir si le patient a déjà envisagé de réduire sa consommation d'alcool, s'il est agacé par les critiques concernant sa consommation, s'il se sent coupable ou s'il prend un verre tôt le matin pour commencer la journée. Le Centre canadien sur les dépendances et l'usage de substances a publié en début d'année des recommandations distinctes indiquant que la consommation de plus de deux verres par semaine est liée à des risques croissants pour la santé. Selon les estimations, 57% des Canadiens âgés de 15 ans et plus dépassent cette quantité. Les admissions à l'hôpital liées à la consommation d'alcool, notamment à la suite de blessures et de crises d'épilepsie, suggèrent que les gens devraient être interrogés sur leur consommation, a affirmé Dre Poulin. Un formulaire que les patients remplissent lorsqu'ils consultent un nouveau médecin pourrait inclure des questions sur la consommation d'alcool afin d'en discuter avec eux ultérieurement, a-t-elle ajouté. «Nous avons plus d'hospitalisations par mois au Canada liées à l'alcool qu'aux maladies cardiaques, et nous ne consacrons toujours pas d'argent et d'approches fondées sur des données probantes spécifiques à l'alcool. Nous devons faire mieux, et c'est, je pense, l'objectif de ces lignes directrices.» Le document d'orientation, élaboré conjointement par le Canadian Research Initiative in Substance Misuse et le BC Centre on Substance Use, indique que les médecins peuvent discuter avec leurs patients des façons de réduire leur consommation d'alcool, leur prescrire des médicaments ou les orienter vers des services d'aide pour y faire un sevrage en toute sécurité. Le rapport invite également les cliniciens, y compris les infirmières praticiennes, à éviter d'utiliser des termes tels que «abus d’alcool» pour réduire la stigmatisation, à aborder le sujet de la consommation d'alcool sous forme de conversation et à demander le consentement des patients avant de poser des questions de dépistage afin d'instaurer un climat de confiance. On peut par exemple demander: «Quelle est la place de l'alcool dans votre vie?» Selon la Dre Poulin, la toxicomanie est toujours stigmatisée, y compris au sein du corps médical, et de nombreux médecins ne savent pas qu'ils peuvent prescrire des médicaments, notamment la naltrexone, l'acamprosate et le disulfiram, pour lutter contre le besoin de boire de l'alcool. Une étude publiée en juillet dans la revue Addiction par des chercheurs de l'Université de Colombie-Britannique et du BC Centre on Substance Use indique qu'entre 2015 et 2019, moins d'un quart des personnes de la province répondant aux critères du trouble de l'usage de l'alcool se sont vu prescrire des médicaments. L'étude note que moins de 5% des patients souffrant d'une addiction modérée à sévère ont reçu des médicaments pendant la durée minimale recommandée de trois mois. Selon Lindsay Sutherland Boal, de Toronto, le fait de parler de sa consommation excessive d'alcool, «dangereuse», l'a aidée à réaliser qu'elle n'était pas seule dans sa lutte quotidienne contre l'alcool. Elle a décidé d'arrêter de boire le 24 janvier 2020, après avoir avalé deux bouteilles de vin la veille. Le dernier document de recommandations est un outil précieux pour aider les gens à entamer des conversations sur la consommation d'alcool dans l'intérêt de leur santé, a-t-elle déclaré. «Les personnes qui boivent trop ne savent pas que leur médecin généraliste peut les aider. Ils ignorent qu'il est souvent dangereux de ne pas leur parler avant un sevrage», a précisé Lindsay Sutherland Boal, à propos des symptômes débilitants tels que l'accélération du rythme cardiaque et la transpiration provoqués par l'arrêt brutal de l'alcool. «Nous avons peur d'être soit quelqu'un qui n'a aucun problème, soit quelqu'un qui est à l'autre bout du spectre et qui est un alcoolique à part entière», a-t-elle dit. «La majorité des gens, lorsqu'on leur demande combien ils boivent, mentent parce qu'ils ne veulent pas que leur médecin généraliste pense qu'ils sont alcooliques.» Mme Sutherland Boal, qui a lancé un groupe appelé «She Walks» en janvier 2022 pour soutenir les femmes comme elle, par le biais de rassemblements en ligne et d'événements de marche, a déclaré que le fait d'avoir la liberté de parler ouvertement de l'alcool aide à déstigmatiser un problème de société majeur. «Je suis devenue sobre en marchant et en parlant. Je devais commencer à parler. Mais je ne pouvais pas marcher très loin parce que j'étais en surpoids, que je n'étais pas en forme et que mon corps s’effondrait», a-t-elle partagé, en ajoutant que l'abandon de l'alcool l'avait aidée à se remettre en forme et à faire plus attention à sa santé et à son bien-être. Le Dr Peter Butt, médecin généraliste récemment retraité et spécialisé dans la médecine des addictions, estime que les patients qui consultent pour des problèmes d'insomnie, de dépression et d'anxiété devraient être interrogés sur leur consommation d'alcool, car toutes ces affections peuvent être liées à l'alcool, en particulier chez les buveurs excessifs. «Il s'agit de leur relation avec l'alcool, de ce qu'ils en retirent, de ce qui est problématique et de leur intérêt à rechercher différentes options pour y remédier», a lancé le Dr Butt, professeur associé au département de médecine familiale de l'Université de Saskatchewan. Il est important d'élargir et de normaliser la conversation, a ajouté le Dr Butt, qui a également coprésidé le groupe d'experts chargé d'élaborer les directives canadiennes sur l'alcool à faible risque, publiées en janvier. «Pourquoi une conversation sur l'alcool devrait-elle être plus tendue que si elle porte sur le tabac, le cannabis ou une autre substance? Nous devrions avoir des conversations régulières sur la consommation de substances afin de la surveiller et de voir si les gens rencontrent des difficultés et où ils en sont en ce qui concerne la modification de leur niveau de consommation, ou peut-être un arrêt complet.»

Normaliser les questions sur les habitudes de consommation d'alcool est la clé d'un dépistage réussi, selon des médecins

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes