Morphine vs kétorolac : quelle option privilégier pour soulager la douleur postopératoire ?

Pascale Ouellet et Ariane Martel-Rajotte Article de référence Cepeda MS, Carr DB, Miranda N, Diaz A, Silva C, Morales O. Comparison of morphine, ketorolac, and their combination for postoperative pain, Anesthesiology, décembre 2005; 103:1225-32. Objectif Comparer l’efficacité et l’innocuité de la morphine utilisée seule versus le kétorolac, utilisé seul ou en association, au besoin, avec lamorphine, pour le soulagement de la douleur postopératoire immédiate. Conception Essai clinique randomisé à double insu avec groupe témoin actif. Contexte Hôpital San Ignacio, centre hospitalier universitaire tertiaire de Bogotá, Colombie. Participants Patients adultes(18-60 ans)recrutés de mai à novembre 2003 ayant subi une intervention chirurgicale(abdominale, orthopédique, cranio-faciale, thoracique ou spinale)et présentant une douleur qualifiée d’au moins « modérée » à leur arrivée en salle de réveil. Les critères d’exclusion ont été les suivants : âge > 60 ans, asthme, allergie aux AINS, histoire d’ulcère gastrique ou de fonction rénale anormale, grossesse, utilisation d’AINS six heures avant ou durant la chirurgie, antécédents d’usage prolongé de narcotiques, usage de narcotiques dans les cinq jours précédant la chirurgie, instabilité hémodynamique postopératoire. Interventions En tout, 1003 patients ont été répartis au hasard en deux groupes : le groupe « morphine »(n = 500)recevait 0,1 mg/kg de morphine par voie intraveineuse et le groupe « kétorolac »(n = 503)recevait 30 mg de kétorolac par voie intraveineuse. Après 30 minutes d’observation, si les patients requéraient davantage d’analgésie(seuil visé : douleur d’intensité 4/10), des doses de2,5 mg de morphine étaient administrées aux10 minutes jusqu’à l’atteinte du seuil. Principales mesures de résultats La mesure principale était la proportion de sujets ayant rapporté un soulagement d’au moins 50 % de la douleur à 30 minutes selon une échelle numérique de 0-10 et selon l’échelle de Likert(cinq degrés, allant d’aucun soulagement à un soulagement complet). Les mesures secondaires étaient : la dose de morphine nécessaire pour atteindre une douleur d’intensité ≤ 4/10 et les effets secondaires(présence et gravité de la sédation, des nausées, des vomissements, du prurit et des étourdissements). Résultats La proportion de sujets ayant rapporté un soulagement d’au moins 50 % de la douleur à30 minutes était de 50 % dans le groupe morphine versus 31 % dans le groupe kétorolac(différence de 19 %; IC 95 % de 13 % à 25 %). Le groupe kétorolac a consommé au total moins de morphine(différence de 6,5 mg;IC 95 % de -5,8 mg à -7,2 mg)et a présenté moins d’effets secondaires que le groupe morphine(différence de 11%; IC 95 % de 5 % à 16 %). Conclusion En monothérapie, la morphine est plus efficace que le kétorolac pour obtenir un soulagement rapide de la douleur durant les 30 premières minutes postopératoires. Cependant, l’association kétorolac-morphine diminue les besoins morphiniques pour un soulagement comparable, tout en diminuant les effets secondaires liés aux opioïdes. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude La douleur aiguë postopératoire étant un problème fréquent en anesthésiologie, son contrôle est primordial. L’utilisation d’un AINS en association avec des opioïdes pour la pallier est une pratique courante. Le kétorolac est-il vraiment aussi efficace que la morphine et permet-il une diminution des effets secondaires liés aux opioïdes ? Importance des résultats L’étude démontre de façon statistiquement significative une réduction moyenne de la douleur aiguë à 30 minutes en faveur de la morphine comparativement au kétorolac lorsqu’ils sont utilisés en monothérapie; soit un nombre de patients à traiter de cinq. À la suite de l’administration de doses de morphine en association avec le kétorolac, on ne note plus de différence entre les deux groupes pour ce qui est du soulagement de la douleur. Il y a toutefois une différence statistiquement significative entre les deux groupes en ce qui concerne les effets secondaires dans leur ensemble, mais non significative pour certains pris séparément(nausées, vomissements, usage d’antiémétiques). Critique de la méthodologie Il s’agit d’un essai clinique randomisé dont le processus de randomisation et d’assignation est bien détaillé et adéquat. La puissance de l’étude permet de détecter une différence significative pour le soulagement d’au moins 50 % de la douleur initiale. Les groupes comparés ont des caractéristiques semblables, à l’exception qu’il y avait 5,6 % plus d’hommes dans le groupe kétorolac. Le choix des médicaments est adéquat, et les doses comparées sont dans la moyenne pour la gestion de la douleur postopératoire. La période d’observation a été établie en fonction des caractéristiques pharmacocinétiques semblables des deux molécules évaluées. La mesure de l’intensité de la douleur se faisait selon une échelle numérique ayant déjà été démontrée comme étant valide et fiable dans plusieurs autres études. Finalement, l’analyse des résultats a été faite selon l’intention de traitement, bien que cela ait eu peu d’impact puisqu’il n’y a pas eu de perte au suivi. Quelques points méritent par contre d’être soulignés. Premièrement, la méthode utilisée pour décrire l’intensité de douleur afin d’inclure les patients dans l’étude s’avère très subjective. Certains patients ont-ils été exclus ou inclus à tort ? Deuxièmement, tel que mentionné précédemment, la différence entre les groupes quant à la répartition des sexes pourrait faire sous-estimer légèrement l’efficacité relative du kétorolac sur la consommation morphinique et sur l’incidence d’effets secondaires étant donné que les femmes consommaient en moyenne 20 % plus d’opiacés que les hommes pour un soulagement équivalent. Finalement, on ne semble pas avoir pris en considération l’utilisation concomitante de prophylaxie antiémétique peropératoire. A-t-elle été similaire entre les deux groupes ? Pourrait-il y avoir une différence significative entre les deux groupes par rapport aux nausées et vomissements qui aurait été « masquée » par cette cointervention ? Mise en perspective selon l’état des connaissances Par le passé, plusieurs méta-analyses 1,2 ont comparé l’utilisation des AINS à celle de différents opioïdes pour soulager la douleur aiguë postopératoire. Les résultats ont démontré un soulagement similaire pour la morphine et le kétorolac . Toutefois, les études comparaient chacune des solutions thérapeutiques à un placebo sans les comparer directement entre elles. En 2004, la Société américaine d’anesthésiologie 3 recommandait que l’analgésie multimodale soit privilégiée afin d’offrir un soulagement efficace de la douleur tout en minimisant les effets secondaires. Enfin, il serait possiblement encore plus avantageux de prévenir l’apparition de la douleur plutôt que de la traiter une fois qu’elle est établie, selon les données d’une revue systématique qui démontre qu’un AINS donné en préopératoire réduit la consommation morphinique chez un patient sur trois comparativement au placebo 4. Références 1. McQuay HJ, Carroll D, Moore RA. Injected morphine in postoperative pain :a quantitative systematic review.J Pain Symptom Manage, mars 1999, 17(3):164-74. 2. Smith LA, Carroll D, Edwards JE, Moore RA, McQuay HJ. Single-dose ketorolac and pethidine in acute postoperative pain : systematic review with meta-analysis.Br J Anesth, janvier 2000, 84(1):48-58. 3. Practice guidelines for acute pain management in the perioperative setting : an updated report by the American Society of Anesthesiologists Task Force on Acute Pain Management. Anesthesiology, juin 2004;100(6):1573-81. 4. Mason L, Edwards JE, Moore RA, McQuay HJ. Single-dose oral naproxen for acute postoperative pain : a quantitative systematic review. BMC Anesthesiol, septembre 2003;3(1):4. Contribution à la prise de décision clinique La morphine présente une efficacité à court terme avantageuse par rapport au kétorolac en ce qui concerne le contrôle de la douleur aiguë postopératoire. L’utilisation combinée du kétorolac et de la morphine permet de réduire les besoins en opiacés et de diminuer certains effets secondaires.

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