Monsieur le ministre, suis-je vulnérable?

Pendant des années, j'ai traîné un mal de «postérieur». J'ai vu je ne sais combien de médecins et de spécialistes, j'ai appliqué une panoplie de crèmes, d’onguents et de liniments, j'ai passé nombre de RSOS et coloscopies, longues et courtes. Je détiens la mention peu enviable d’être l’un des seuls à avoir pédalé le Mont Ventoux en transportant un bain de siège dans ses bagages (il faut le faire!). Mille fois j’ai pensé que j'avais une maladie inflammatoire intestinale, un Crohn ou une colite ulcéreuse, ou pire, un cancer du côlon...Pendant des années, j'ai eu de la difficulté avec mon sommeil, ronflant épouvantablement, passant une polysomnographie qui a confirmé mon apnée du sommeil, incapable de m'accoutumer au CPAP peu importe la pression, l'humidité, la température, les masques et les embouts, vivant conséquemment avec cette constante fatigue...Pendant des années, j'ai ressenti une terrible mélancolie avec mes sempiternelles hauts et bas, j'ai vu moult psychiatres, psychologues et pris une multitude de pilules...Pendant des années… bon, je pense que le topo est clair!Pourtant, si vous me demandiez si je me considère en bonne santé, je vous répondrais que oui. Ou si, à l'inverse, vous me demandiez si je me considère comme «vulnérable», je vous répondrais que je le ne crois pas. Après tout, je suis pas-pire-pour-mon-âge. Bon pied, bon œil. J’ai encore toute ma tête… enfin je pense. Je jouis de la vie… en tout cas pour l’instant. Notez que je n’ai aucun mérite à cela: un amalgame de génétique, d’environnement et de conditionnement favorables. Si nous étions un ou deux siècles plus tôt, ça ferait longtemps que je serais mort et enterré.Donc, pas vulnérable, mais sans doute vénérable!Toutefois, s'il me fallait que j'accepte de me considérer vulnérable pour avoir accès à un médecin de famille, je veux bien. Si cela faisait votre affaire, celle du Ministère, de la RAMQ ou de ma Fédération, pourquoi pas. Mais j’ai comme l’impression qu’à ce compte-là, nous serions plusieurs vulnérables qui s’ignorent, tous des malades en puissance et en devenir.Après tout, il faut ce qu'il faut pour avoir un médecin de famille ou pour le conserver!Or, il me semble que dans mon temps, c'était plus facile. Du genre:- Docteur, voudriez-vous être mon médecin de famille?- Bien sûr… Passez à mon bureau, je vais m’occuper de vous.À l’époque, nous étions pourtant bien moins nombreux et, toutes proportions gardées, il y avait autant de patients. Les grands malades venaient plus souvent, et ceux en bonne santé ne consultaient qu’occasionnellement (personne n’aime aller chez le docteur, non?). Les médecins de famille faisaient alors du bureau, allaient à l’hôpital s’occuper de leurs grands malades et pratiquaient aussi à l’urgence et en obstétrique. Avoir l’avis d’un collègue spécialiste était facile, c’étaient des consultations de corridor ou des échanges à la cafétéria ou au salon des docteurs – tout le contraire des CRDS actuels, infiniment pénibles et frustrants. Nous prenions soin de tous, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, naissants ou grabataires, qu’importe leurs statuts ou leurs conditions, conformément aux principes de la médecine familiale alors en vigueur: «Le médecin de famille est une ressource pour une population définie de patients.»1 C’était avant les compétences transversales. Nous exercions alors sans nous préoccuper des codes de vulnérabilité. La facturation était simple : EO, EC, ECM. À lire aussi: Formulaires: partagez vos anecdotes ubuesquesJe ne sais pas pourquoi on s’est mis à compliquer tout cela, et mettre plein de fonctionnaires et de bien-pensants pour décider à notre place. Toujours plus de normes et de cadres. Toujours plus de PREM, de MIR et d’AMP, de contraintes multiples. Une facturation de plus en plus complexe avec plein de codes, dont les fameux codes de vulnérabilité, et plein de forfaits. Et toujours plus d’admissions en médecine dans l’espoir de compenser le manque, menant à davantage de diplômés boudant la médecine familiale. Toujours plus de professionnels de la santé: plus d’infirmières spécialisées dotées de généreux forfaits d’installation et forfaits annuels; plus d’infirmières cliniciennes qui s’occupent du suivi des maladies chroniques; plus de pharmaciens mis à contribution; plus d’autres professionnels dotés de privilèges élargis… À tel point qu’on ne sait plus qui fait quoi.Et pourtant, toujours et malgré tout, autant de difficultés, sinon plus, à se trouver un «docteur»!!! C’est à n’y rien comprendre.Allez, vieux vénérable, va. Allez, vieux vulnérable, va t’inscrire sur la liste.1 Les quatre principes de la médecine familiale:Le médecin de famille est un clinicien compétent. La médecine familiale est une discipline communautaire.Le médecin de famille est une ressource pour une population définie de patients.La relation patient/médecin constitue l'essence du rôle du médecin de famille.