Monsieur Dubé, que se passe-t-il?

Depuis quelques semaines, j’assiste avec stupeur au mauvais spectacle médiatique qui a pris l’affiche après la décision de Christian Dubé de ne pas renouveler l’entente sur l’accessibilité pour les patients (GAP). D’abord, j’ai cru à une simple partie de poker de négociation entre la FMOQ et le MSSS. Mais en lisant Le Devoir le 25 mai dernier, j’ai compris que le malaise qui existe entre monsieur Dubé et les médecins de famille est beaucoup plus profond et important qu’il n’y paraît. Au sujet de l’absence de médecin de famille nommé sur le CA de Santé Québec, le ministre a déclaré qu’«on ne peut pas avoir tout le monde» au CA, et que celui-ci compte déjà «cinq représentants de la première ligne». «Moi, je travaille avec ceux qui veulent travailler avec nous. Je suis très content du conseil.»Je côtoie des collègues médecins de famille qui travaillent quotidiennement avec le MSSS. Ils le font avant tout pour leurs patients et la santé de la population québécoise, mais ils collaborent aussi avec le Ministère. On a qu’à repenser à la pandémie: les médecins de famille, comme groupe, ont travaillé main dans la main avec le MSSS et le gouvernement. Ils ont fait preuve de civisme, de professionnalisme, de courage et de service public en appliquant les consignes de la Santé publique rigoureusement (malgré certaines incohérences et des changements trop fréquents et parfois tatillons) et ont répondu présents à chacune des demandes prioritaires, comme l’ouverture et l’opération des cliniques désignées d’évaluation (CDÉ), la couverture médicale des CHSLD et des résidences pour aînés (RPA). Tout cela sans cadre punitif ni bonifications pécuniaires disproportionnées. L’entente sur l’accessibilité pour les patients (GAP) est une entente négociée de bonne foi entre la FMOQ et le MSSS. Pour ceux qui lisent mes blogues, vous n’êtes pas sans savoir que je n’ai jamais été un fervent partisan de cette mesure. Les montants accordés étaient très importants et le coût-efficacité de la mesure était loin d’être clair à mes yeux. Quinze minutes, c’est bien peu pour produire de la santé en s’impliquant dans un dossier lourd et complexe. Le problème, selon moi, n’était pas l’entente en soi mais plus la population qui en a bénéficié: des patients ultra-vulnérables pour la plupart, avec des listes de médicaments impressionnantes et bien souvent des problèmes de santé mentale. Ces gens n’ont pas besoin d’une consultation ponctuelle de quinze minutes avec un médecin de famille qu’ils ne connaissent pas. Ils ont besoin d’un suivi longitudinal en collaboration interprofessionnelle, que seule l’inscription individuelle permet réellement. Mais mon opinion n’est pas grand-chose comparée à celle des organisations comme la FMOQ et le MSSS. Ces organisations ont signé ensemble une entente de bonne foi. Chacune a bénéficié des fruits de cette entente. La Fédération, en démontrant qu’il existait encore de la «capacité» chez ses membres et qu’un projet bien conduit avec des objectifs clairs pouvait mener les médecins à se mobiliser pour le bien collectif. Et le MSSS, surtout le ministre et la CAQ (le MSSS demeure un organe politique) ont bénéficié des retombées politiques associées aux résultats de l’entente. Combien de fois a-t-on entendu monsieur Dubé déclarer que 910 000 québécois avait été pris en charge par des groupes de médecins de famille grâce à cette entente? Enfin, je pense que le système de santé en a bénéficié aussi. Malgré des trajectoires de soins parfois douteuses, le déploiement de l’entente aura permis d’améliorer le rodage du GAP et les infrastructures de communication entre le GAP et les cliniques. Le MSSS et la FMOQ auraient eu tout avantage à travailler en s’appuyant sur ce moteur en marche, simplement en corrigeant les trajectoires. Que s’est-il passé? Que s’est-il passé pour que subitement, le ministre refuse de renouveler l’entente? On comprend entre les branches qu’il aurait eu accès à des données de résultats décevants. C’est possible, mais était-ce une justification suffisante pour faire un tel esclandre? Il s’imaginait quoi, en mettant fin à l’entente? Croyait-il sérieusement que les cliniques continueraient d’afficher les plages sans le financement associé? Il y avait un «pacte» entre le MSSS et les médecins de famille. Certaines cliniques ont engagé des ressources grâce à ce financement transigeant par la voie des travailleurs autonomes que sont les médecins. C’était en fait un excellent test de capitation. De plus, certains médecins ont fait des choix professionnels, de s’ajouter une pratique en sans-rendez-vous à celle de la médecine en salle d’urgence ou en hospitalisation, ou même de quitter plus tôt que prévu les établissements pour aller en renfort sur la première ligne en GMF. Encore une fois, une démonstration favorable de capacité sans déstabilisation du réseau. Au lieu de «surfer» sur l’énergie et le capital humain résultant de l’entente, de se rasseoir avec la FMOQ pour revoir les conditions et profiter de l’opportunité pour corriger certains problèmes comme ceux que j’ai décrits précédemment, le ministre déchire sa chemise et bombe le torse devant ce qu’il appelle, avec un mépris à peine voilé, «le syndicat des médecins». Pire, il tentait le week-end dernier de convaincre la population que la FMOQ avait demandé des actions concertées à ses membres, ce qui est faux. J’ai assisté à une assemblée de membres où la FMOQ s’est bien gardée de donner de telles directives. Si les médecins de famille coupent dans les plages de GAP, c’est qu’ils n’ont aucun indice de prolongement, modification ou reconduite de l’entente. Pas de financement, pas de service, c’est une logique qu’un gestionnaire aguerri comme monsieur Dubé devrait accepter. Au lieu de ça, j’ai entendu de la bouche du ministre Dubé que les médecins «prenaient la population en otage». Quand on parle de soigner l’image des médecins de famille pour augmenter l’attractivité, on repassera. Espérons que la population verra clair dans ce débat malheureusement public. Santé Québec sans médecin de familleLa création de Santé Québec est une occasion unique dans l’histoire de notre système de Santé. Pour la première fois, nous pourrions avoir une société dépolitisée qui chercherait à obtenir les meilleurs résultats en santé au moindre coût plutôt que de viser une réélection. Les dirigeants nommés, une PDG issue du secteur privé des laboratoires et un vice-président exécutif qui a déjà dirigé le CHUM, un fleuron de notre système de santé, auront l’occasion, avec leur conseil d’administration, de repenser le système et de recréer un rapport de force dans l’utilisation des deniers publics et de leur capacité à créer de la santé. Dans ce type d’opérations, il est impensable de mettre de côté les spécialistes en médecine familiale. Comme je l’ai démontré dans mes billets précédents, le médecin de famille, par sa polyvalence et son expertise de l’être humain, est certainement un professionnel de la santé qui offre des opportunités immenses. Nous n’avons qu’à penser aux soins à domicile, aux soins de fin de vie, aux soins des personnes aux prises avec des maladies chronique et des troubles de santé mentaux simultanément, ce sont tous des secteurs où le médecin de famille a la capacité de s’impliquer et de façon économique. Un médecin de famille qui passe dans le dossier d’un patient qui prend plus de 10 médicaments et est fragilisé par des maladies chroniques peut faire des miracles pour aider ce patient à réaliser son projet de vie tout en diminuant les coûts de soins et en prévenant les hospitalisations. Le ministre Dubé, parce qu’il semble en porte-à-faux avec notre Fédération – et je dirais même, avec étonnement, parce qu’il semble gérer difficilement sa colère dans ce conflit – démontre qu’il mélange négociations et réalisation d’un projet de société. Écarter la médecine familiale du CA de Santé Québec, malgré tous les arguments qu’on pourrait nous servir pour le justifier, est un geste hautement symbolique et chargé de sens. Je trouve cela très inquiétant et témoigne d’un manque de vision. Un coup pour la relève en médecine familialeCe conflit ouvert entre notre fédération et le ministre Dubé risque fort de diminuer la mobilisation des médecins de famille dans la refonte du système et, une fois de plus, de passer un drôle de message aux étudiants qui doivent choisir entre la spécialité de médecine familiale et les autres. Si le conflit a pu naître de responsabilités partagées entre le MSSS et la FMOQ, je n’adhère pas du tout aux tentatives de démoniser notre fédération à la suite de la diminution des services aux patients orphelins qui découle directement des décisions du ministre. Il aurait pu prolonger l’entente dans le but de la renégocier et jouer sa partie de poker à portes closes. Cette partie, rappelons-le, se joue en pariant la santé des québécois. Le ministre a maintenant la responsabilité sociale de corriger le tir et d’inviter la FMOQ à la négociation rapidement. J’ai toujours perçu le ministre comme un gestionnaire pragmatique et inspirant, calme et réfléchi. Mon opinion vient malheureusement de changer, parce que j’anticipe déjà les effets délétères de ses déclarations sur le moral de mes collègues et l’opinion de mes étudiants.

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Derrière ce blogue:

Mathieu Pelletier

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