Mettre les équipes de prescripteurs sur la bonne voie

Les temps sont durs pour ceux qui s'occupent des patients. Et lorsque les temps sont durs, les paroles peuvent devenir brutales, même entre deux professions qui travaillent en étroite collaboration. Le paysage actuel des soins primaires a donné lieu à des attaques qui pourraient nuire à la relation pharmacien-médecin, un partenariat essentiel à la sécurité et aux soins des patients.Sur cette question de la collaboration médecin-pharmacien, la journaliste du Medical Post Kylie Taggart a écouté une conversation entre le Dr Taylor Ferrier, médecin de famille et directeur médical du Tay River Health Centre à Perth, en Ontario, et Kristen Watt, pharmacienne propriétaire indépendante à Southampton, en Ontario.Leur discussion portait, entre autres, sur le refus de l'Ontario Medical Association (OMA) d'élargir le champ d'activité des pharmaciens, sur les bilans de médication, sur la nécessité d'une rémunération appropriée et sur l'accès aux dossiers des patients. En premier lieu, ils ont mis de l'avant des exemples de ce qui fonctionne dans la relation pharmacien-médecin.La sécurité des patients et la collaboration pharmacien-médecinDr Taylor Ferrier: Les patients sont souvent soignés non seulement par leur prestataire de soins primaires, mais aussi par de nombreux spécialistes. Le fardeau de leur maladie et la complexité de leurs soins peuvent se chevaucher, et il en va de même pour leurs médicaments. Il arrive que le traitement soit annulé par un autre prestataire ou qu'un autre médicament soit ajouté sans que le médecin de premier recours n’en soit informé. Le patient fait un suivi avec moi, et il se peut que je lui prescrive un médicament similaire. C’est alors que le pharmacien intervient, parfois en moins de deux heures, pour m’informer que le patient prend en fait tel médicament ou que le médicament a été arrêté.Les pharmaciens fournissent une multitude de mesures palliatives auxquelles nous n'avons pas nécessairement accès pour diverses raisons, comme les lacunes de nos DME et notre interconnexion. Je devrais compter sur les doigts et les orteils de tout le personnel de ma clinique le nombre de fois où les pharmaciens attirent notre attention sur des questions aussi cruciales que celles-là. Il existe une collaboration exceptionnelle en matière de sécurité des patients, qui est souvent oubliée en période de stress et de tensions sur le système de santé.Kristen Watt: Je ne pense pas que les relations qui se nouent sur Twitter (aujourd’hui X) ou par l'intermédiaire de l'OMA reflètent nécessairement ce qui se passe dans la vie réelle. Cela dit, on en ressent les effets sur le terrain. Nous faisons face à la réticence des médecins, et nous les entendons tenir des propos qui reflètent les points de vue de l'OMA et ce que nous voyons sur Twitter. C'est là que les relations commencent vraiment à se fracturer. Le pharmacien n'a jamais eu l'intention de s'interposer dans la relation entre un patient et son médecin de famille, mais de faire partie du cercle de soins.Je dis toujours que les soins aux patients ne sont pas une pyramide, avec le médecin de famille ou tout autre praticien au sommet: c'est un cercle avec le patient au milieu, et nous sommes tous honorés de faire partie de ces soins.L’un des grands changements et mouvements que j’ai observé dans la pharmacie de première ligne ne concerne pas la sécurité et les mesures palliatives, mais davantage les approches de soins proactives, l'optimisation thérapeutique et l'accent mis sur les résultats pour le patient. C'est vraiment ce pour quoi nous sommes formés. Ce que je fais dans ma pratique, dans ma communauté, est une collaboration de soins longitudinaux avec un médecin de famille. Par exemple, je reçois des patients diabétiques et on me demande d'optimiser leur taux d'HbA1c. Une autre chose que nous faisons dans notre région est la gestion de la douleur.Fournir des soins proactifs sans rémunération appropriéeWatt: C'est un véritable défi lorsque ce que nous faisons n'est pas rémunéré, que ce soit nous ou les médecins de famille. C'est là que la relation devient vraiment difficile. Si nous faisons une recommandation et que nous l'envoyons par fax au médecin de famille, il n'est pas nécessairement payé pour ouvrir le dossier et signer le script, alors qu’il vient de fournir des soins au patient.Je ne pense pas que la colère soit dirigée contre nous, en soi, ou qu'elle devrait l'être, mais nous la ressentons tous et toutes parce qu'une grande partie des soins que nous fournissons n'est pas couverte, et qu'une grande partie des soins que la médecine familiale fournit n'est pas couverte. C'est là que la situation peut devenir vraiment pénible pour tout le monde.À lire aussi: Première ligne: Christian Dubé promet une nouvelle approche d’ici l’été 2026Nous devons tous nous tourner vers la source de financement afin d'exiger des améliorations constantes en matière de soins aux patients et d'accès par le biais du financement. Selon moi, c’est ainsi que nous verrons la meilleure collaboration se mettre en place. C'est déjà le cas sur le terrain, mais on rencontre tout de même des réticences dans un certain nombre de domaines. On nous dit par exemple que «ce n'est pas dans votre champ d'action», que «ce n'est pas quelque chose que vous devriez faire», alors que ce sont des choses pour lesquelles nous avons été formés et que nous devrions faire, et que nous avons désormais l’obligation légale de fournir ce niveau de soins aux patients. La communication ajoute un fardeau supplémentaire aux médecins de famille, et peut représenter un fardeau pour tout le monde dans le cercle des soins.Dr Ferrier: Je comprends que vous côtoyez une variété de médecins sujets à différents facteurs de stress qui finissent par vous atteindre. Je pense que nous sommes d'accord sur le fait qu'une approche collaborative et constructive des soins primaires est absolument essentielle. Mais c'est la structure elle-même qui pose problème à de nombreux médecins. Par exemple, si l’équipe d’un groupe de médecine de famille comptait un pharmacien parmi ses membres, ce dernier aurait accès à l'intégralité du dossier du patient. Il s'agit d'une véritable approche collaborative où il existe une forte communication entre le pharmacien et le patient, et qui nous évite beaucoup de paperasse.Je dirais même que le programme des affections mineures est un petit pas en avant en général. Nous avons besoin que les pharmaciens s'occupent davantage des patients complexes. Encore une fois, c'est la question du financement qui fait défaut à tout le monde. C'est un élément difficile.Watt: La bataille a été rude. Si vous regardez le libellé de l'OMA concernant les affections mineures, c'est inquiétant. La remise en question de la qualité des soins – je veux dire, ce sont des choses que nous faisons dans les couloirs. La dermatite fessière, c’est le genre de choses que l’on traite dans les couloirs.Élargir le champ d'action des pharmaciensDr Ferrier: Nous avons actuellement un système de soins de santé primaires très tendu. Il est absolument impératif de disposer d'un plus grand nombre de professionnels de santé ayant les compétences nécessaires pour fournir les soins. Nous en avons besoin. Il y a une réserve à cela: nous avons un organisme de médecins, l'OMA, et un organisme de pharmaciens, et de ce que j’en entends, ils ne collaborent pas beaucoup. Le troisième élément est le ministère. Et il y a le patient au milieu. Comment pouvons-nous travailler ensemble pour fournir ce service?À lire aussi: La première ligne est encore trop centrée sur le médecinLe problème que je vois du côté des médecins (avec l'élargissement du champ d'action des pharmaciens), c'est que nous ne sommes pas très doués pour déléguer des tâches. Souvent, nous nous considérons comme la pierre angulaire des soins d'un patient, et c'est souvent le cas, mais nous devons reconnaître qu'il existe d'autres prestataires de soins de santé qui sont tout aussi bien placés pour prodiguer ces soins pour les affections mineures.Je pense que le rôle des pharmaciens devrait se situer plus haut dans l'arbre de la complexité. Je l'ai déjà constaté dans le cadre de ma formation. Je l'ai déjà vu dans la clinique où des pharmaciens travaillaient à nos côtés sur la douleur chronique. J'ai vu de nombreux exemples où cela s'est exceptionnellement bien passé.MedsChecksNote: MedsCheck est un programme ontarien dans le cadre duquel les pharmaciens peuvent procéder à un examen individuel des médicaments d'un patient. Un rapport est envoyé au médecin de famille et la facture est payée par la province.Dr Ferrier: Je pense que c'est une idée brillante. Il faut reconnaître que les deux parties font déjà des vérifications de médicaments. Chaque fois qu'un patient arrive, je vérifie l'ensemble de ses antécédents médicamenteux, les indications du médicament, la posologie. Je pense qu'une partie des frictions vient du fait que nous ne sommes pas payés pour cela. L'équipe de pharmaciens le fait de toute façon chaque jour où elle rencontre un patient, et maintenant elle est rémunérée pour cela.Je ne veux pas entrer dans la politique de certaines pharmacies qui submergent les patients et leurs prestataires avec des MedsChecks moins qu'indiqués. Lorsque je travaille avec l'équipe de pharmaciens qui est étroitement liée à notre centre de santé, ils atteignent la cible presque à chaque fois (en envoyant des MedsChecks appropriés).Watt: Les pressions exercées par les entreprises (pour faire des MedsCheck) sont vraiment préoccupantes et nous les condamnons absolument. À chaque fois que nous faisons quelque chose, nous nous demandons: «Quelle est la raison d'être des soins?» Selon moi, il y a quatre raisons d'effectuer un MedsCheck:Un patient le demande – il veut mieux comprendre et je suis heureuse de pouvoir lui apporter mon aide.Un médecin le demande – on m'envoie une demande de recommandation de médicaments ou d'examen des médicaments pour le traitement des maladies rénales, par exemple; je vais le faire.J'identifie un problème – à cause de leur A1C ou parce qu'ils ont quatre prestataires différents et que je dois colliger tout ça.Il y a une transition des soins – j'en fais un après chaque sortie d'hôpital, en plus d'examiner le résumé de sortie. Je l'envoie également au médecin de famille, car certaines choses peuvent être oubliées. Un MedsCheck ne devrait jamais être effectué simplement parce que le patient prend des médicaments.Dr Ferrier: Nous sommes d'accord sur ce point. Pour votre information, au début, nous en recevions cinq, peut-être six par mois et par médecin. Une fois, j'en ai eu 300.La paperasse et ses répercussions sur les relations médecin-pharmacienDr Ferrier: Les gens pensent que la paperasse concerne les formulaires d'assurance, les formulaires d'invalidité fiscale, les formulaires d'arrêt de travail – mais ce ne sont pas ces formulaires ou l’administratif qui nous préoccupent. Par exemple, nous recevons des centaines de résultats de laboratoire, de rapports de consultation, de renouvellements de médicaments – des choses dont nous ne nous occupons pas directement. Je ne veux pas dire que nous sommes un dépotoir, car nous avons besoin de cette information, mais nous n'avons tout simplement pas les ressources nécessaires pour embaucher une personne chargée de colliger toute cette information et de la consigner dans le dossier. Le médecin n'est alors plus qu'un simple administrateur de la paperasse. Cela nous éloigne du patient.Lorsque l'intégrité d'un MedsCheck et d'un programme d'affections mineures est bonne, mais qu'il y a quelques pommes pourries, on nous demande de trouver une aiguille dans une botte de foin pour savoir lesquelles sont significatives et appropriées.À lire aussi: Québec veut sabrer les tarifs des téléconsultations offertes par les omnipraticiensQuand les ressources sont limitées, que les gens sont poussés à bout, qu'il y a un épuisement professionnel, souvent, au lieu d'unir nos efforts pour améliorer notre système, des querelles intestines s'ensuivent car le ministère ne les soutient pas comme il faudrait.Il n'y a rien de bon à tirer d'une querelle entre un médecin et un pharmacien. C'est de l'énergie gaspillée et nous avons rapidement convenu ici qu'il s'agit d'une bonne relation.Watt: Si nous regardons en arrière, il y a 30 ou 50 ans, le niveau de soins que nous fournissons aux patients – vous et moi – est très différent. L'acuité de nos patients est très différente. Et le financement n'a pas suivi cette évolution. Il est toujours lié, nécessairement, au patient dans son ensemble, mais pas nécessairement à toutes les interactions et interventions. Si nous revenons vraiment à une approche centrée sur le patient, alors vous pourrez revenir à un cabinet de médecine familiale correctement rémunéré pour faire toutes ces choses avec le bon nombre de patients pour lesquels vous pouvez réellement fournir ce niveau de soins – parce que ce n'est plus le cas aujourd'hui. C'est tout simplement insensé.Dr Ferrier: Mon prédécesseur avait 2000 patients.Watt: Comment fournissez-vous ces soins?Dr Ferrier: C'était il y a 10 ou 20 ans. La clinique s'occupait également des urgences et des soins aux patients hospitalisés. L’équipe a pu équilibrer les choses parce que l'âge des patients était de 40 à 50 ans, et qu'il y avait beaucoup de jeunes. Aujourd'hui, le médecin moyen a entre 800 et 1200 patients, ce qui exerce une forte pression à la baisse sur les revenus de son cabinet. Si l'on ajoute à cela l'inflation qui fait grimper les coûts, la viabilité financière de la médecine de famille s'en trouve réduite.Les médecins s'interrogent: «Où allons-nous trouver ce financement?» Il y a bien quelques gestes de bonne volonté, comme la mise en place de prestataires plus compétents au bon endroit, à l’image des pharmaciens, mais ce n'est qu'un pansement pour un système qui a besoin d'une véritable refonte, et cela ne pourra pas se faire avec le médecin comme seul prestataire.Un financement approprié pour des soins centrés sur le patientWatt: Les soins que nous fournissons tous deux dans nos établissements sont les meilleurs que nous puissions fournir à un instant à un moment. Tout le monde essaie de faire ce qu'il faut pour le patient. Nous devons nous rappeler que, dans les moments de frustration où nous recevons des centaines de télécopies, où il y a une autre coupure dans le budget de la pharmacie ou que quelqu’un riposte, il ne s'agit probablement pas de moi, ou de vous, ou de qui que ce soit d'autre. Il s'agit seulement de la frustration du moment – mais les soins doivent continuer d'être centrés sur le patient.Dr Ferrier: Il s'agit toujours du patient. Il est très difficile de se trouver dans une situation financière qui compromet les soins aux patients parce que nous sommes sous-financés, mais en même temps, nous devons dire que c'est pour le bien du patient. Cela ne peut plus durer. Les pressions sont telles que, s'il s'agit du patient, le financement approprié doit suivre.J'espère voir une meilleure collaboration et une évolution dans la complexité des soins fournis par les pharmaciens. Et pour qu'ils puissent le faire, nous avons besoin d'un format de communication qui nous relie réellement d'une manière appropriée aux soins du patient.

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