Médicaments potentiellement inappropriés: un titre d'article qui fait peur

Radio-Canada1 rapportait récemment la publication d’une étude2 réalisée par la Faculté de pharmacie de l'Université Laval. L’article de la société d’État avait ce titre percutant: «Près de la moitié des aînés de plus de 65 ans prennent un médicament potentiellement inapproprié». Si nous savons, comme pharmaciens, ce que cette expression signifie, il est probable que cela soulève des inquiétudes au sein de la population générale. Il demeure important de rappeler qu'un médicament «potentiellement» inapproprié est exactement cela: un potentiel. Il s'agit certainement d'une invitation à réévaluer la thérapie médicamenteuse de ces personnes.Le principal auteur de l’étude, Alexandre Campeau Calfat, est un étudiant-chercheur du laboratoire de la professeure Caroline Sirois, un groupe qui a publié d’excellentes et nombreuses recherches sur l'utilisation appropriée des médicaments. Comme cette équipe de recherche le mentionne dans d'autres publications, un médicament potentiellement inapproprié ne signifie pas nécessairement qu'il doive être cessé3. La réévaluation d'une pharmacothérapie peut conduire à une réduction de dose, à un changement de médicament qui pourrait être mieux toléré ou causer moins d'effets indésirables, ou à l'arrêt du médicament en cause.Nous ne devons jamais oublier la raison première qui a mené à la prescription du médicament et de s'interroger si cette condition doit toujours être traitée avant d'envisager l'arrêt complet du traitement. Il faut aussi s'assurer que le produit est effectivement inapproprié et non pas «potentiellement». Cela signifie donc que le patient doit présenter des signes ou des symptômes d’intolérance associés à ce médicament, en tenant compte de sa condition de santé globale et de son âge. Il nous arrive parfois, comme pharmaciens, de vouloir tellement améliorer la sécurité que nous avons tendance à cesser rapidement les médicaments ou même à refuser d'emblée une ordonnance pour un nouveau médicament qui semble a priori inapproprié pour l’âge du patient.Les modifications apportées aux prérogatives des pharmaciens dans les dernières années incluent la possibilité de procéder à l'évaluation physique et mentale des patients. Pour moi, il s'agit d'une étape importante, voire essentielle. Elle nous permet de passer de la théorie à la pratique en nous permettant d'assurer un usage optimal des médicaments dans l’esprit de traiter le patient adéquatement, c’est-à-dire d'atteindre les cibles thérapeutiques avec un minimum d'effets indésirables.Beaucoup de nos patients, surtout âgés, prennent plusieurs médicaments, souvent plus de huit, et ce depuis de nombreuses années. Cela devrait nous inviter à procéder à une réévaluation de la thérapie médicamenteuse, mais certainement pas à conclure que le médicament est inapproprié pour le patient en question.L'utilisation de chacun des médicaments doit se faire dans une perspective de pertinence clinique. Il ne faut pas oublier que l'efficacité des médicaments est évaluée par des études randomisées et contrôlées dans la majorité des cas. Ces études calculent une différence de moyenne pour un paramètre en particulier, indiquant que certaines personnes répondent moins bien et d'autres répondent mieux. Cette distribution s'applique bien sûr aux effets thérapeutiques du médicament, mais aussi aux effets indésirables. En pratique clinique, nous ne traitons pas une moyenne, mais le patient devant nous. L'enjeu demeure l'individualisation de la pharmacothérapie.Si un patient se présente en pharmacie, inquiété par ce que les médias rapportent comme un usage inapproprié, il s'agit d'une belle opportunité de procéder à une réévaluation de sa thérapie en tenant compte de l'ensemble de ses besoins et surtout des problèmes qu'il présente. Toute modification à une thérapie implique probablement une réévaluation subséquente pour s’assurer, d'une part, que le problème identifié a été résolu et, d'autre part, que la condition générale du patient ne s'est pas détériorée.L'objectif n'est donc pas de faire peur, mais bien de rassurer en assurant une utilisation appropriée, optimale et pertinente des médicaments.Références1- Arsenault LP. Près de la moitié des aînés de plus de 65 ans prennent un médicament potentiellement inapproprié. Radio-Canada, 6 septembre. Disponible à : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2190544/prescription-effets-secondaires-traitement-pharmacie2- Campeau Calfat A, Turner JP, Simard M, Boiteau V, Sirois C. Association between number of medications and indicators of potentially inappropriate polypharmacy: a population-based cohort of older adults in Quebec, Canada. Ther Adv Drug Saf. 2024;15:1–17.3- Sirois C, Campeau Calfat A, Turner JP. Deprescribed or Discontinued? Addressing Terminology Misinterpretation in Research. Basic Clin Pharmacol Toxicol. 2025 Jun;136(6):e70054. doi: 10.1111/bcpt.70054. PMID: 40387351.

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