Médecine: si vous pouviez changer une chose dans votre pratique, qu'est-ce que ce serait?

Le climat politiqueSamuel Villeneuve, médecin de familleS'il y a une chose que je changerais à la médecine familiale, ce serait le climat politique. Il est vrai que nos pratiques doivent évoluer et qu'il y a place à des changements positifs... Mais d'une élection à l'autre, d'une réforme à l'autre, chaque gouvernement a «la solution parfaite» pour utiliser les médecins de famille. D’abord, on nous oblige à travailler en milieu hospitalier, puis, on veut nous sortir des hôpitaux et nous forcer à faire du bureau seulement, pour finalement, nous renvoyer en établissement... On veut qu'on inscrive en masse, puis qu'on voie des patients orphelins, puis qu'on voie des patients collectivement... C'est fatigant de devoir toujours se ré-informer sur un nouveau projet de loi, de recréer tous les processus pour des résultats qui reviennent au même... Et c'est stressant de se demander si dans trois ans nos conditions de travail vont être à nouveau complètement chamboulées. La culture médicaleJoseph Dahine, médecin intensiviste au CISSS de LavalJe fais le même constat depuis vingt ans: on tient pour acquis le fait que les professionnels de la santé vont pouvoir prodiguer des soins comme par magie, peu importe le contexte dans lequel ils travaillent. Or, la médecine est une profession de collaboration, et les relations se cultivent. Il faut absolument instaurer des systèmes de sécurité psychologique au travail, pour que tous les membres de l'équipe se sentent en confiance et puissent s'exprimer sans craindre d'être pointés du doigt. C'est pour moi le critère numéro un de mon métier; c'est une valeur qui m'est chère et que j'essaie de porter au quotidien afin de transformer la culture médicale. Les soins intensifs sont l'étalon or du travail d’équipe: on n'a pas le choix de travailler ensemble pour soigner les patients. Ma très grande équipe est mobilisée chaque jour pour sauver des vies, et on doit travailler vite pour répondre aux situations critiques. Ces liens qu'on développe entre nous, l'importance d'une bonne coordination au sein d'une équipe et les principes de sécurité psychologiques peuvent être exportables à tous les autres domaines de la santé! Même hors des soins intensifs, l'époque où l'on voyait arriver un patient simple, avec un problème de santé simple, est révolue. Aujourd'hui, les problèmes sont multisystémiques et réclament l'intervention de différents professionnels. Il ne faut pas faire l'erreur de travailler en silo; il faut une vraie culture de la collaboration.Le manque de main-d'œuvre localeSarah Bergeron, médecin de famille au centre de santé Inuulitsivik au NunavikComme médecin au Nunavik depuis bientôt cinq ans, mon plus grand souhait serait d'avoir un milieu de soins plus résilient, qui passerait notamment par une présence accrue de Nunavimmiut (les Inuits du Nunavik) travaillant dans les soins de santé.Malheureusement, en raison de nombreux enjeux, la présence de travailleurs inuits n'est toujours pas suffisante et le roulement d'employés dits «du Sud» est important en région éloignée. Chaque nouveau départ est une perte de connaissances et de compétences immense pour un petit réseau comme le nôtre. Afin de répondre aux nombreuses crises du réseau, dont le manque d'accès à l'eau ou le manque de ressources infirmières, et afin de favoriser une offre de soins de santé culturellement sécuritaires, l'implication des Nunavimmiut est essentielle. Je ne peux que souhaiter que plus d'Inuits s'intéressent aux soins de santé pour avoir un milieu de travail durable fait par et pour les Inuits. Toute initiative valorisant l'empowerment des Inuits est une initiative à mettre de l'avant!Moins de règles pour accroître l'agilitéFrançois Marquis, chef du service des soins intensifs de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, à MontréalL'aspect bureaucratique est trop présent au Québec, et on pourrait faire un peu de ménage. J'inclus là-dedans la syndicalisation, l'ultra-fédéralisme, tout ce qui fait que quand on veut développer quelque chose, ça ne peut pas avancer. Il y a tellement de règles de structures, comptables, syndicales... Et plus aucune place pour l'agilité. Remettre de l'agilité dans le système serait mon vœu pieux.Je pense vraiment qu'une des solutions rapides à mettre en place serait de s'asseoir et d'analyser ce qui paralyse le système de soins et le rend fragile, comme les enjeux administratifs. Pendant la pandémie, on était prêts à écouter de nouvelles idées et à voir comment on allait essayer de les réaliser car on était tous dans le même bateau. En cela, c'était merveilleux. Ce dynamisme, cette volonté d'essayer, d'être prêt à bouger sans passer par des centaines d'approbations... Cela nous a montré que le système de santé était capable de faire de grandes choses. Je suis d'ailleurs un peu inquiet lorsque j'entends qu'on veut le structurer davantage, car c'est une machine déjà monstrueusement structurante et structurée. On ne peut pas dire qu'une solution qui s'applique dans l'Est de Montréal va s'appliquer à Coaticook. Ce ne sont pas les mêmes enjeux, les mêmes populations.Rien!Estelle Lafortune, directrice adjointe de la Direction à l'accès aux services de première ligne, CISSS de LavalJe ne changerais rien! Aujourd'hui, je suis au bon endroit, je fais un métier que j'aime, j'adore l'effervescence de la première ligne. Toutefois, si je devais réfléchir plus largement, penser à l'ensemble du système de santé et pas nécessairement juste à ma pratique au quotidien, j'aimerais avoir dès maintenant un service accessible à la population en temps opportun. Je sais que les changements que nous sommes en train d'opérer actuellement feront effet dans cinq, 10, peut-être 20 ans. Mais je n'ai pas envie d'attendre pour en être témoin.Malheureusement on ne peut pas aller plus rapidement, il faut que les choses suivent leur cours et ça prend du temps pour changer les mœurs, changer les pratiques. C'est une vaste entreprise que l'on mène aujourd'hui, mais la curieuse que je suis aimerait faire une avance rapide, me projeter pour constater tout ce que l'on aura réussi à faire! À vous la parole!Et vous? Quel aspect de votre pratique souhaiteriez-vous changer et pourquoi? Partagez-le en commentaire.

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