Médecine de famille: passer le flambeau de mère en fille

Emma, trois ans et demi, gravit la colline du parc.Avec sa chemise à rayures arc-en-ciel et son bonnet blanc, elle se dirige vers la pataugeoire. C'est une chaude journée de mai et nous constatons que la piscine est vide. Elle me regarde avec une profonde déception, puis son visage prend son expression de bouledogue. «Où est l'eau?» Elle redescend la colline en agitant ses petits poings en l'air et en criant: «Il devrait y avoir de l'eau, les gens veulent de l'eau, les gens ont besoin d'eau!» Les gens, se retournent pour regarder ce bambin militant. Voici Emma. Au cours des 30 années qui ont suivi, elle n'a pas vraiment changé. Je suis arrivée en médecine familiale avec toute la passion d'une convertie. Ayant bu le Kool-Aid de McGill à la fin des années 70, alors que tous les cours étaient donnés par des spécialistes et qu'il existait un «curriculum pas si caché» selon lequel la médecine familiale n'était pas pour les gens intelligents, j'ai erré dans deux programmes de spécialité différents avant de trouver ma voie en médecine familiale, là où j'aurais toujours dû être. Découvrir que je pouvais aussi pratiquer des accouchements en tant que médecin généraliste a été la cerise sur le gâteau qui a fait de ce choix de carrière mon bonheur. Je l'aime profondément depuis plus de 40 ans. L'un des avantages du passage à la médecine de famille a été un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.À lire aussi: «Former où l'on soigne»: l’Université du Québec annonce un nouveau programme de médecine familialeJ'ai toujours voulu quatre enfants. Deux m'a toujours semblé être un schéma trop binaire. Il y aurait l'intelligent et le mignon, le bon et le mauvais... Avec trois, il y aurait toujours quelqu'un d'exclu, alors qu'avec quatre, il y avait selon moi de nombreuses possibilités de relations et d'interactions de toutes sortes, et les enfants avaient toute la latitude pour devenir eux-mêmes. Ils ont grandi et sont devenus avocat, artiste visuel, médecin et compositeur, et sont tous des communicateurs talentueux. Je suis extrêmement fière de tous ces enfants, mais aujourd'hui, je voudrais parler de ma fille, Emma. Assise sur le canapé, je remplis les dossiers que j'ai ramenés du cabinet. Ma fille Emma, 14 ans, me défie d’un ton méprisant en levant les yeux au ciel comme toute jeune adolescente qui vient de découvrir que sa mère n'est qu'une humaine imparfaite et faillible, et non la déesse incarnée. «Ne crois pas que je serai un jour médecin, maman!»Perplexe, je lui ai répondu que cette idée ne m'avait jamais traversé l'esprit.Puis, à l'âge de 17 ans, elle a trouvé un emploi d'été comme réceptionniste à la clinique Zubeida, un établissement où nous avons soigné de nombreuses patientes réfugiées et immigrées. Leurs histoires et leurs luttes ont touché le cœur rempli de compassion d'Emma. Elle voulait les aider. Lorsqu'elle est entrée à la faculté de médecine, elle m’a dit un jour, alors que j'étais assise sur le canapé: «Je ne pense pas devenir médecin de famille, maman». «Je sais que c'est un choix difficile, ma chérie. Fais ce qui te rendra heureuse», lui ai-je répondu.Pendant son internat en médecine familiale, elle se demandait comment elle voulait façonner sa pratique, envisageant de faire un stage en médecine d'urgence. L'un de ses mentors, également une de mes anciennes internes, lui a dit: «Écoute, Emma, tu aimes la continuité des soins, tu défends toujours tes patients. Et franchement, tu prends vie dans la salle d'accouchement, tu adores mettre au monde des bébés. Ne te prive pas de faire quelque chose que tu aimes juste parce que tu as peur de devenir ta mère. Tu es ta propre personne, tu le feras à ta façon.»À lire aussi: Quand le mépris exacerbe l’exode des médecins de familleL'autre soir, nous gardions le fils d'Emma, Emile, pendant qu'elle était de garde en service d'accouchement. Avant qu'elle ne commence sa garde, nous avons discuté du cas de sa patiente enceinte de jumeaux dont elle devait provoquer l’accouchement. Il s'agissait d'une femme expulsée de son pays au début des bombardements. Elle a croisé le chemin d'Emma à la fin de sa grossesse. Avec sa détermination de bulldog, Emma et son équipe l'ont aidée à surmonter les formalités administratives liées à la procédure d'obtention du statut de réfugié et à obtenir ce dont elle avait besoin. Cette patiente était maintenant en plein travail et accoucherait probablement le soir même.Alors que nous écoutions les bruits hilarants émis par mon mari Dave et Emile, qui jouaient dans l'autre pièce, Emma et moi nous sommes assises sur le canapé. Nous avons échangé des histoires et parlé de stratégies, comme deux collègues qui s'apprécient mutuellement.À 6 heures du matin, j’ai été réveillée par un coup de fil d’Emma. Elle était folle de joie! Elle m'a raconté son histoire: un accouchement vaginal triomphal de jumeaux, qu'elle a mené à bien avec le soutien de sa collègue en obstétrique. Elle m'a décrit le mari de la patiente en train de pleurer sur Facetime, les larmes roulant sur ses joues, alors qu’il assistait à la naissance de ses enfants à l'autre bout d'un monde déchiré par la guerre. Elle était fière d'elle.J'étais fière d'elle. J'ai également été très touchée qu'elle m'ait appelée en premier.J'ai l'impression que le flambeau a été passé.

Médecine de famille: passer le flambeau de mère en fille

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes