Médecin solitaire

«Mon chat m'a vraiment sauvé la vie», m’a avoué un jour mon ami. «Vraiment?» lui ai-je demandé. «Oui. Je me sentais si seul pendant ma résidence.» Bien qu'il soit canadien, il tenait vraiment à étudier la médecine en Australie, puis revenir au Canada pour effectuer sa résidence en médecine interne et se spécialiser en rhumatologie. Il a réalisé son rêve. Il est aujourd'hui un rhumatologue talentueux qui s'intéresse particulièrement à l'arthrite juvénile. Il est marié à un collègue médecin/pianiste talentueux et ils ont adopté deux enfants. Mais. Mon ami s’est senti terriblement isolé durant son internat – rejeté par ses camarades de classe en tant que diplômé international, sujet à d'ignobles commentaires homophobes. Il se trouvait à une journée de route de ses parents et plus encore de son frère. Il n'avait personne à qui parler. Sa voix s'est brisée: «Certains jours, je pensais que je ne m'en sortirais pas. — Oh, je suis vraiment désolée. — C'est pas grave. Mon chat a été là pour moi.» — Merci, mon Dieu.» Mes mots étaient si inadéquats, mais je les pensais. Je lisais le livre honnête et drôle de Jessica Pan, «Sorry I'm Late, I Didn't Want to Come», dans lequel une introvertie essaie de dire oui pendant un an. Elle parle de sa vie à Pékin, du fait qu'elle ne se sentait plus vivante, et de la façon dont le fait d'entrer en contact avec les gens – en ayant des discussions profondes, pas sur la météo - peut changer les choses. Ce livre m’a fait l’effet d’une gifle en plein visage car il m’a fait prendre conscience de ceci: La médecine est solitaire. Avant la médecine, on se livre à une compétition. Oui, vous avez des amis. Mais tout le monde n'est pas admis et il y a une certaine dose d'incertitude. On se sent seul. Si vous êtes admis à la faculté de médecine, le système de réussite/échec enlève un peu de pression, mais vous vous retrouvez avec un petit groupe de personnes intelligentes qui se disputent un nombre encore plus limité de places en résidence. Seul. La résidence est sans doute ce qu’il y a de pire: deux à cinq ans pendant lesquels vous êtes le seul à gérer l'étage et à tenir littéralement la vie des gens entre vos mains aux petites heures du matin, nuit après nuit après nuit. Surchargé de travail, sous-payé, seul. L’euphorie d’être enfin médecin s'estompe rapidement. Le stage de perfectionnement peut être mieux, ou pas. Si vous êtes comme moi, vous avez déménagé pour l'université, pour la faculté de médecine, pour la résidence et peut-être encore pour le stage. Vous faites passer votre carrière avant tout, ce qui signifie que vous pouvez être séparé de votre partenaire pendant des années et des années, même après avoir fondé une famille. La pratique est solitaire. Surtout si vous vous retrouvez dans une nouvelle région sans amis. Pour ma part, je couvre seule un département du service d'urgence. Voir le patient, le dossier. Patient, dossier. Patient, dossier. J'ai apporté une pizza au début, et une des infirmières m’a lancé: «Pourquoi?» Un de mes amis médecins m'a dit: «Donne-leur du temps. Elles n'ont pas eu de nouveau médecin depuis 11 ans.» Sérieusement? La parentalité est solitaire. Les bébés sont adorables, mais on se retrouve coincé à la maison pendant des heures avec quelqu'un qui nécessite des soins 24 heures sur 24. Les autres parents peuvent vous tourner le dos très vite, surtout s'ils sont antivaccins. Vous avez sûrement entendu dire que la solitude est la nouvelle épidémie et qu'elle est aussi néfaste que de fumer un paquet de cigarettes par jour. J'ai été protégée plus que je ne l’avais réalisé par mon mari. Oui, nous avons été physiquement séparés pendant six ans alors que nous étudiions dans des universités différentes, mais nous nous aimons depuis le lycée. Quand un camarade de classe m'a snobée à l'école de médecine, une partie de moi était amusée. Vas-y, ma fille. J'ai un vrai meilleur ami à deux heures de route. Mais que se passe-t-il si vous n'avez pas ce genre de relation qui dure presque toute la vie? La panacée de Jessica Pan contre la solitude est d'aller en profondeur et d'avoir des discussions honnêtes avec ses amis. Laissez faire la BS et établissez une vraie connexion. L’auteure a découvert que les hommes n'étaient pas à l'aise avec ça. Ils ont tendance à ne pas répondre, à changer de sujet ou à aller se chercher une bière. Un seul a été capable de s'ouvrir après qu'il lui avait parlé d'un grand voyage à vélo en solitaire et qu'elle lui eut demandé: «Oh, t’es-tu senti seul?» Auparavant, Jessica lui aurait simplement demandé des détails concrets sur son voyage. Quel type de vélo avait-il? Combien de kilomètres parcourait-il par jour? Maintenant, elle s’efforce de poser des questions significatives à la place. Martha Beck en parle dans son livre «Expecting Adam». Ses beaux-parents adorent parler de leurs repas en avion. Martha, elle, aime parler des habitudes de toilettage des babouins. Elle en a conclu que certaines personnes aiment discuter de détails concrets et que d'autres sont fascinées par l'abstrait. Je suis sans nul doute dans le camp de l'abstrait, mais j'ai déménagé à la campagne, et ici, la conversation est concrète. On parle de ses connaissances en commun, de l'avancement des rénovations, de la façon de préparer les repas... On m'a même complimenté sur la façon dont notre allée était déneigée. J'adore la nourriture, mais inutile de me parler de la meilleure façon de préparer un gâteau au citron. Au lieu de cela, prépares-en et nous le mangerons ensemble en discutant de sujets plus profonds. D'un autre côté, j'ai vécu ici assez longtemps pour connaître beaucoup de gens par le biais de l'hôpital ou de mes enfants, et c'est un plaisir d'avoir des amis en commun. De plus, la météo est importante pour les cultures, ou pour savoir si vous risquez de finir dans le fossé. Ainsi, le concret et l'abstrait ont tous deux leur place. Dans les deux cas, se tourner vers les autres peut faire mal si vous êtes rejeté ou ignoré. Mais je vous demande d'essayer. Pourquoi? Les médecins se tuent littéralement à la tâche. Nous parlons de surmenage. Nous parlons de préjudice moral. Nous ne parlons pas du fait que nous avons choisi l'une des carrières les plus féroces, et qu'il est impossible d’en sortir, même après avoir «gagné». Si mon ami ne s’était pas confié, jamais je n'aurais su ce qu’il avait traversé. C'est un conférencier respecté, un enseignant, un clinicien qui n'a jamais peur de répondre à mes questions. Il aurait pu cacher sa douleur, ou n'en parler qu'à son mari. Au lieu de cela, il a pris le risque de me le dire. J'ai écouté. Et maintenant, nous nous sentons tous les deux moins seuls.

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