Médecin en CHSLD: «C’est la course contre la montre»

Lorsque la Dre Élise Royer-Perron nous accueille au CHSLD Réal-Morel à 10h ce lundi matin, elle a déjà effectué le tour des urgences de l’établissement et s’apprête à monter voir les patients de son étage régulier. «L’une de mes collègues est absente, donc j’ai dû la remplacer sur les urgences», nous confie la médecin de famille, à son poste depuis 8h45 environ. En temps normal, elles sont trois médecins à exercer dans cet établissement du Centre-Sud de l’Île de Montréal, qui accueille 144 patients. Un effectif réduit, facilement déséquilibré si l’une d’entre elles prend un congé ou tombe malade. Le troisième étage, c’est là qu’exerce l’omnipraticienne deux fois par semaine depuis 2016. «Nous avons des gens en lourde perte d’autonomie, très dépendants des préposés pour s'alimenter, se laver, se déplacer», explique la médecin, qui partage le reste de sa semaine entre les soins à domicile au CLSC de Verdun et ses gardes. «Ce sont aussi des patients en lourde perte d’autonomie, que je vais voir chez eux ou en RPA, et je cumule la garde pour eux et pour mes patients du CHSLD. C’est bien pour la continuité des soins, mais c’est lourd.» À lire aussi: Une étude recommande de prescrire de l'activité physique aux aînésUn réel enjeu pour le recrutement, souligne-t-elle, car les médecins qui pratiquent en cabinet ont moins de latitude pour répondre aux urgences, ne serait-ce que par téléphone. La Dre Royer effectue une semaine de garde complète – soir, nuit et fin de semaine – aux sept semaines environ, car le CHSLD Réal-Morel et deux autres établissements ont mutualisé leur système de garde, de sorte qu’il y ait toujours un médecin présent. La collaboration au cœur de la pratiqueDirection le poste des infirmières pour prendre connaissance des urgences ou des alertes notées dans le cahier de communications – papier, pas encore informatisé – depuis sa dernière visite. «Je vais lire les messages et prioriser les cas pour organiser ma journée, commente-t-elle. Je peux faire les suivis seule ou avec l’infirmière, et je peux aussi contacter l’infirmière spécialisée ou d’autres professionnels qui nous aident à distance.» En plus des préposés, des infirmières auxiliaires ou cheffes d’équipe et des médecins, la Dre Royer collabore avec une technicienne en réadaptation physique, une ergothérapeute, une nutritionniste, une travailleuse sociale, une éducatrice spécialisée et une équipe dédiée aux loisirs des résidents, sans compter des géronto-psychiatres de l’Institut de gériatrie pour les approches non-pharmacologiques. Cette collaboration est ce qui lui plaît le plus dans sa pratique. «Les professionnels sont tous motivés pour le bien des patients. On essaie d’harmoniser au maximum les soins avec le milieu de vie», précise celle qui est aussi la médecin gestionnaire du CHSLD, tout en concédant que l’établissement fonctionne en flux tendu, et que la moindre absence implique une pression supplémentaire sur ceux qui restent. À lire aussi: Plus d'aînés en forte perte d'autonomie se retrouvent dans les RPAAprès avoir fait le point avec l’infirmière, la médecin rencontre une première patiente qu’elle connaît bien. L’échange est complice, et va bien au-delà du simple bilan clinique. «Certains de nos patients présentent des SCPD (NDLR: symptômes comportementaux et psychologiques de la démence) et peuvent se montrer agressifs, avec un changement dans leur personnalité», explique la Dre Royer. D’après elle, le profil des patients a sensiblement changé ces deux dernières années, avec davantage de personnes très malades. 10h30. La médecin entame la tournée des chambres du 3e étage. Premier arrêt auprès d’un patient ayant récemment subi une infiltration au bras. «L’infirmière viendra vous donner vos médicaments et il faudra lui parler de votre douleur au bras, elle pourra vous mettre de la crème», lui explique la Dre Royer. «Je n’ai pas confiance, avec vous ça va», lui rétorque le patient. Dans le couloir, un proche aidant interpelle la médecin pour venir nettoyer la plaie de sa femme. Plus de patients, dans des états plus critiquesLa dernière chambre au fond du couloir est occupée depuis le 10 février 2025 par Anthony Jackson, 76 ans. S’il n’est pas certain de la date de son arrivée et de l’année en cours, le patient est en revanche très alerte sur ses habitudes alimentaires et tabagiques, sa capacité à se repérer dans l’espace et sur son rendez-vous à venir avec la travailleuse sociale. Plusieurs points rassurants pour sa médecin, qui l’incite à pratiquer une activité physique et à réduire encore sa consommation de cigarettes – il est passé de 25 à 15 par jour. En plus de ses patients du 3e étage, la Dre Royer-Perron doit régulièrement s’occuper de nouveaux patients présents aux étages de ses collègues. «Les personnes qui sont ici n’ont pas des pronostics très élevés, donc le roulement est important. Avant, on avait une durée de séjour de 18 mois en moyenne. Mais dans les deux dernières années, j’ai pu avoir jusqu’à trois patients qui se succèdent sur le même lit», analyse-t-elle. «On doit rapidement apprendre à les connaître et on essaie de limiter les transferts entre milieux hospitaliers.» L’admission d’un nouveau patient signifie un nouveau dossier à connaître, une évaluation des interventions adéquates. La médecin passe en moyenne une heure sur chaque nouveau dossier. Aujourd’hui, elle en a deux en attente. À lire: «À minuit moins une de l'effondrement du système de soins aux aînés», selon la Dre DechêneCette course de fond quotidienne se poursuit auprès d’Antoinette Mancuso. Arrivée au CHSLD avec un pronostic de trois mois à cause d’une incidence cardiaque, elle y réside depuis presque quatre ans – un deuil pour elle, comme pour presque tous les patients. Pour adoucir son quotidien, la septuagénaire a entièrement décoré sa chambre en rose. Les photos de famille affichées au mur sont nombreuses, et les cadeaux de ses petits-enfants aussi. «Sylvie va venir, Serge aussi. Je n’ai pas à me plaindre, c’est la vie qui m’a rendue là», nous confie-t-elle. Sa jambe a désenflé, remarque la Dre Royer. «J’ai plus d’endurance, je fais de meilleures nuits, il faut dire ce qui est positif aussi!», sourit Antoinette Mancuso, accueillie par un «Youpi!» enjoué. Au moment de quitter la chambre, la patiente s’adresse à nous: «C’est un bon médecin, elle est à l’écoute et très douce.» «C'est gratifiant et motivant»Au total, la Dre Royer-Perron verra une trentaine de patients aujourd’hui, et aura tout autant de notes à rédiger au plus vite, là encore par ordre de priorité, afin d’être envoyées à la pharmacie avant 17 heures. «Au CHSLD, c’est la course contre la montre. Tout doit être fait, finalisé ici, avant que je quitte. Ça me donne une paix d’esprit en arrivant chez nous, mais il y a parfois des familles que je n’arrive pas à joindre. Alors qu'en soins à domicile, tout est informatisé et je peux terminer mes notes le soir à la maison, après avoir passé du temps avec mon fils de deux ans et demi», confie la praticienne. Malgré tout, la Dre Royer reste passionnée par sa pratique et ne compte pas quitter le CHSLD de sitôt, assure-t-elle. «Tous mes patients ont réellement besoin d’un suivi, et ils sont souvent atteints de problèmes chroniques. Je trouve ça gratifiant et motivant. Je ne voulais pas pratiquer une médecine de débit. On a beaucoup de choses à faire dans une journée, mais on est quand même capables de développer un lien avec les patients et leurs familles, mais aussi avec nos équipes.»La médecin est toutefois amère concernant le peu de cas fait à sa pratique depuis la pandémie de COVID-19. «On a eu une prise de conscience des autres professionnels de la santé, mais pas plus haut. On est frustrés de voir que notre clientèle est de plus en plus lourde, qu’on a plus de roulements et de décès, qu’on veut offrir des soins de qualité mais que les ressources ne sont pas là.» Alors que selon elle, prendre correctement les patients en charge dans leur milieu de vie finirait par coûter moins cher au système. «Les CHSLD sont un filet de sécurité. On voit le tsunami gris arriver, mais j’ai l’impression qu’on attend d’être dos au mur pour réagir.»

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