Maladies de la peau : La formation des médecins de famille et leur implication croissante dans la prise en charge de certaines maladies de la peau et dans le dépistage des cancers cutanés

Le Dr Joël Claveau, dermatologue à la Clinique du mélanome et des cancers cutanés à l’Hôtel-Dieu de Québec, est grandement impliqué dans la formation des médecins de famille. Il a accepté de répondre à quelques questions sur ce sujet. Pourquoi les dermatologues ont-ils besoin des médecins de famille ? La province de Québec compte 176 dermatologues, dont une bonne vingtaine œuvrent dans la ville de Québec, et ils sont tous très occupés. Le surcroît de travail tient à plusieurs faits : Le nombre croissant des traitements contre les différentes pathologies; Les trois grandes maladies chroniques en dermatologie, à savoir l’acné, l’eczéma et le psoriasis, amènent les patients à consulter à répétition; L’augmentation importante du nombre de cas de cancer de la peau. C’est le cancer qui connaît la croissance la plus rapide, et la prise en charge des patients qui en sont atteints prend une place de plus en plus grande dans la pratique des dermatologues. Les gens sont plus conscients de leur aspect corporel; Les maladies de peau qui apparaissent chez les personnes plus âgées, dont le nombre va croissant. Tout cela fait que nous avons plus de demandes de consultation en dermatologie. Or, de plus en plus de collègues sont ou partent à la retraite, et leur absence n’est pas compensée par le faible nombre de dermatologues qui sortent des écoles. Par ailleurs, et même si c’est un facteur qui peut paraître secondaire, certains dermatologues se sont tournés vers la cosmétologie. Tous ces facteurs font qu’il y a plus de travail. Dr Joël Claveau En quoi consiste la formation des médecins de famille en dermatologie ? L’enseignement de la dermatologie est peu abordé dans les facultés de médecine au Québec. À Québec, nous donnons une trentaine d’heures de cours de dermatologie aux étudiants prédiplômés. Ceux qui parviennent à décrocher un stage le suivent avec nous à la clinique, mais il y a peu de dermatologues hospitaliers et beaucoup d’étudiants, donc tout le monde n’aura pas l’occasion de suivre un stage en dermatologie. On essaie de complémenter par des heures d’enseignement, des conférences. Les congrès qu’organise la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec leur permettent aussi de se former. Ils peuvent également le faire par Internet, en participant aux séries de questions-réponses proposées dans des revues médicales. L’éducation médicale continue permet aussi d’attirer beaucoup de monde; l’université en propose également, en collaboration avec différents partenaires. La dermatologie constitue un des sujets les plus populaires auprès des omnipraticiens, car un grand nombre de patients présentent des éruptions ou des lésions cutanées. En pratique, quels problèmes dermatologiques les médecins de famille prennent-ils déjà en charge ? Les omnipraticiens prennent en charge plusieurs cas, puisque plus de 75 % des médicaments dermatologiques sont prescrits par eux. Ils traitent l’acné légère, parfois l’acné modérée, l’eczéma, le psoriasis. Ils font montre d’un fort intérêt pour les pathologies qu’ils soignent. Pourraient-ils faire le dépistage et le suivi des cancers cutanés ? Oui. Il est vrai que la tâche des médecins omnipraticiens est lourde au Québec. Cependant, je crois que pour détecter les différents types de cancers cutanés, c’est-à-dire les carcinomes et les mélanomes, ils ont besoin de formation. Des milliers de patients ont reçu un diagnostic de cancer cutané partout au Québec; il est impossible pour les dermatologues de les suivre tous de façon très régulière. Alors, il est important de demander à nos patients de voir, entre leurs visites avec nous, leur médecin de famille pour qu’il examine toute leur peau, leur cicatrice et leurs ganglions dans le cas des mélanomes. Si quelque chose de suspect est noté avant leur visite de contrôle, ils pourront nous contacter plus rapidement. C’est un travail d’équipe. Cela constitue peut-être une nouvelle tâche pour les médecins omnipraticiens, mais nous devons collaborer en communiquant avec eux. Chaque semaine, nous recevons les appels ou les demandes de consultation de collègues qui notent la présence d’une lésion suspecte, d’un cancer cutané ou d’une récidive chez leurs patients. Par ailleurs, mes collègues dermatologues de la grande région de Montréal me disent fréquemment que leurs patients n’ont pas de médecin de famille. Pourtant, il faut que ces patients, surtout ceux à risque de contracter un cancer ou ceux ayant été opérés pour un mélanome à risque de récidiver, se prennent un médecin de famille. Toute la politique gouvernementale qui porte sur ce problème encourage les patients à avoir leur médecin de famille. Ce n’est pas une situation facile. Et pour ce qui est du diagnostic des diverses maladies cutanées ? Oui, les médecins de famille ont un rôle à jouer dans le cas des diverses dermatoses les plus fréquemment rencontrées en première ligne. Ils doivent prendre en charge habituellement les cas les plus simples et diriger en spécialité ceux présentant des pathologies plus sérieuses. C’est exactement comme dans les autres spécialités : ils doivent savoir à quel moment adresser les patients en spécialité. Lors d’une réunion récente avec un groupe de médecins de famille, dans un premier temps, nous avons discuté des critères diagnostiques dans les cas de dermatites et discuté des traitements de première ligne; les cas très graves peuvent alors être dirigés en dermatologie. Par la suite, nous avons eu un atelier sur le diagnostic des cancers cutanés dans lequel nous avons illustré de nombreux cas et discuté des critères de gravité. Je sais que les Québécois sont friands des vacances dans le Sud, surtout en Floride ou à Cuba, et je suis très préoccupé par l’augmentation des cas de cancer de la peau que l’on diagnostique chez eux. La notion d’équipe multidisciplinaire est-elle applicable en dermatologie ? Oui, beaucoup. Personnellement, j’ai la chance de travailler avec une excellente équipe multidisciplinaire à la Clinique du mélanome et des cancers cutanés de l’hôpital Hôtel-Dieu de Québec. Nous sommes actuellement deux dermatologues dédiés à l’oncologie cutanée, et cela inclut la chirurgie dermatologique de Mohs. Je collabore depuis plus de 10 ans avec deux chirurgiens oncologues que je côtoie toutes les semaines. J’œuvre aussi avec une plasticienne et un otorhinolaryngologiste-oncologue pour les cas plus complexes. Depuis des années, nous travaillons beaucoup avec notre excellent groupe de pathologistes comprenant deux dermato-pathologistes, à qui nous parlons tous les jours. Le service de médecine nucléaire nous appuie également de façon significative. De plus, le soutien d’une infirmière pivot est essentiel au fonctionnement d’une telle équipe; nous sommes toujours en contact avec nos collègues, nous collaborons beaucoup. C’est le cas même lorsque nous sommes dans nos bureaux privés à l’extérieur de l’hôpital. En fait, les dermatologues, que ce soit à Montréal ou à Québec, collaborent de plus en plus ensemble, et plusieurs se surspécialisent. Par exemple, à Québec, nous avons trois dermatologues experts des enfants, un expert des cheveux, deux experts du psoriasis, deux dermatologues présentant un intérêt particulier pour les ulcères cutanés et bientôt un dermatologue qui va se spécialiser dans les maladies transmissibles sexuellement. Nous collaborons beaucoup ensemble, et sommes très actifs dans l’éduction médicale continue et la formation des médecins de famille.

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