Luc Mathieu veut replacer les infirmières au cœur de la première ligne

Il ne pouvait pas ne pas en être. Avec l'entrée en service de Santé Québec le 1er décembre et l'adoption, mi-novembre, du projet de loi 67 visant l’élargissement de certaines pratiques professionnelles dans le domaine de la santé et des services sociaux, Luc Mathieu ne pouvait pas refuser un dernier tour de piste. Réélu à la présidence de l'Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) pour un troisième et ultime mandat, Luc Mathieu a promis d'«intensifier ses efforts pour centrer ses activités sur la protection du public», et permettre à ses pairs de jouer «un rôle plus important et déterminant dans l’offre de soins.»Alors que le Congrès 2024 de l'OIIQ, organisé le 3 décembre à Montréal, affichait complet, Profession Santé a pu s'entretenir avec Luc Mathieu sur les objectifs de son dernier mandat et sa vision d'un système de santé en mutation. Dans quel état d’esprit abordez-vous ce troisième mandat?La mise en opération de Santé Québec est une bonne chose. J’espère que ça va fonctionner pour améliorer l’accès à la première ligne notamment. Les infirmières ont toutes leur place dans les équipes de famille et de proximité. On n’est plus dans le modèle «un médecin de famille pour tous». Il faut désacraliser cette idée dans la population, car on entend encore qu’il faut un médecin de famille pour tout le monde. Ce n’est plus le modèle plébiscité par le système de santé, que ce soit le ministère ou les autres ordres professionnels. Le président du Collège des médecins, Mauril Gaudreault, est sur la même ligne. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un professionnel de santé pour tous, et pas nécessairement le même en tout temps.Ça va prendre une campagne à long terme auprès de la population pour faire accepter cette idée, en présentant la nouvelle manière d’organiser l’accès à la première ligne. L’accès est notre talon d’Achille au Québec, et je suis convaincu que les 85 000 infirmières de la province peuvent être mieux utilisées, pas seulement les IPS. Vous croyez à Santé Québec, mais qu’en attendez-vous concrètement ? Que la voix des infirmières soit entendue dans les structures de gouvernance de Santé Québec. Depuis le 1er décembre, les directrices des soins infirmiers doivent relever directement des PDG des établissements de santé, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Je ne me l’explique pas, car les infirmières ont un rôle primordial: ce sont elles qui tiennent le réseau. La ministre Bélanger l'a d’ailleurs rappelé pendant son allocution au Congrès. À lire aussi: Comment «faire équipe»?On parle aussi beaucoup de l’attraction des infirmières dans le réseau, mais il faut surtout parler de la rétention. Je fais écho à ce que tous les membres de l’OIIQ m’ont dit pendant mes tournées régionales: nous avons besoin de soutien clinique, donc d’infirmières qui encadrent leurs pairs. Il faut systématiser cette pratique. Quand les gens débutent dans un métier, ils ont besoin d’avoir des personnes de référence et d’expérience pour les orienter et les conseiller – je pense aux infirmières en CHSLD qui se retrouvent en début de carrière avec 50, 75 voire plus de 100 résidents avec parfois des cas très complexes. Les infirmières d’expérience ont aussi besoin, parfois, de connaissances plus pointues en soins infirmiers dans un domaine particulier, tout comme les omnipraticiens se réfèrent aux médecins spécialistes. Je parle des IPS, mais aussi des infirmières cliniciennes spécialisées. Actuellement, nous n’avons qu’une seule spécialité au Québec: la prévention et le contrôle des infections. Nous comptons 37 infirmières dans toute la province. C’est pourquoi nous travaillons, avec le MSSS et le réseau, à développer une deuxième spécialité en soins des personnes âgées. Mais avec les 1,5 milliards de dollars de coupures dans les établissements annoncées par Santé Québec, on a peur que le soutien clinique en pâtisse. Plusieurs infirmières m'ont d'ailleurs alerté de suppressions de postes de conseillères cadres et de conseillères en soins. Si c'est avéré, ce n'est pas du tout une bonne nouvelle. Même si ce ne sont pas des soins directs aux patients, le retour sur investissement sera concret, car c’est un facteur de rétention et de succès pour Santé Québec. Je l'ai souligné à un haut dirigeant de l'agence. Qu’entendez-vous par «se recentrer sur nos priorités»?Le nouveau plan stratégique de l’Ordre est de se recentrer sur sa mission principale, à savoir la protection du public. On va laisser de côté certaines activités de nature associative pour allouer ces ressources à des mécanismes comme l’inspection professionnelle. Nous avons dépassé l’objectif de 2400 infirmières et infirmiers inspectés l’année dernière, et nous avons investi 3,2 millions de dollars annuellement dans le recrutement de nouvelles inspectrices notamment. Ce n’est pas parce qu’on doute des compétences des infirmières, mais plutôt pour les accompagner et surtout encadrer celles qui exercent des activités à risque de préjudice, qui, si elles sont mal faites ou si les personnes n’ont pas les compétences nécessaires pour les faire, peuvent avoir des impacts plus ou moins importants chez les patients.Nous avons par exemple convenu que les IPS seraient inspectées deux à trois ans après l’obtention de leur diplôme, car elles peuvent poser un diagnostic de maladie ou initier des traitements. On va aussi inspecter des professionnels exerçant dans des milieux où ils n’ont pas beaucoup d’encadrement clinique, comme dans les RPA. Nous travaillons aussi à développer de nouvelles normes, des lignes directrices et à mettre à jour la documentation clinique pour soutenir nos membres et les aider à maintenir ou développer leurs compétences. À lire aussi: Reconnaître les expertisesComment le rôle des infirmières est-il amené à évoluer avec les élargissements de pratique prévus par le PL67 récemment adopté?Notre champ de pratique a beaucoup évolué ces dernières années. Depuis peu, les IPS peuvent par exemple administrer l’aide médicale à mourir, la sédation palliative continue, traiter des demandes anticipées... Et toutes les infirmières peuvent désormais faire des constats de décès. Le PL67 va en plus de cela permettre aux infirmières spécialisées en santé mentale, qui ont suivi une formation de 2e cycle en soins psychiatriques, de diagnostiquer les troubles mentaux – mais elles ne sont que 38 au Québec. Cette nouvelle loi nous donne aussi accès à des outils comme des permis temporaires et permanents restrictifs, autant de nouveaux arguments pour accueillir les gens dans la profession. Nous travaillons par ailleurs à la rédaction d’un autre projet de loi, en collaboration avec le Ministère et nos partenaires comme le Collège des médecins du Québec, pour étendre le droit de prescrire des infirmières. Le fait que les pharmaciens propriétaires engagent des infirmières dans les cliniques en pharmacie peut être intéressant. Mais ce que je trouve plus porteur, ce sont les équipes de proximité. La ministre Bélanger disait par exemple qu’elle voulait faire des CLSC la porte d’entrée pour les soins aux personnes âgées. Le système actuel est vraiment très compliqué pour les patients, surtout âgés, et les infirmières ont un grand rôle à jouer dans ces équipes.

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