Loi québécoise sur les soins de fin de vie: pas si simple, le concept de mort imminente

«Dans la loi québécoise, c’est simple, on est vraiment en fin de vie avec un diagnostic qui a été posé, une maladie qui a évolué et qui est documentée comme étant terminale et pour laquelle la mort est inévitable», souligne Gaétan Barrette, ministre de la Santé et des Services sociaux. Or, même avec cette définition « simple » et « médicale », cela s’est déjà traduit sur le terrain par des interprétations différentes, comme le montrent les premières statistiques publiées par les établissements de santé québécois six mois après l’implantation de la Loi sur les soins de fin de vie. Dans certains établissements, comme le CHU de Québec de l’Université Laval ou le CISSS de la Montérégie-Centre, toutes les demandes d’aide médicale à mourir ont été acceptées, dans d’autres, comme le CISSS des Laurentides ou le CISSS de Lanaudière, plusieurs demandes ont été refusées, car les patients ne répondaient pas à au moins un critère d’admissibilité. De plus, tous les médecins n’interprètent pas la notion de mort imminente de la même façon. Certains estiment que cela veut dire quelques jours, d’autres, quelques semaines, d’autres encore, jusqu’à 12 mois.Le Collège des médecins du Québec, tout en interprétant la notion de mort imminente dans sa définition large — « d’ici quelques mois, mais certainement pas dans plus de 12 mois » —, appelle les médecins à la circonspection. Patients et médecins se trouvent « dans une phase d’apprentissage ». L’important est que « toutes les personnes ayant demandé une aide médicale à mourir aient été entendues et aient reçu toute l’attention requise de la part des médecins ».Lire la suite du dossier: Aide médicale à mourirDans les six premiers mois de l’application de la Loi concernant les soins de fin de vie au Québec, 253 personnes ont demandé l’aide médicale à mourir. Elle a été administrée à 166 d’entre elles.Un médecin qui ne respecterait pas le cadre de la loi fédérale et l’esprit de la Cour suprême risque toujours d’être poursuivi au criminel. Il faudra donc que les provinces définissent ce que veut dire une mort raisonnablement prévisible « de façon similaire et reproductible », souligne le Dr Yves Robert, secrétaire du CMQ. Dans l’esprit des législateurs, à en croire les débats, une mort « raisonnablement prévisible » n’implique pas un pronostic vital, ce qui pourrait vouloir dire qu’un patient quadriplégique ne pourrait pas mettre fin à ses jours ou qu’un patient comme Jean Brault [NDLR : qui a cessé de s’alimenter pour devenir admissible à l’aide médicale à mourir] pourrait entrer dans la zone d’une mort raisonnablement prévisible, explique le Dr Robert.Faudra-t-il légiférer sur une nouvelle loi ?La notion d’autoadministration de l’aide médicale à mourir n’a pas été intégrée dans la loi québécoise. Devra-t-on dans un proche avenir légiférer sur un projet de loi sur le suicide ? C’est possible, estime Gaétan Barrette pour qui « à la limite, il pourrait y avoir deux lois : une loi sur les soins de fin de vie, telle que le Québec l’entend, et une loi sur le suicide assisté, tel que la Cour suprême le voulait ». Il précise bien qu’il n’annonce rien en ce sens, mais réfléchit à la portée de ce que la Cour suprême entend dans son jugement.Pour le Dr Robert, il faut « harmoniser » la loi québécoise avec la loi fédérale, ce qui ne veut pas dire « faire du copier-coller ». Certains articles de la loi fédérale ont été rédigés pour tenir compte de la réalité sur le terrain de certaines provinces. C’est le cas notamment lorsque le législateur fédéral a identifié les infirmières praticiennes spécialisées comme étant des professionnelles de la santé pouvant administrer l’aide médicale à mourir, certaines provinces offrant aux IPS un champ de pratique plus élargi que le Québec. Les infirmières québécoises ne sont pas autorisées à administrer l’aide médicale à mourir. Le législateur a aussi inclus dans la loi fédérale l’autoadministration (la remise de médicaments au patient afin qu’il les prenne lui-même), ce qu’exclut également la Loi québécoise sur les soins de fin de vie.Selon le Dr Robert, le gouvernement fédéral a été « contaminé par la philosophie américaine de la liberté absolue du citoyen ». L’interprétation fédérale découle, estime-t-il, de ce qui se fait en Oregon, où l’on a légiféré sur le suicide assisté et non sur l’aide médicale à mourir. Or, selon le CMQ, il est impossible de garantir qu’un patient puisse se donner la mort de façon sécuritaire, ce que les médecins canadiens auraient pu expliquer si on les avait consultés, comme cela a été le cas au Québec. « [L’interprétation fédérale] permet aux médecins qui s’opposent à l’euthanasie de s’en laver les mains et de dire aux patients «Faites ce que vous voulez selon votre propre droit, mais surtout ne me dérangez pas ». Le Collège des médecins s’opposera [à cette attitude] jusqu’à la dernière minute. »Étant donné qu’au Québec on a choisi de rédiger une loi dans une logique de soin, on devrait donc, selon le Dr Robert, pouvoir s’en tenir à ce champ de pratique. « La balle est dans le camp des provinces, qui vont examiner comment appliquer la loi fédérale », assure-t-il. Un point de vue partagé par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette. « C-14 définit le point le plus loin où une province peut choisir d’aller et les façons d’y aller…, mais vous n’êtes pas obligé de le faire. Le parallèle, c’est l’avortement, jusqu’à l’an dernier il y avait des provinces qui ne le permettaient pas au Canada.»

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