«L’occasion de repenser et de revaloriser l’administration de la santé» – Dr Michel Gervais*

Le Dr Bolduc n’a pas enfreint de lois. Il n’a fait qu’exercer sa profession tout en suivant les règles régissant la rémunération des médecins au Québec.Personne ne lui a reproché d’avoir mal pratiqué la médecine.Comme son entourage et lui-même l’ont expliqué, le Dr Bolduc s’est simplement engagé à traiter des personnes malades aux prises avec des pathologies qui nécessitaient une attention médicale soutenue. Dans cette perspective, une forme d’angélisme irréprochable aurait dû l’immuniser contre la hargne du peuple. Pourtant, les réactions du public ont été vives pour dénoncer les circonstances dans lesquelles cet homme a travaillé pour ainsi dire sept jours par semaine pour concilier son travail de député et celui de médecin.« Une armée de vampires... »Certains y ont vu l’expression de la cupidité de la profession médicale et, pourquoi pas, de tous les autres intérêts corporatistes et des innombrables organisations qui gravitent dans le même univers. Une armée de vampires qui siphonnerait sans retenue le réseau de santé, source intarissable de revenus parce qu’il ne peut pas cesser de produire des services, toujours croissants, pour prendre soin des démunis et des malades.Bien que cette thèse ait son mérite, je suis témoin quotidiennement du fait qu’une majorité de professionnels de la santé, médecins ou pas, demeure animée par l’engagement de soulager la souffrance humaine. Si tel n’était pas le cas, il y a longtemps que l’édifice se serait effondré.Ce serait à la fois inexact et puéril de montrer du doigt la profession médicale en disant qu’elle est devenue une activité exclusivement mercantile, exploitant la misère humaine pour se remplir les poches. Je ne crois pas non plus que le Dr Yves Bolduc soit un homme vilain qui a machiavéliquement tiré les ficelles du système dans le seul but de s’enrichir. Il serait stérile d’en faire un simple procès de moralité et de condamner l’homme politique, sans tirer des leçons susceptibles d’améliorer notre sort collectif.Une culture figée...Je retiens de l’« affaire Bolduc » que l’administration du réseau de la santé doit être beaucoup mieux valorisée, repensée et mise au centre des préoccupations. La culture organisationnelle du système de santé est demeurée figée dans des paradigmes du 20e siècle. Par analogie, c’est comme si l’on tentait de gérer des questions complexes comme le réchauffement climatique avec les méthodes ayant permis de construire en série la Ford-T.Avec raison, des voix s’élèvent pour dénoncer la bureaucratie du réseau qui ne fait trop souvent que paralyser les initiatives et la créativité des acteurs pour s’adapter aux réalités mouvantes de la société postmoderne. Il y aurait beaucoup à dire sur les façons d’adapter nos organisations au nouveau monde, truffé d’incertitudes et ouvert sur une multiplicité inédite de choix possibles, qui s’érige devant nous en ce début de 21e siècle. L’impasse budgétaire qui secoue le réseau de la santé sera peut-être le coup de barre qui nous permettra de revoir nos pratiques managériales.Dans « l’affaire Bolduc », la sagesse populaire n’a néanmoins pas eu la berlue. Voici, selon moi, ce que l’opinion médiatique a vu et qui l’a tant sidérée et déçue. Elle a été confrontée à plusieurs désolantes révélations et à plusieurs désillusions.Première désillusion : l’argent n’arrange pas toutDepuis maintenant plusieurs années, des investissements colossaux ont été réalisés à l’endroit du système de santé, sans parvenir à obtenir une amélioration tangible et reconnue des services. Plusieurs explications mériteraient d’être avancées, ne serait-ce que l’augmentation continue des frais liés aux développements de la médecine et de ses technologies.Dans « l’affaire Bolduc », l’État avait décidé d’octroyer des sommes importantes pour que des patients soient pris en charge par des médecins, sans pour autant se donner les moyens de mesurer les résultats. Pratiquement rien n’avait donc été prévu pour s’assurer de la prise en charge continue et adéquate de ces citoyens. La simple inscription de la personne sur la liste d’un médecin traitant suffisait à régler le problème et on se croisait les doigts pour la suite des événements.Pour ceux qui ne sont pas familiers avec ce modus operandi, sachez qu’il est très largement répandu dans notre système de santé. Voici donc une première désillusion : l’argent n’arrange pas tout.Deuxième désillusion : un management désuetLe management du réseau de la santé, dans plusieurs de ses dimensions cruciales, est devenu trop souvent inapte à gérer la complexité des réalités du 21e siècle. Ce constat n’est pas banal. Il fait appel à un examen approfondi des pratiques de gestion, au rehaussement de celles-ci et à une reconnaissance de leur importance stratégique.Le peuple ne sait pas, et les dirigeants du système de santé non plus d'ailleurs, quels sont les résultats obtenus concernant l’amélioration de la santé de la population à la suite des financements effectués. Des mesures de performance existent, mais comme dans le cas de « l’affaire Bolduc », elles ne sont presque jamais liées à la qualité ou à la satisfaction des patients, et presque toujours à des volumes.Par exemple, les décideurs sont obsédés par la durée moyenne de séjour des patients à la salle d’urgence... la plus courte possible, que le patient soit mort ou vif, pour ainsi dire. Il en est de même pour la prise en charge des patients dits orphelins, l’administration se contentant de savoir combien d’entre eux sont dorénavant inscrits auprès d’un médecin de famille, sans plus.Dans cette perspective, « l’affaire Bolduc » n’est qu’un épiphénomène d’un mal qui ronge le système de santé et menace sa pérennité. Je parle ici de la gestion du réseau de la santé. L’administration du système de santé n’a pas une cote élevée. Le management est perçu comme un mal nécessaire, du « gras » dans lequel on peut inlassablement couper lorsque nous traversons des périodes d’austérité budgétaire.Pourtant, dans une organisation performante structurée et guidée par une saine gestion, on ne pourrait pas déclarer : « Seuls les services administratifs sont coupés, nous ne toucherons pas aux services aux patients ». Ce serait perçu comme une hérésie, comme si le Cirque du Soleil annonçait des coupes draconiennes dans ses services de création et ajoutait du même souffle, pour sauvegarder son image de marque, que cela n’affecterait pas la qualité des spectacles.Troisième désillusion : le salut ne vient pas que du haut de la hiérarchieUn dogme a été sérieusement secoué dans « l’affaire Bolduc ». Voici un homme d’État, ancien ministre de la Santé et médecin symbolisant le pouvoir du traitement curatif en qui les gens ont eu confiance. Il incarne cette croyance suivant laquelle le salut viendra du haut de la pyramide hiérarchique et qu’un leadership énergique, particulièrement s’il est exercé par un médecin guérisseur, saura trouver les remèdes pour garder en forme le système de santé. Eh bien le salut ne viendra pas que d’en haut. La perte de cette relation de confiance avec l’autorité a secoué et choqué plusieurs citoyens. Par ricochet, elle a égratigné la profession médicale.* Médecin psychiatre, Shawinigan, FRCPC, MBA, M.Mgmt.Lire la suite du dossier

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