L'hydrocortisone est-elle utile dans le traitement du choc septique ?

Critique et pratique fait école. Des résidents de première année en spécialité de l’Université Laval ont rédigé un résumé critique d’un article récent d’intérêt dans leur domaine. Le responsable du cours d’apprentissage de la lecture critique, le Dr Michel Cauchon, a invité des cliniciens enseignants de diverses spécialités à collaborer à la révision de ce travail de synthèse. Quelques-uns de ces travaux seront publiés au cours des prochaines semaines. bobby.senay.1@ulaval.ca Article de référenceSprung CL, Annane D, Keh D, Moreno R, Singer M, Freivogel K, et coll. Hydrocortisone therapy for patients with septic shock. New England Journal of Medicine, janvier 2008; 358 :111-24. RÉSUMÉ ObjectifÉvaluer l’efficacité et l’innocuité de l’hydrocortisone chez les patients en choc septique. ConceptionEssai clinique randomisé à double insu avec groupe témoin placebo. ContexteCinquante-deux unités de soins intensifs dans neuf pays d’Europe. ParticipantsPatients de plus de 18 ans hospitalisés aux soins intensifs ayant les critères d’inclusion suivants : choc remontant à moins de 72 heures et hypoperfusion ou dysfonctionnement d’organe attribuable à une sepsie. Le choc était défini comme suit : une tension artérielle systolique de moins de 90 mmHg malgré une réanimation liquidienne adéquate et une thérapie vasopressive d’au moins une heure. Les critères d’exclusion comprenaient la présence d’une maladie concomitante à pronostic pauvre, une immunosuppression, une espérance de vie de moins de 24 heures et un traitement aux corticostéroïdes à long terme dans les derniers six mois ou à court terme dans les dernières quatre semaines. InterventionsAu total, 499 patients ont été répartis au hasard en deux groupes. Le groupe hydrocortisone (n = 251) a reçu de l’hydrocortisone à 50 mg iv aux six heures pendant cinq jours puis a été sevré progressivement, et le traitement a cessé au jour 1 (1). Le groupe placebo (n = 248) a reçu le placebo selon un horaire identique.Principales mesures de résultatsL’issue primaire était le pourcentage de mortalité à 28 jours chez les patients n’ayant pas eu de réaction à l’ACTH. Les issues secondaires étaient la mortalité à 28 jours chez les patients ayant réagi à l’ACTH, et chez tous les patients de l’étude, la mortalité aux soins intensifs, intrahospitalière et à un an, la réversibilité du dysfonctionnement d’organe (incluant le choc) et la durée de séjour hospitalier et aux soins intensifs, et enfin les effets secondaires (surinfections, saignements gastrointestinaux, hyperglycémie, hypernatrémie, faiblesse musculaire, AVC, infarctus du myocarde et ischémie périphérique). La réaction à l’ACTH était définie comme une augmentation de plus de 248 nmol/L (60 minutes après l’injection de 250 μg de cortrosyn). RésultatsIl n’y a pas eu de différence de mortalité à 28 jours entre les groupes hydrocortisone (34,3 %) et placebo (31,5 %, p = 0,51), que ce soit chez ceux ayant réagi à l’ACTH (28,8 % groupe hydrocortisone vs 28,7 % groupe placebo, p = 1,00) ou chez ceux n’ayant pas réagi (39,2 % groupe hydrocortisone vs 36,1 % groupe placebo p = 0,69). Il n’y a pas eu de plus grande réversibilité du choc dans le groupe ne réagissant pas à l’ACTH (hydrocortisone = 76 %, placebo = 70,4 %, p = 0,41) et dans celui ayant réagi à l’ACTH (hydrocortisone = 84,7 %, placebo = 76,5 % p = 0,13). Le choc était toutefois réversible plus rapidement dans le groupe hydrocortisone (3,3 jours) que dans le groupe placebo (5,8 jours, p < 0,001). Dans le groupe hydrocortisone, il y avait une augmentation de l’incidence de surinfections et de nouveaux chocs septiques (RR 1,37; IC 95 % : 1,05 à 1,79), d’hyperglycémie et d’hypernatrémie. ConclusionL’hydrocortisone n’améliore pas la survie ni la réversibilité du choc chez les patients ayant un choc septique, et ce, peu importe qu’il y ait ou non réaction à la corticotrophine même si l’hydrocortisone accélère la réversibilité du choc chez certains patients. COMMENTAIRE Pertinence de l’étudeLe choc septique touche de 2 % à 20 % des patients hospitalisés et est une cause majeure de mortalité et de morbidité dans le monde. Son taux de mortalité dépasse les 30 %. L’utilisation des corticostéroïdes lors d’un choc septique demeure une question controversée qui se base sur la prémisse d’une insuffisance surrénalienne relative contribuant au choc et à la mortalité élevée. L’objectif de cette étude était donc pertinent dans la mesure où il demeurait important de préciser la place des corticostéroïdes dans le traitement du choc septique. Importance des résultatsL’hydrocortisone n’améliore pas la survie des patients en choc septique sans égard à la réaction à l’ACTH ni la réversibilité globale du choc quoique celle-ci se fasse plus rapidement dans le groupe hydrocortisone chez certains patients. Par contre, on a observé plus d’effets délétères sous hydrocortisone : survenue de nouveaux chocs septiques (14 cas vs 5), d’hyperglycémie (85 cas vs 72) et d’hypernatrémie (29 cas vs 18). Critique de la méthodologie Il s’agit d’un essai clinique randomisé de bonne qualité. Seul un patient randomisé n’a pas fait partie de l’analyse, et celle-ci a été faite selon l’intention de traitement. Les mesures de cortisol étaient effectuées à l’insu dans un laboratoire central, et la gravité de la maladie était évaluée à partir de scores bien connus (SAPS II et SOFA). Les issues étaient très pertinentes, soit l’effet sur la mortalité, sur la durée de séjour et sur le dysfonctionnement d’organe. L’essai montre certaines difficultés de ce genre d’études, dont celle du recrutement des sujets. Ainsi, on a randomisé les sujets jusqu’à 72 heures après l’épisode d’hypotension initial, ce qui a pu diminuer l’impact du traitement actif. La taille d’échantillon visée de 800 patients n’a pas pu être atteinte, et ce sont 499 patients qui ont été recrutés, diminuant du coup la puissance de l’étude. La durée du choc avant randomisation devait être de moins de 24 heures puis a été majorée à 72 heures en cours d’étude. Les groupes étaient comparables entre eux sauf en ce qui concerne la tension artérielle systolique moyenne, qui dans le groupe hydrocortisone de non-réaction à l’ACTH était de 92+/-22 mmHg comparativement à 97 +/- 25 mmHg pour le groupe placebo. Les auteurs n’ont pas tenu compte de cette différence dans leur analyse. De plus, la tension artérielle moyenne de plus de 90 mmHg des patients recrutés dans l’étude limite la généralisation des résultats aux patients ayant un choc septique modérément grave. Mise en perspective selon l’état des connaissancesEn 2002, Annane et coll.1 ont démontré une baisse significative de la mortalité à 28 jours (63 % vs 53 %, p = 0,04) et une augmentation de la réversibilité du choc chez les patients en choc septique ayant une insuffisance surrénalienne suppléés avec hydrocortisone plus fludrocortisone pendant sept jours. Il semble reconnu que l’absence de réaction à l’ACTH est un élément en faveur d’un mauvais pronostic, et jusqu’à maintenant, le bénéfice des corticostéroïdes était apparent particulièrement chez cette clientèle (1). Toutefois, dans l’étude d’Annane, le début du choc remontait à huit heures et moins, et le score SAPS II était en moyenne de 60 (comparé à 49 dans l’essai actuel), démontrant une gravité accrue de la maladie. Deux méta-analyses (2,3) datant de 2004 ont démontré une baisse comparable de mortalité à 28 jours jusqu’à 72 heures après le début du choc, qu’il y ait ou non insuffisance surrénalienne. Les deux suggéraient un traitement d’hydrocortisone de moins de 300 mg/jour durant 6 à 11 jours, l’une le suggérant en présence d’insuffisance surrénalienne associée. Enfin, le dernier guide de pratique du Surviving Sepsis Campaign (4) suggère l’hydrocortisone (< 300 mg/jour) chez les patients en choc septique réfractaire au volume et aux amines, mais ne recommande plus le test à l’ACTH et suggère de poursuivre l’hydrocortisone jusqu’au sevrage des amines. CONTRIBUTION À LA PRISE DE DÉCISION CLINIQUE Cette étude indique, malgré certaines limitations méthodologiques, que l’hydrocortisone n’améliore pas la mortalité des patients en choc septique modérément grave et semble augmenter le risque de surinfections. Références Annane D, et coll. Effect of treatment with low doses of hydrocortisone and fludrocortisone on mortality in patients with septic shock. Journal of the American Medical Association, août 2002; 288, 7 :862-72. Annane D, et coll. Corticosteroids for severe sepsis and septic shock : a systematic review and meta-analysis. British Medical Journal, août 2004. Minneci PC, et coll. Meta-analysis : The effect of steroids on survival and shock during sepsis depends on the dose. Annals of Internal Medicine, juillet 2004; 141(1) :47-56. Dellinger RP, et coll. Surviving sepsis campaign : International guidelines for management of severe sepsis and septic shock : 2008, Critical Care Medicine, 2008; 36(1) :296-327. 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