L’Hôtel-Dieu de Montréal peut-il devenir un hôpital de proximité?

Fermer l’Hôtel-Dieu de Montréal, jugé «excédentaire» dans la réorganisation du système de santé, reviendrait à amputer la première ligne de soins au centre-ville. Cela accroîtra la congestion des salles d’urgences et réduira l’accessibilité pour les patients âgés et vulnérables du quartier. Mieux vaudrait le transformer en hôpital de proximité, car le nouveau Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), à vocation ternaire, quaternaire et suprarégionale, n’a pas d’abord pour mission de s’occuper des problèmes chroniques des clientèles âgées et marginales.C’est la thèse que soutiennent les Drs Claude Roy, pédiatre et gastro-entérologue, et Michel Bergeron, physiologue, tous deux professeurs émérites à l’Université de Montréal. Ils l’ont rendue publique dans une lettre ouverte au journal Le Devoir (16 juillet 2014).Il ne faut pas diminuer l’accès à la première et à la deuxième ligne au centre-ville de Montréal, disent-ils. Un hôpital de proximité pourrait fort bien desservir, selon eux, les clientèles vulnérables (toxicomanes, itinérants, alcooliques et marginaux), nombreuses au centre-ville, mais qui n’ont pas leur place dans l’hôpital techo que sera le nouveau CHUM.Horizon 2016Initié en 1996, le nouveau CHUM accueillera les malades en 2016. Il regroupera alors sur un seul site les trois hôpitaux francophones du centre-ville - Hôtel-Dieu, Notre-Dame, Saint-Luc.L’Hôtel-Dieu s’en trouve condamné, n’étant pas devenu, comme on le pensait au départ un centre de soins ambulatoires, en dépit des 50 millions $ de fonds publics investis dans les dernières années pour rénover ses salles d’urgence et blocs opératoires.«Partout dans le monde, l’évolution des soins privilégie les centres locaux de santé. Les CLSC n’ont pu remplir cette mission au Québec, mais l’Hôtel-Dieu, lui, a tout ce qu’il faut pour l’assumer au centre-ville de Montréal», indique à ProfessionSanté le Dr Roy. L’établissement pourrait ainsi contribuer à réduire les listes d’attente. «En plus, nous devons sauver ce trésor de notre patrimoine culturel que constitue l’Hôtel-Dieu.»L’administration de l’Hôtel-Dieu a déjà déménagé. L’urgence est toujours active, ainsi que le centre de cardiologie, les soins aux grands brûlés et quelques spécialités. Les activités cliniques seront définitivement transférées au nouveau CHUM en 2016.Les Drs Roy et Bergeron militent plutôt, avec d’autres, pour donner à l’Hôtel-Dieu une vocation d’hôpital de proximité. «Cela dit, pour l’instant, c’est encore incertain qui déménage et où, au nouveau CHUM ou à l’Hôpital Notre-Dame.»Bientôt 375 ansL’Hôtel-Dieu est une institution emblématique, liée à la fondation même de Montréal (1642), avec Jeanne Mance et, en 2017, 375 ans de présence continue dans la métropole. L’établissement se trouve sur le site actuel depuis 1861.Page 1/2«C’est triste que notre société n’ait pas plus de respect que ça pour une institution aussi patrimoniale. Oui, il y a les politiques d’austérité financière, mais ce n’est pas un bon choix de fermer l’Hôtel-Dieu dans les circonstances. On se prive de services de première ligne et de proximité essentiels, alors que les soins pour problèmes chroniques des personnes âgées sont déjà rationnés», insiste le Dr Roy.Le conseil d'administration du CHUM a proposé, en 2013, de mettre en vente l'Hôtel-Dieu. Le gouvernement a répondu en créant le Groupe d’experts sur l’avenir des bâtiments hospitaliers excédentaires (Hôtel-Dieu et Hôpital Royal-Victoria).Ce groupe s’oppose à la vente et somme Québec de trouver au plus vite une nouvelle vocation à l’Hôtel-Dieu. Il suggère de réserver une partie du site aux logements communautaires et une autre, à l’accueil de diverses institutions de santé publique. L’établissement conserverait ainsi son caractère public. Mais où trouver l’argent pour tous ces réaménagements?Non aux condosIl a déjà été suggéré de transformer l’Hôtel-Dieu en condominiums de luxe, pour contribuer à défrayer les dépenses du CHUM. La population locale et les groupes de pression (Coalition Sauvons l’Hôtel-Dieu de Montréal, La Communauté Milton Park) rejettent cette option.Le Groupe d’experts les appuie dans cette volonté de conserver au site une vocation publique: l’institution doit revenir à la communauté, qui s’oppose à la privatisation d’un bien collectif patrimonial.Au plan économique cependant, l’Hôtel-Dieu constitue «un poids inutile», selon plusieurs, et le sauvegarder en évoquant le patrimoine urbain a un coût jugé prohibitif.ÉnoncéLa Ville de Montréal mène en ce moment une étude sur «l’énoncé d’intérêt patrimonial» de l’Hôtel-Dieu. Elle comprend une étude historique (les origines de l’hôpital), le bâti (son architecture) et le volet paysager.Dans une lettre au Devoir (10 juin 2014) et au nom de l’Association Jeanne-Mance, Lucie Dagenais, infirmière, appuie l’importance de garder à l’Hôtel-Dieu une vocation santé et un statut public.Cet hôpital «dispose d’équipe soignantes, d’installations et d’équipements modernes permettant de s’adapter rapidement à une vocation ambulatoire plus complète, souhaitée par le gouvernement», lit-on dans la lettre. Le Dr Roy rappelle pour sa part que l’Hôtel-Dieu est le seul hôpital francophone situé au pied du Mont-Royal, c’est-à-dire au centre-ville.Infirmières«L’esprit de l’Hôtel-Dieu, bien qu’indéfinissable, est encore très présent dans les murs. Les malades nous le disent», résume à ProfessionSanté sœur Thérèse Payer, directrice du Centre Jeanne-Mance. Elle est membre des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph, que Jeanne Mance fit venir pour s’occuper de l’hôpital. Le quadrilatère de l’Hôtel-Dieu comprend, entre autres, leur maison mère.Sœur Payer fut un temps responsable des soins à l’École d’infirmières de l’Hôtel-Dieu, qui a formé, entre 1901 et 1970, soit de l’ouverture à sa fermeture, 3000 infirmières et… 24 infirmiers.«L’Hôtel-Dieu doit maintenir sa vocation de santé, avec les soins palliatifs ou gériatriques, par exemple. Il ne faut pas en abîmer la mémoire, c’est notre histoire collective.»Page 2/2

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