Lettre ouverte: Réplique au texte d'opinion du Dr John Crosby

Réplique au texte du Dr John Crosby, Gestion du temps pour les 12 diagnostics les plus fréquents en médecine familiale, paru le 25 mai 2023 dans l’infolettre de ProfessionSanté.ca La surutilisation de tests et des traitements est un fléau qui menace la survie du système de santé. Dans son rapport de 2017, l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) estimait que 30% des tests, traitements et procédures réalisés au Canada sont inutiles. Avoir l’impression de manquer de temps est un sentiment fortement répandu chez les médecins de famille. L’idée que l’utilisation judicieuse des tests et traitements requiert beaucoup de temps est un mythe tenace chez les médecins. Pourtant, le suivi de résultats équivoques et le suivi de tests qui n’auraient pas été nécessaires à la suite de l’évaluation clinique peuvent contribuer à la surcharge de travail des médecins de famille. Si nous saluons l’idée de partager entre nous des astuces pour augmenter l’efficience, certains conseils du Dr Crosby nous préoccupent: en plus de ne pas être basés sur des données probantes, ces derniers sont des exemples de surutilisation. Sans appuyer les autres propos de son texte, nous croyons particulièrement nécessaire de rectifier certains faits. EXAMEN MÉDICAL PÉRIODIQUE Au sujet de l’examen périodique, il écrit: «J'en fais un tous les trois ans pour les patients en bonne santé qui ne présentent pas de symptômes, car je fais partie d'un système de paiement par capitalisation. Si vous êtes rémunéré à l'acte, faites-les chaque année lors du premier rendez-vous, lorsque vous êtes frais et dispos et que vous n'êtes pas surbooké». Cette recommandation est surprenante, car un examen annuel n’est pas une pratique recommandée, et ce, depuis 1979, année où le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP) s’est prononcé sur le sujet. Il faut adapter nos interventions à la personne devant nous, selon son âge et son sexe en se basant sur les données probantes. Concernant les tests demandés en contexte de dépistage, l’auteur affirme: «Je fais des analyses de laboratoire pour obtenir une numération sanguine complète, des électrolytes, la glycémie, le taux de cholestérol et un FIT (test immunochimique fécal) pour le cancer du côlon.» Nous sommes surpris que l’auteur recommande tous ces tests de routine sans contexte; la formule sanguine et les électrolytes ne sont jamais indiqués en contexte de dépistage. Le FIT test est recommandé, mais seulement à partir de 50 ans et aux 2 ans chez les patientes et patients à risque moyen de cancer colorectal. Pour le dépistage du diabète de type 2, le GECSSP recommande que cela se fasse uniquement chez les patientes et patients à risque élevé ou très élevé (selon l’échelle FINDRISC), et au moyen de l’hémoglobine glyquée, jugée plus pratique que la glycémie à jeun selon ce groupe. L’évaluation du risque cardiovasculaire et le bilan lipidique, quant à eux, peuvent être réalisés aux 3 à 5 ans chez les patientes et patients ne prenant pas de statine en vertu des lignes directrices simplifiées sur les lipides du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). HYPERTENSION ARTÉRIELLE Pour les patientes et patients hypertendus bien contrôlés, le Dr Crosby conseille de les revoir aux six mois: aucune donnée n’appuie un suivi aussi rapproché. De plus, nous sommes d’avis qu’il y a là une opportunité de travail interdisciplinaire pour que la patiente ou le patient rencontre la bonne intervenante ou le bon intervenant, au bon moment. DIABÈTE «Je demande au patient d’enlever chaussures et chaussettes avant de l’examiner, et il me remet sa "liste de sucres" depuis notre dernier rendez-vous.» Pourtant, les données sont claires: l’autosurveillance de routine de la glycémie chez les diabétiques n’utilisant pas l’insuline n’offre aucun bénéfice clinique. Pire encore, elle impacte négativement la qualité de vie, sans comporter d’avantages. «Si son état est stable, je le revois tous les trois mois.» Les données probantes appuient une approche individualisée, qui peut être aux 6 mois chez les diabétiques dont l’état est stable. Encore une fois, à notre avis, le travail interdisciplinaire serait de mise dans une telle situation. «Une semaine avant chaque visite, ma secrétaire remet aux patients une requête d’analyses de laboratoire que j’ai signé pour suivre les glycémies, l'HbA1C, la créatinine, les protéines dans l'urine, les électrolytes, la CK, le profil hépatique et les lipides.» Nous sommes d’avis que plusieurs de ces tests n’ont pas leur place de routine (CK, bilan hépatique), et que les autres tests peuvent être espacés plus souvent qu’aux trois mois. HYPERCHOLESTÉROLÉMIE «J'ai également un formulaire pour cette pathologie et je passe en revue les résultats des analyses de laboratoire et les médicaments. Je prends la tension et j'examine le cœur, les poumons et les pouls périphériques. Je leur demande s'ils ont des douleurs musculaires et s'ils sont stables. Je les revois dans 12 mois et je fais un profil lipidique, une créatinine, des électrolytes, une CK et un profil hépatique, entre autres.» Cette conduite est surprenante et ne tient pas compte des lignes directrices simplifiées sur les lipides du CMFC. Faut-il rappeler qu’un taux de cholestérol élevé n’est pas une pathologie, mais bien un des nombreux facteurs de risque de maladie cardiovasculaire? Il faut plutôt s’assurer de bien renseigner la patiente ou le patient sur son risque. Le taux de cholestérol est quelque chose qui ne change pas rapidement dans le temps et qui ne devrait pas être mesuré de façon répétée, aux années, chez la plupart des individus. Sans autre contexte, la créatinine, les électrolytes, et les CK n’ont pas à être mesurés même si la patiente ou le patient prend une statine. Nous lançons donc le défi au Dr Crosby et à nos collègues: il est possible d’être autant voire plus efficace et bien gérer son temps en limitant les tests et les traitements inutiles. Ce faisant, chacune et chacun contribue à l’utilisation judicieuse des ressources en santé. Vous souhaitez vous aussi faire valoir votre point de vue sur un enjeu du système de santé? Apporter une réflexion vis-à-vis de votre profession? Envoyez-nous un texte d'opinion à titre de professionnel de la santé ou d'association en santé, afin qu'il soit relayé sur le site. Plus d'infos >

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