Les thérapies ciblées déclenchent-elles des réactions cutanées d'origine inflammatoire?

Les thérapies ciblées peuvent déclencher des réactions cutanées inflammatoires «paradoxales», tant chez les patients traités pour des affections cutanées que chez ceux traités pour d'autres raisons. «C'est paradoxal parce que les anticorps monoclonaux (mAbs) thérapeutiques sont conçus pour réduire l'inflammation, et pourtant, ils peuvent parfois déclencher une augmentation de l'inflammation dans une autre partie du corps ou selon un modèle autre que celui pour lequel ils sont utilisés», selon le Dr William Damsky, professeur associé de dermatologie à la Yale School of Medicine. Il est coauteur d'une étude portant sur l'incidence et les manifestations des éruptions cutanées paradoxales causées par les anticorps ciblant les cytokines et administrés pour traiter divers problèmes médicaux. Les résultats ont été publiés dans le Journal of the American Academy of Dermatology. «Personne ne comprend vraiment pourquoi les réactions paradoxales se produisent, mais elles sont potentiellement associées à la perturbation d'une boucle de rétroaction normale du système immunitaire», a-t-il avancé. Normalement, le système immunitaire libère des cellules inflammatoires pour combattre une maladie, puis, lorsque le problème est résolu, il s’arrête de lui-même. Mais cet arrêt ne fonctionne pas toujours correctement lorsque le système immunitaire est modulé par ces médicaments. La thérapie ciblée utilise des mAbs qui ciblent des parties très spécifiques du système immunitaire pour réduire l'inflammation. Ces médicaments ont révolutionné le traitement de nombreuses maladies, dont plusieurs en dermatologie. Comme ils ciblent des parties limitées du système immunitaire, ils sont généralement associés à moins d'effets indésirables. Mais certains patients traités par des mAbs développent des réactions paradoxales, soit un nouveau problème (une réaction cutanée inflammatoire) ou l'aggravation d'un trouble préexistant à médiation immunitaire. L'expression «éruption cutanée» est vague dans les monographies On ne sait pas vraiment qui peut avoir des réactions paradoxales, pourquoi elles se produisent ou quelle est leur gravité. Bien que les monographies de produits mentionnent généralement les «éruptions cutanées» comme effet indésirable possible, «cela reste vague du point de vue de la dermatologie, car cela peut faire référence à n'importe quoi, du psoriasis à l'eczéma, en passant par d'autres problèmes», a affirmé le Dr Damsky. Les chercheurs ont effectué une revue systématique des études sur les réactions paradoxales cutanées signalées en association avec l'utilisation de mAbs qui inhibent la signalisation des cytokines. Il s'agissait notamment du facteur de nécrose tumorale a (TNF-α), de l'interleukine (IL) 12/23 (p40), de l'IL-17A/17R, de l'IL-23 (p19) et des inhibiteurs de l'IL-4Ra. Ils étaient utilisés pour traiter une variété de conditions médicales. Un total de 313 articles rapportant 2049 cas de réactions paradoxales chez des patients utilisant des mAbs ont été inclus. Ils ont été publiés entre 2007 et 2020. Les résultats ont montré que les inhibiteurs du TNF-α étaient plus souvent associés à des réactions cutanées paradoxales que les autres traitements. Les réactions psoriasiformes ont été les plus fréquemment rapportées. «Sur les 36 études incluses dans cette revue, nous avons constaté que l'infliximab était le coupable le plus fréquent (56,6% des cas), suivi par l'adalimumab et l'étanercept représentant respectivement 30% et 11%, et finalement le certolizumab et le golimumab représentant moins de 2,5% des cas», indique l'étude. Les réactions cutanées de type lupique ont été peu fréquentes mais étaient plus fortement associées à l'utilisation de l'infliximab (56% des cas paradoxaux rapportés), de l'adalimumab (25%) et de l'étanercept (15,5%). Dans de rares cas, des réactions de type sarcoïdose et d'autres réactions granulomateuses ont également été observées. Le Dr Damsky a fait remarquer que les inhibiteurs du TNF-α sont les plus anciens sur le marché, ce qui explique le nombre plus élevé d'années pendant lesquelles des réactions ont été signalées. Les inhibiteurs de l'IL-17 constituent une classe plus récente de médicaments approuvés pour le traitement du psoriasis, du rhumatisme psoriasique et des spondylarthropathies. La réaction paradoxale la plus fréquemment rapportée était l'eczéma, qui a souvent commencé environ quatre mois après le début du traitement. Une aggravation du psoriasis, une modification de la morphologie du psoriasis, des réactions sarcoïdales et d'autres réactions ont également été signalées. Les inhibiteurs de l'IL-23 p19, approuvés pour le traitement du psoriasis et de la maladie de Crohn, n'ont donné lieu qu'à deux cas de réactions eczémateuses. «Même si des études supplémentaires seront sans aucun doute publiées, les données actuelles suggèrent que (les réactions paradoxales de type eczéma) pourraient être moins fréquentes avec l'inhibition de l'IL-23 qu'avec les inhibiteurs de l'IL-17A», indique l'étude. Le dupilumab - utilisé pour la dermatite atopique, l'asthme et la rhinosinusite chronique avec polypose nasale - a été à l’origine de 22 signalements de cas de psoriasis dans l'année qui a suivi le début du traitement. La plupart des patients étaient traités pour une dermatite atopique, et un pour l'asthme. «La plupart des patients ont développé une affection de type psoriasis en plaques, mais aussi érythrodermique, en gouttes, du cuir chevelu et palmoplantaire (réactions paradoxales) ont également fait l’objet d’un signalement», indique l'étude. Une poignée de cas d'eczéma localisé sont également apparus dans les six mois suivant le début du traitement par dupilumab. Une alopécie areata, des réactions sarcoïdales et une rosacée ont également été rapportées. «Parmi tous les médicaments, le psoriasis a été la réaction la plus fréquente. Et bon nombre des diverses réactions ont eu tendance à se produire quelques mois après le début du traitement», a souligné le Dr Damsky. Les études de pharmacovigilance des traitements, même des années après leur approbation, sont importantes pour que les médecins sachent ce qu'ils doivent surveiller, à savoir si un patient développe un nouveau problème médical ou s'il s'agit d'un problème causé par un traitement. «La thérapie ciblée présente de nombreux avantages pour un certain nombre d'affections telles que la maladie de Crohn, l'asthme ou la colite. Si les réactions cutanées sont légères, il n'est généralement pas nécessaire de modifier le schéma thérapeutique du patient. Et pour les réactions paradoxales légères, les traitements topiques fonctionnent généralement très bien», a noté le Dr Damsky. Lors de la récente conférence annuelle de l'Association canadienne de dermatologie, une étude dévoilée sur une affiche décrivait les prédicteurs de la gravité du psoriasis paradoxal dans les thérapies biologiques. Cette étude a été présentée par le Dr David Croitoru, un étudiant de 5e année en dermatologie à l'Université de Toronto. L'étude souligne que le psoriasis paradoxal survient chez 2 à 5% des patients recevant des inhibiteurs du TNF-α pour un psoriasis préexistant, une maladie intestinale inflammatoire ou une arthrite inflammatoire, mais que les facteurs de risque de réactions graves demeurent mal compris. Dans une revue systématique, les chercheurs ont identifié 303 études ayant des résultats d'intérêt. Les études ont été trouvées à l'aide des bases de données MEDLINE et EMBASE, de leur création jusqu'au 22 juin 2021, et portaient sur le psoriasis paradoxal dû aux médicaments biologiques. Les résultats ont montré que l'adalimumab seul était associé à un psoriasis paradoxal grave par rapport à l'étanercept. Par rapport à l'adalimumab, tous les autres inhibiteurs du TNF-α étaient moins susceptibles d'être associés à des réactions graves. De plus, l'âge avancé semblait atténuer le risque. «Les explications potentielles peuvent être la fréquence relative des doses d'adalimumab et l'immunosénescence chez les patients plus âgés», indiquait l'affiche.

Les thérapies ciblées déclenchent-elles des réactions cutanées d'origine inflammatoire?

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes