Rôle élargi des pharmaciens: un médecin et un pharmacien débattent

Les médecins et les pharmaciens exercent leur profession dans des contextes complètement différents. Ils sont pourtant appelés à travailler ensemble sur une base régulière, voire quotidienne. Malgré cette proximité, les incompréhensions face à la profession de l’autre sont nombreuses.Ces incompréhensions sont d’autant plus exacerbées par les problèmes d’accessibilité que connaît aujourd’hui le réseau public de la santé. Pour réduire la pression exercée sur les cliniques médicales et les hôpitaux, les pharmaciens désirent aujourd'hui accroître la portée de leur rôle auprès des patients.Afin de contribuer au dialogue entre ces deux professionnels, L’actualité médicale et L’actualité pharmaceutique ont proposé à un médecin et à un pharmacien de partager, le temps de quelques heures, le quotidien de l’autre.Dans le présent article, un jeune pharmacien a accompagné, à titre d’observateur, un médecin de famille dans des rencontres avec des patients lors d’une journée typique dans une clinique médicale.À la cliniqueCe pharmacien s'appelle Nicolas Dugré et il est diplômé du doctorat professionnel en pharmacie de l’Université de Montréal. Il a accepté l’invitation d’accompagner le Dr François Croteau, du groupe de médecine de famille de la Clinique médicale 3000, dans l’Est de Montréal. Cette rencontre s'est déroulée en juin dernier.Nicolas Dugré est de cette catégorie de pharmaciens qui estiment qu’ils ont plus à offrir au système de santé que de distribuer des médicaments. Ces pharmaciens se considèrent comme LES experts de la pharmacothérapie et considèrent qu'ils devraient faire partie intégrante du processus de soins.Malgré une ambition professionnelle et des idéaux souvent associés à la jeunesse, Nicolas Dugré est un pragmatique : pas question que les pharmaciens se substituent aux médecins. Chacun son expertise.Quant au Dr François Croteau, il est reconnu depuis longtemps par ses pairs pour sa contribution à la formation continue des médecins et à l’interdisciplinarité. Il revenait d’ailleurs tout juste de vacances avec… des amis pharmaciens !Bien qu’il soit un médecin ouvert aux autres professionnels de la santé, le Dr Croteau reste un ardent défenseur de l’importance du rôle du médecin.Les cinq propositions de l'OPQAprès avoir reçu près d’une dizaine de patients dans son bureau de consultation en compagnie de Nicolas Dugré, le Dr Croteau a accepté de discuter des cinq propositions de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) sur l’élargissement de leur rôle professionnel.L’OPQ réclame notamment le droit pour ses membres de prolonger les ordonnances et de les adapter lorsque c’est nécessaire. L’Ordre voudrait également que les pharmaciens puissent traiter certaines conditions mineures, commander des analyses de laboratoire pour vérifier l’efficacité de la pharmacothérapie et administrer des médicaments à des fins de santé publique ou d’enseignement.En faveur de la prolongation des ordonnances par les pharmaciens, le Dr Croteau se montre cependant sceptique quant à la demande des pharmaciens de traiter des conditions mineures. « Ce qui dérange les médecins dans cette proposition, c’est qu’il ne faut pas confondre le traitement d’un symptôme avec un diagnostic différentiel, souligne le médecin de famille. Un symptôme n’égale pas toujours une pilule. »Le Dr Croteau donne en exemple les deux jeunes frères qu’il vient de recevoir dans son bureau de consultation. « Le premier avait des symptômes évidents, mais ne souffrait de rien de grave, explique-t-il. L’autre enfant n’avait pas de symptômes particulièrement apparents, mais tu fais un examen physique des poumons et tu te dis que ça ne va pas du tout ! »« Un médecin va poser un questionnaire au patient, lui faire un examen physique et, au besoin, le référer afin qu’il passe des examens de laboratoire. Après cette démarche, on peut s’asseoir et choisir le traitement le plus approprié », poursuit le Dr Croteau.Sur ce point, Nicolas Dugré partage en partie l’opinion de son vis-à-vis. « Le traitement de conditions mineures par les pharmaciens devrait être extrêmement bien encadré et pour des cas précis. »L’argentLe Dr Croteau manifeste également un certain doute quant au détachement professionnel des pharmaciens envers ce qu’il appelle « leurs clients », ce qui fait bondir Nicolas Dugré. « Avec l’expression que vous venez d’employer, on dirait que vous croyez que nous n’avons que des considérations financières à soigner les gens », déplore le jeune pharmacien.Le Dr Croteau explique qu’il doute que les pharmaciens aient la distance professionnelle nécessaire pour traiter des conditions mineures avec les médicaments qu’ils vendent. « Le gouvernement a ôté le droit des médecins à vendre des médicaments pour cette raison. Pourquoi faire une exception pour les pharmaciens ? » demande-t-il.Nicolas Dugré répond que cet argument relève de préjugés des médecins envers les pharmaciens plutôt que de faits. Il estime, à titre d'exemple, qu'on ne peut pas accuser un pharmacien salarié, qui n'a aucun avantage à privilégier un traitement plutôt qu’un autre, d'être en conflit d'intérêts.« Ce n’est pas aux médecins à faire cette distinction, tranche François Croteau. Pour nous, un pharmacien est un pharmacien, peu importe qu’il soit un salarié ou un propriétaire.Nicolas Dugré regrette que la question de l’argent soit souvent amenée par les médecins pour nuire aux pharmaciens, comme si ce dossier était plus important que la santé des patients. Le Dr Croteau conteste cette lecture de la réalité. « Au contraire, que les pharmaciens gagnent plus que moi ne me dérange pas du tout. La seule chose qui m’importe, c’est que nos patients soient soignés le mieux possible. »Le nœud des examens de laboratoireLes deux hommes ne partagent également pas la même opinion quant à la demande des pharmaciens de commander des examens de laboratoire afin d’assurer un suivi de la thérapie médicamenteuse.Nicolas Dugré y voit un très bon moyen de soulager les médecins de cette tâche, en plus de permettre aux pharmaciens d’effectuer un meilleur suivi pharmacothérapeutique pour adapter les ordonnances. Le Dr Croteau y voit plutôt… un fardeau supplémentaire pour les médecins.« Le médecin de famille se fait déjà submerger de résultats qu’il n’a pas commandé et qui proviennent des médecins spécialistes. S’il faut ajouter les analyses commandées par les pharmaciens, cela alourdira considérablement notre tâche », déplore le Dr Croteau.« Avec les médecins spécialistes, c’est déjà un sérieux problème, poursuit le Dr Croteau. Sur le plan déontologique, ils ne peuvent pas nous envoyer ces résultats et nous forcer à faire le suivi. Les médecins de famille ne sont pas de bonne humeur sur cet enjeu et les pharmaciens veulent en rajouter. Ce n'est pas de votre faute, mais votre demande part déjà avec un sérieux handicap. »« Mais si ce sont les pharmaciens qui commandent l’analyse de laboratoire et qui assurent le suivi de la thérapie médicamenteuse, ce sera ça de moins pour les médecins, non ? » demande Nicolas Dugré. « Non, car je vais les recevoir quand même à la clinique », tranche le médecin de famille.Selon Nicolas Dugré, le moyen d’éviter que les médecins soient submergés par les résultats d’analyses de laboratoire serait de baliser le droit des pharmaciens d’en commander.« Bref, ce que vous voulez, c’est une ordonnance collective ? » renchérit le Dr Croteau. Nicolas Dugré répond qu'il serait plus avantageux de donner le droit législatif aux pharmaciens de les commander, car les ordonnances collectives nécessitent un processus de rédaction plus fastidieux pour les médecins et qu’il faut les faire adopter dans chaque région, ce qui limite leur portée.Le pharmacien en GMFPour le Dr Croteau, l’Ordre des pharmaciens devrait prioriser l’embauche de pharmaciens dans les groupes de médecine de famille plutôt que de faire ses cinq demandes. « Je ne comprends pas pourquoi l’Ordre n’a pas fait de ce dossier son principal cheval de bataille auprès du gouvernement. »Selon lui, un pharmacien de GMF pourrait assurer une liaison idéale entre le GMF et les multiples pharmacies communautaires du territoire. Les médecins apprendraient à le connaître et donc à lui faire confiance, contrairement à tous les pharmaciens étrangers qui les appellent.Bien que Nicolas Dugré soit d'accord avec l'importance de valoriser le rôle du pharmacien en GMF, il est convaincu que les pharmaciens peuvent jouer un plus grand rôle concernant le choix des traitements, notamment dans des cas de toux ou d'allergies. « Ce sont des exemples où nous pourrions vraiment travailler en complémentarité. »

Rôle élargi des pharmaciens: un médecin et un pharmacien débattent

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes

Catégorie