Les médecins, Monsieur Dubé, sont comme des érables

Monsieur le ministre, Nous traversons un moment difficile dans les négociations entre les médecins et le gouvernement. Vous, comme les fédérations médicales, avez l’objectif d’arriver à une entente qui améliore l’accès aux soins, mais on dirait que vous n'êtes pas capables de vous comprendre. Permettez-moi d’illustrer la situation d’une façon simple et imagée, qui plaira sans doute autant à l'acériculteur qui produit du sirop d'érable qu'au ministre de la Santé qui cherche des solutions. Les médecins, Monsieur Dubé, sont comme des érables. Vous connaissez bien les érables, vous êtes vous-même propriétaire d’une belle érablière. Chaque arbre produit une quantité variable d’eau d’érable. Les jeunes érables donnent peu: ils sont encore en croissance. D’autres, dans la fleur de l’âge, remplissent leurs chaudières jour après jour. Enfin, certains plus âgés, fatigués par le poids des années, coulent un peu moins chaque printemps. Cela n’a rien d’anormal: après avoir généreusement donné pendant des décennies, ils ralentissent. Il en va de même pour nous, médecins. Ceux qui débutent ne peuvent pas encore fournir autant que ceux qui ont 10 ou 15 ans d’expérience. Ceux qui travaillent depuis 30 ans produisent un peu moins, et c’est normal: ils ont donné sans relâche, année après année, pendant des décennies.Face à ce constat, je vous pose une question: si vous vouliez plus de sirop, que feriez-vous?Vous avez déjà planté de nouveaux arbres, bravo! Les admissions dans les facultés de médecine ont augmenté ces dernières années. Mais, comme vous le savez, il faut du temps pour faire pousser un érable. Former un médecin aussi prend du temps et de la patience. En attendant, que faire des érables déjà en place?Avec le projet de loi 106, vous ne plantez pas: vous forez davantage. Vous percez de nouveaux trous, vous installez plusieurs chaudières autour du même tronc. Résultat? Les arbres s’épuisent, sans produire plus. On ne récolte pas plus de sève en multipliant les entailles. On cause des blessures. Et à force d’insister, certains érables finissent par tomber. Ce projet de loi, c’est une hache. Vous entaillez le tronc jusqu'à le meurtrir. Et une fois l’arbre endommagé ou abattu, il faudra des années avant que les jeunes pousses ne deviennent assez productives pour les remplacer. Nous ne pouvons pas nous permettre cette perte.Toutefois, il existe des alternatives. D’abord, diversifier les sources. Le sirop de bouleau, par exemple, est une belle voie à explorer. Dans notre système, ces «bouleaux», ce sont les infirmières praticiennes spécialisées, les pharmaciens, les physiothérapeutes. Eux aussi peuvent contribuer à la récolte. En misant sur cette diversité, nous allégeons la pression sur les érables.Ensuite, moderniser les méthodes. Aujourd’hui, trop souvent, nous travaillons encore «à l’ancienne», avec chaudières, chevaux et carrioles. Pourquoi ne pas investir dans des systèmes de tubulure modernes? Ces chaudières, ce sont nos outils informatiques qui ne communiquent pas, notre organisation administrative qui avance à la vitesse d'une vieille jument et nos méthodes de gestion des rendez-vous et des demandes de consultation qui coulent de partout. Offrir aux patients des options simples pour annuler ou déplacer un rendez-vous, rendre nos systèmes interopérables entre la première et la deuxième ligne, partager efficacement l’information entre cliniques et hôpitaux: voilà des changements qui augmentent la productivité sans blesser les arbres.Vous le savez, Monsieur le ministre, un bon tracteur rend la récolte plus efficace qu’un cheval fatigué. Je sais que vous aimez votre tracteur, vous en parlez avec fierté. Ainsi, pourquoi ne pas offrir à tout le réseau ces outils modernes qui facilitent la tâche, plutôt que d’imposer des entailles supplémentaires?Monsieur Dubé, je vous invite à revoir votre approche. Les médecins veulent contribuer. Ils veulent collaborer. Mais n’imposez pas un projet de loi qui fragilisera davantage les troncs qui tiennent déjà le système à bout de branches. En forçant trop, vous risquez de perdre vos érables les plus précieux. Et il faudra alors attendre bien longtemps avant que les jeunes pousses ne deviennent matures.J’espère que cette métaphore vous aide à comprendre la réalité qui se vit sur le terrain. Il existe des solutions, il existe des compromis. Miser sur la diversité des professionnels, investir dans l’efficacité des systèmes de soutien, et surtout, écouter ceux qui travaillent jour après jour auprès des patients du Québec.De grâce, ne brandissez pas la hache. Préservez la forêt. Parce que sans érables, Monsieur le ministre, il n’y aura plus de sirop.Respectueusement, Samuel Gareau-Lajoie, Médecin de famille

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Samuel Gareau Lajoie

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