Les gériatres veulent contribuer davantage à l’accessibilité aux soins

Le vieillissement de la population québécoise est un phénomène inéluctable qui soulève des défis importants en matière de santé publique, que ce soit en termes de qualité ou de quantité de soins à prodiguer. Pour les relever, les gériatres lèvent ostensiblement la main. «Nous faisons clairement partie de la solution», affirme la Dre Julia Chabot, qui préside depuis quelques semaines l’Association des médecins gériatres du Québec (AMGQ). En entrevue avec Profession Santé, la praticienne au Centre hospitalier de St. Mary, à Montréal, expose sa vision de la place de la gériatrie dans le continuum de soins des aînés. On sait que les médecins sont en général bien occupés. Qu’est-ce qui vous a donc motivée à briguer la présidence de l’AMGQ?Dans le contexte du vieillissement que tout le monde connaît, j’ai le désir de faire rayonner la gériatrie. Notre spécialité reste malgré tout méconnue. Les gens ne savent pas vraiment le rôle que l’on peut jouer. Étant donné les besoins de santé croissants de la population âgée, on va devoir former de plus en plus de professionnels pour y répondre. J’espère pouvoir susciter un engouement autour de la gériatrie afin que davantage de soignants viennent travailler dans notre domaine. C’est une spécialisation très gratifiante.On dénombre actuellement 148 gériatres en exercice à travers la province. L’AMGQ calcule qu’il en faudrait au moins 211 pour atteindre le ratio d’un gériatre pour 4000 habitants de 75 ans et plus. Or l’an dernier, seuls quatre résidents se sont surspécialisés en gériatrie au Québec. Comment résout-on cette équation?La pandémie de COVID-19 a suscité une certaine conscientisation par rapport au rôle de la gériatrie. Dans la foulée, on a connu un bel engouement chez les résidents. Dans les deux dernières années, on remarque un essoufflement. Malheureusement, le domaine intéresse moins. En toute sincérité, je me l’explique mal, car je trouve que c’est une super belle profession. On doit adresser cet enjeu important. Je crois que si l’on valorise mieux notre rôle et qu’on expose mieux notre profession, on va être capables d’attirer des résidents. Lire aussi: Le Québec manque de gériatres pour répondre au vieillissement de la populationÀ titre de présidente de l’AMGQ, quelles sont les trois premières priorités de votre mandat?La première concerne la communication. Comme je vous l’ai dit, je veux faire rayonner la gériatrie, et pas qu’auprès des médecins ou des étudiants en médecine; aussi auprès de la population, des décideurs comme des professionnels de la santé. Pour s’occuper de notre population âgée, le médecin gériatre travaille en équipe interdisciplinaire. On va donc avoir également besoin d’infirmières, de physiothérapeutes et d’ergothérapeutes formées à la gériatrie. En second lieu, je veux qu’on innove pour qu’on travaille de manière plus efficace afin de délivrer les bons soins à la bonne personne et au bon moment. Ce qui m’amène au troisième point. Au niveau clinique, on veut continuer de promouvoir l’accès à la gériatrie. Mais pour qu’on devienne plus accessible, on doit promouvoir l’interdisciplinarité dans le but de mieux identifier les personnes âgées vulnérables, à la santé complexe, qui ont besoin de voir un médecin gériatre.D’ici 2030, un quart des Québécoises et des Québécois auront 65 ans et plus, selon l’Institut de la statistique du Québec.Justement, quelle est votre place dans le continuum de soins? Cela dépend du contexte. En clinique externe, on va voir des personnes âgées qui vivent dans la communauté, à leur domicile ou en résidence pour aînés. Ce sont des patients plus vulnérables dont les problèmes médicaux sont plus complexes. Ils présentent souvent ce qu’on appelle les grands syndromes gériatriques: des troubles neurocognitifs, des chutes à répétition, de la polypharmacie, etc. Ils nous sont référés par les médecins de famille qui s’occupent très bien des aînés et qui sont formés pour le faire. Nous, on intervient alors en deuxième ligne quand le cas nécessite d’être approfondi avec une approche plus holistique. En milieu hospitalier, c’est assez varié. On peut faire des consultations à l’urgence où l’on peut nous demander si la personne est sécuritaire pour retourner à domicile ou si elle a besoin d’une hospitalisation, si elle est confuse ou si elle fait du délirium, etc. On peut ainsi coordonner des congés à l’urgence et éviter des hospitalisations. On peut aussi faire des consultations sur les étages quand, par exemple, la personne est confuse après une chirurgie.Plusieurs gériatres se plaignent cependant d’être consultés trop tardivement. Je constate que les collègues des autres spécialités sont de plus en plus sensibilisés. Ils nous appellent plus facilement pour avoir notre opinion. Dernièrement, un chirurgien nous a par exemple consultés au sujet d’une personne qu’il devait opérer pour une résection de l’intestin. Celle-ci semblait confuse, alors on l’a vue avant l’intervention pour optimiser ses soins postchirurgie. Dans les curriculums d’enseignement en médecine, les étudiants aussi en apprennent plus sur la gériatrie. Tout n’est pas parfait, mais on a là de bonnes bases pour améliorer les choses.Lire aussi: Les universités adaptent leur programme de médecine au vieillissementVous proposez le déploiement d’un Programme québécois de gériatrie. En quoi consiste-t-il?C’est une idée en pleine ébullition qui se construit au fur et à mesure de nos discussions avec le ministère de la Santé et les autres parties prenantes. La prise en charge des aînés vulnérables nécessite un continuum de soins complet et efficace. Actuellement, les parcours de soins sont très, très complexes et morcelés. Ça demande un gros travail de coordination pour essayer d’avoir une approche individualisée et d’offrir des soins pertinents en temps opportun. L’idée avec ce programme, ce serait donc d’avoir des infirmières pivots en gériatrie qui, comme les infirmières pivots en oncologie, aideraient les patients à naviguer dans le réseau de la santé tout en dressant des ponts avec la communauté ou d’autres programmes.En parallèle, l’AMGQ veut implanter des gériatres répondants. Quel serait leur rôle?C’est un projet sur lequel on travaille vraiment très, très fort avec le ministère, en espérant qu’on pourra le déployer bientôt. On veut rendre les gériatres plus accessibles à la première ligne. Pas seulement aux omnipraticiens ou aux IPS, mais aussi aux travailleurs sociaux, aux physiothérapeutes, etc. Si les équipes de soins ont besoin de discuter d’un cas particulier ou de référer un patient, il y aurait un gériatre disponible du lundi au vendredi sur appel téléphonique, par télémédecine ou en présentiel. Un gériatre qui serait disponible rapidement, le jour même éventuellement, à proximité sur un territoire donné. Sinon, il y aurait un gériatre de garde par RUISSS [réseau universitaire intégré de santé et de services sociaux, ndlr] pour qu’il y ait toujours quelqu’un en mesure de répondre aux équipes. Permettre au plus grand nombre d’avoir accès à l’expertise gériatrique, c’est vraiment notre grande priorité.

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