Les antibiotiques et les stéroïdes topiques : pas plus efficaces qu'un placebo pour traiter la rhinosinusite maxillaire aiguë !

Michel Labrecque, MD, Ph. D., CCMF, FCMF michel.labrecque@mfa.ulaval.ca UMF du CHUQ Saint-François d’Assise Article de référence Williamson IG, Rumsby K, Benge S, Moore M, Smith PW, Cross M, Little P. Antibiotics and topical nasal steroid for treatment of acute maxillary sinusitis : a randomized controlled trial. JAMA, décembre 2007; 298:2487-96. RÉSUMÉ Objectif Déterminer l’efficacité de l’amoxicilline et du budésonide topique (Rhinocort) pour traiter la rhinosinusite maxillaire aiguë. Conception Essai clinique randomisé à double insu de type factoriel. Contexte Cinquante-huit pratiques médicales de première ligne (74 médecins de famille) du Royaume-Uni entre novembre 2001 et novembre 2005. Participants Deux cent quarante adultes (15 ans et plus) parmi 388 éligibles ayant une rhinosinusite maxillaire aiguë présentant deux critères ou plus parmi les suivants : écoulement nasal purulent prédominant d’un seul côté, douleur locale prédominant d’un seul côté, écoulement nasal purulent bilatéral, pus à l’examen du nez. Les patients ayant eu deux épisodes de rhinosinusite aiguë au cours de l’année précédente, une comorbidité importante, et ceux ayant reçu des antibiotiques ou des stéroïdes topiques au cours du dernier mois ont été exclus. Interventions Les participants ont été répartis au hasard dans les quatre groupes suivants : 1) amoxicilline 500 mg tid x 7 jours + inhalateur nasal de budésonide 200 μg dans chaque narine die x 10 jours (n = 53); 2) amoxicilline + inhalateur nasal placebo (n = 60); 3) antibiotique placebo + inhalateur nasal de budésonide (n = 64); 4) antibiotique placebo + inhalateur nasal placebo (n = 63). Principales mesures de résultats La proportion de patients guéris à 10 jours selon un journal quotidien des symptômes et un suivi téléphonique. Un patient était considéré comme guéri s’il avait un score de 0 ou 1 sur 6 pour chacun des 11 symptômes évalués. La durée et la gravité des symptômes ont également été analysées. Résultats La proportion de patients ayant eu des symptômes persistant 10 jours ou plus (non guéris) a été de 29 % (29/100) avec l’amoxicilline et de 34 % (36/107) avec le placebo (rapport de cotes ajusté [RCa] 0,99; intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] 0,57 à 1,73). La proportion de patients non guéris a été de 31 % (32/102) avec l’inhalateur nasal de budésonide et de 32 % (33/105) avec l’inhalateur nasal placebo (RCa 0,93; IC 95 % 0,54 à 1,62). Une analyse secondaire semblait indiquer que le stéroïde topique était plus efficace chez les patients ayant moins de symptômes à l’entrée dans l’étude. Conclusion L’amoxicilline et le budésonide topique, pris seul ou ensemble, ne sont pas des traitements efficaces de la rhinosinusite maxillaire aiguë en soins de première ligne. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude La rhinosinusite aiguë est l’un des diagnostics les plus fréquemment posés en médecine familiale. La prescription d’un antibiotique et/ou d’un stéroïde topique en inhalation nasale est-elle réellement efficace pour résoudre les symptômes ? Importance des résultats La proportion de patients guéris 10 jours après leur entrée dans l’étude a été d’environ 60 %, qu’ils aient pris de l’amoxicilline, du budésonide en inhalateur nasal ou un placebo. La rapidité de la régression des symptômes jusqu’au 14e jour a également été semblable quel qu’ait été le traitement pris. Pour les plus curieux, les graphiques présentés dans les figures 2 et 3 de l’article original sont assez éloquents à cet effet. Observation inusitée : le budésonide semblait efficace chez les participants ayant peu de symptômes d’atteinte générale alors qu’elle était moins efficace que le placebo chez ceux qui étaient plus gravement atteints. Il n’y a pas eu de complications liées à la sinusite chez les participants ni d’effets délétères graves liés au traitement. Critique de la méthodologie Cette étude est robuste sur le plan méthodologique. Il s’agit d’un essai clinique randomisé à double insu où chaque patient prenait à la fois un médicament (actif ou non) par voie orale et un autre (actif ou non) en inhalation nasale. Ce plan d’étude de type factoriel permet de répondre à deux questions en ce qui concerne l’efficacité du traitement : 1) amoxicilline vs placebo et 2) budésonide vs placebo. Le processus de randomisation était approprié, et la dissimulation de l’assignation a été respectée. Les groupes étaient relativement comparables quant aux variables pronostiques les plus importantes. Il s’agissait principalement de femmes (72 %) âgées en moyenne de 42 ans ayant deux (70 %) ou au moins trois (30 %) symptômes caractéristiques qui évoluaient depuis sept jours (médiane) et ne faisant pas de température. Les mesures de 11 symptômes éprouvés par les patients ont été faites à l’aveugle. L’analyse, réalisée en respectant le groupe d’étude des patients, a tenu compte du plan d’étude factoriel. Même s’il s’agit de la plus grosse étude en soins de première ligne non subventionnée par l’industrie pharmaceutique, la taille de l’échantillon demeure limitée pour démontrer la plus petite différence cliniquement significative entre les groupes quant à la proportion de sujets guéris. Par ailleurs, elle est nettement suffisante pour évaluer la différence entre les moyennes du score des symptômes. On déplore que seulement 74 (32 %) des 230 médecins qui avaient accepté de recruter des patients l’aient effectivement fait. La proportion de sujets perdus de vue dans cette étude d’une durée de seulement deux semaines est assez importante (14 %). De plus, elle varie entre 19 % dans le groupe placebo-placebo et 10 % dans le groupe antibio-placebo. Les auteurs ont cependant pris soin de faire une analyse de sensibilité tenant compte de cette perte différentielle pendant le suivi. Une petite différence d’efficacité apparaît en faveur des traitements actifs, mais elle n’est significative ni sur le plan clinique ni sur le plan statistique. La durée des symptômes avant la consultation est un critère important pour distinguer la rhinosinusite bactérienne d’une infection virale. Le seuil de plus de 7 à 10 jours est souvent invoqué chez l’adulte. (1,2) Dans cette étude, la durée médiane des symptômes était de sept jours (variant de 4 à 14 jours). Donc une bonne proportion de patients n’avait que quelques jours d’évolution des symptômes, ce qui indiquait une probabilité plus grande de rhinosinusite virale et une évolution naturelle probablement plus favorable. Aucune analyse d’efficacité selon la durée des symptômes avant la consultation n’a été faite. L’ensemble de ces limites n’invalide toutefois pas les conclusions générales de l’étude. Mise en perspective selon l’état des connaissances Ce n’est pas la première étude qui sonne le glas de l’antibiothérapie de routine dans le traitement de la rhinosinusite aiguë. Deux méta-analyses récentes (3,4) montrent que dans le cas de sinusites maxillaires bactériennes prouvées par ponction sinusale ou très probables selon la radiographie (opacité complète ou niveau) évoluant depuis 7 à 14 jours, environ 70 % des patients sont guéris ou voient leur état amélioré avec un placebo, alors que 85 % obtiennent ces résultats avec des antibiotiques. La différence est modeste (15 %; NNT = 7). Vu la difficulté d’établir l’étiologie des rhinosinusites (bactérienne ou virale) chez les patients vus en première ligne, ainsi que le démontre l’étude de Williamson, rares seront les patients qui tireront profit des antibiotiques (sans compter ceux qui en auront les effets délétères !). En ce qui concerne les stéroïdes topiques, une méta-analyse de la collaboration Cochrane arrive à des trouvailles similaires quant à la proportion de patients guéris ou à l’état amélioré avec les stéroïdes topiques (73 % vs 66 %; différence 7 %; NNT = 14)(5). En accord avec les connaissances actuelles, le guide de pratique publié en septembre 2007 par l’American Academy of Otolaryngology1 recommande un traitement symptomatique sans antibiotique de la rhinosinusite bactérienne aiguë peu grave (douleur modérée, température < 38,3 °C) pendant les sept premiers jours suivant le moment du diagnostic, à moins d’une détérioration au cours de cette période. Contribution à la prise de décision clinique Cette étude confirme le peu d’efficacité des antibiotiques et des stéroïdes topiques dans le soulagement des symptômes de la rhinosinusite aiguë de l’adulte en soins de première ligne. La décision de prescrire ou non devrait être prise avec le patient. Références

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