Les aberrances médicales de ma semaine (Partie 1)

Cette semaine, une personne de 88 ans est venue me voir pour que je complète son formulaire médical pour la SAAQ1. Sans être âgiste, je suis toujours un peu inquiet quand une personne très âgée (presque centenaire) vient me consulter pour son permis de conduire, surtout quand je ne la connais pas. Déjà que ceux que je suis depuis longtemps et qui ont de multiples complaintes et problèmes de santé se trouvent miraculeusement bien portants le jour où ils arrivent avec leur formulaire, comme par magie (!). Comment s’y retrouver avec les autres? Évidemment, je sais que je devrais bien davantage m’inquiéter des jeunes qui n’ont jamais rien conduit d’autre qu’un bicycle à pédales, et qui se retrouvent soudainement au volant d’un engin du tonnerre, collant au derrière des «vieux mononcles» qui respectent les limites, comme si la route leur appartenait, dépassant à droite et roulant à 120 km/h dans les zones de 100 en sachant très bien qu’à cette vitesse-là, ils ne risquent rien. Bref, en conduisant comme des fous; mais ceux-là personne ne me les envoie.Le vieillard était accompagné de son fils. J’ai rapidement compris pourquoi. Il était sourd, totalement sourd. En réalité, sourd et muet. Résultat d’une méningite contractée en bas âge, qui l’a laissé avec ce handicap. Tellement sourd qu'il était pratiquement impossible de compléter l'examen de l'acuité visuelle au moyen de la charte de Snellen vu ses réponses difficilement perceptibles. Comme je me questionnais sur sa capacité à conduire, son fils m’a dit: «Ne vous en faites pas, docteur, mon père conduit depuis les 70 dernières années sans problème. C’est même lui qui nous amenés jusqu’ici!»Qu’en pensez-vous? Une personne sourde – totalement sourde – devrait-elle être autorisée à conduire un véhicule automobile? Oui, je sais … Ce n’est pas nous qui décidons, mais bien la SAAQ. Toutefois un rapport médical défavorable n’est sûrement pas sans conséquence, sinon pourquoi donc nous enverrait-on tous ces gens? À ceux qui seraient tentés de répondre «non», c’est-à-dire de recommander de ne pas autoriser la conduite automobile, je vous rappelle que l’on ne conduit pas avec ses oreilles, mais bien avec sa tête, et que le vieil homme avait «chauffé» pendant près d’un siècle sans problème. Ouais, je me doute bien… Cela ne vous impressionne guère.Quant aux autres qui pensent que cela ne pose aucun problème, vous partagez les vues de la SAAQ. En effet, selon le Guide de l’évaluation de l’aptitude à conduire au Québec et le Guide explicatif du Règlement relatif à la santé des conducteurs3: Il est généralement admis que les troubles de l’audition n’affectent pas le risque d’accident. Certains conducteurs sourds compenseraient leur incapacité en restant concentrés et en utilisant les rétroviseurs de manière optimale4. Ainsi, la Société ne procède pas systématiquement à l’évaluation de l’acuité auditive de tous les conducteurs. De plus, il n’y a pas de norme auditive en vigueur pour les conducteurs au Québec, sauf pour la conduite de véhicules appartenant à certaines classes professionnelles, comme énoncé à l’article 13 du Règlement.(NdA – À noter que cet énoncé s’appuie sur un manuel cité en référence et non pas sur des données probantes ou des études comparatives. De fait, en parcourant ledit document, on constate que l’on réfère simplement aux lignes directrices canadiennes qui elles, sont beaucoup plus nuancées5 - cf note en bas de page ) Ah! Bon…Mais alors, pourquoi tous ces avertisseurs, klaxons et trompettes de tout genre qui nous agressent? Pourquoi une clochette sur les vélos ou un sifflet pour prévenir les emportages? Pourquoi les ambulances hululent-elles comme cela? Pourquoi les policiers nous courent-ils après avec leurs sirènes stridentes? Pourquoi les camions de pompiers nous défoncent-elles les tympans si nous avons le malheur de nous trouver sur leur chemin à une intersection? Pourquoi les locomotives hurlent-elles autant aux passages à niveau, si, le fait pour un conducteur de les entendre ou non, n’a aucune importance?! Si tous ces avertisseurs n’ont aucune incidence sur la conduite automobile, peu importe que le conducteur entende ou pas, pourquoi en installe-t-on? Et pourquoi, avertit-on tant? C’est pour le fun! Pour rien! Je serais curieux de savoir si la SAAQ compile des données impliquant les conducteurs malentendants. Ce qui fait que, pour être conséquent avec la SAAQ, je propose que l’on supprime tous ces foutus klaxons de nos véhicules comme on a fait pour les allume-cigarettes. Et puis, si le fait d'entendre n'a pas d'importance pour conduire, pourquoi alors distribue-t-on des billets aux cyclistes et aux conducteurs qui vont avec leurs écouteurs sur les oreilles? Que l’on cesse cela.Et tant qu’à y être, je demande aussi que l’on interdise les systèmes antivols assourdissants installés sur nos véhicules qui perturbent le quartier et qui dérangent tout le monde sauf … les voleurs. Nous savons tous que quand l’alarme se déclenche, c’est que le propriétaire tente d’ouvrir la porte du véhicule alors qu’il a oublié ses clés à la maison. Quel énergumène!Mais surtout, je recommande à la SAAQ de supprimer la section 2 du formulaire sur les troubles auditifs puisque, sourd ou pas, malentendant ou pas, tu peux conduire. Alors pourquoi nous faire perdre notre temps à répondre à cette section?Enfin la paix et la sainte paix…Références:1. Rapport sur l’état de santé – Permis de conduire, SAAQ2. L’évaluation médicale de l’aptitude à conduire un véhicule automobile, Collège des médecins du Québec3. Guide explicatif du Règlement relatif à la santé des conducteurs, SAAQ4. Judith L. Charlton et collab., Influence of Chronic Illness on Crash Involvement of Motor Vehicle Drivers: 2 nd Edition, Melbourne, Monash University Accident Research Centre, report no 300, novembre 2010, xix-620 pages.5. There are few data to indicate that hearing impairment affects driving ability. In certain circumstances, meeting certain standards of hearing is recommended… To date there is no conclusive evidence linking drivers’ hearing loss with an increased risk of motor vehicle crashes. However, people with severe hearing loss will have limited ability to detect emergency sirens and other roadside sounds (e.g., train horns and crossings) and, where applicable, should be encouraged to wear hearing assistive devices while driving. P.57

Les aberrances médicales de ma semaine (Partie 1)

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Découvrez ses autres billets:

Les ratés de l’in-intelligence articielle

Intermède syndical - Les doubles identifications

Et maintenant, Monsieur Dubé….

Derrière ce blogue:

Roger Ladouceur

Catégories connexes