Le temps est venu d'utiliser le test NT-proBNP pour diagnostiquer l'insuffisance cardiaque à l'urgence

Claude Topping, MD, CCMF(MU), CSPQ claude.topping@mfa.ulaval.ca Urgence Article de référence Moe GW, Howlett J, Januzzi JL, et coll. N-Terminal Pro-B-Type natriuretic peptide testing improves the management of patients with suspected acute heart failure. Primary results of the Canadian prospective randomized multicenter IMPROVE-CHF study. Circulation, juin 2007; 115:3103-10. RÉSUMÉ Objectifs Déterminer si l’utilisation du test NT-proBNP apporte une contribution utile au jugement clinique dans le diagnostic de l’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) au département des urgences. De plus, les auteurs voulaient vérifier si la stratégie diagnostique incluant le test aurait un impact sur les coûts sans compromettre les résultats recherchés, en comparaison avec un plan de soins habituel. Conception Essai clinique randomisé à double insu. Contexte Sept urgences d’hôpitaux tertiaires d’enseignement canadiens. Participants Un échantillon de 534 patients adultes consécutifs vus entre décembre 2004 et décembre 2005, chez lesquels le médecin soupçonnait une dyspnée d’origine cardiaque. Interventions Au départ, les patients étaient investigués à l’urgence de manière habituelle. Un prélèvement sanguin supplémentaire pour le NT-proBNP était effectué initialement. Aucun autre test de BNP n’était permis. Le médecin d’urgence devait se prononcer sur son évaluation de la probabilité (entre 0 % et 100 %) de l’origine cardiaque de la dyspnée lorsque tous les résultats de l’investigation initiale étaient disponibles. Ce n’est qu’à ce moment que les patients étaient randomisés à l’un des deux groupes, soit le traitement traditionnel sans résultat du test ou le groupe au résultat connu. Le médecin apprenait le résultat du test dans le groupe test immédiatement après l’ouverture d’une enveloppe opaque numérotée. Les patients étaient classés selon le principe de l’intention de traiter. Principales mesures de résultats La durée de séjour à l’urgence, aux soins intensifs, à l’hôpital. La mortalité à l’hôpital et à 60 jours ainsi que le nombre de réhospitalisations. Le diagnostic définitif était déterminé par deux cardiologues qui étudiaient le dossier final du patient sans savoir le résultat du test. Ils classaient les patients dans trois catégories : ICA; pas d’ICA chez un patient connu comme ayant une insuffisance cardiaque; pas d’ICA. L’analyse des coûts comprenait le prix du test (37 $), toutes les visites à l’urgence concernant l’épisode, l’hospitalisation, la rémunération des médecins et les coûts des services médicaux en externe. Le total tient compte du système de santé canadien, qui est le seul agent payeur public. Résultats Des 534 patients évalués, 34 furent exclus pour des violations de protocole (11) ou de critères d’exclusion (23). Cinq cents patients furent randomisés en deux groupes : NT-proBNP connu (n = 246) et NT-proBNP non connu (n = 254). Après la sortie de l’hôpital, 11 patients ont refusé de continuer l’étude et 6 ont été perdus au suivi (n global = 483). Les deux groupes possédaient des caractéristiques semblables. Curieusement, quoique le symptôme de dyspnée ait été un critère d’inclusion, seulement 55 % des patients en présentaient. Le diagnostic final était l’ICA pour 230 sujets (46 %), pas d’ICA chez un patient connu comme ayant une insuffisance cardiaque pour 45 (9 %), et pas d’ICA pour 225 (45 %). Le taux d’admissions à l’hôpital était de 57 %. La durée de la visite initiale à l’urgence était de 5,6 heures dans le groupe NT-proBNP connu et de 6,3 heures dans le groupe NT-proBNP non connu. Il n’y avait pas de différences significatives quant aux autres résultats, sauf en ce qui concernait le taux de réhospitalisations : NT-proBNP connu 33 (13 %), NT-proBNP non connu : 51 (20 %). Globalement, les coûts des soins du groupe NT-proBNP connu étaient 15 % plus faibles (5180 $ vs 6129 $). La précision diagnostique du médecin d’urgence telle que calculée par une courbe ROC s’établit à 0,83 (IC 95 % : 0,80 à 0,84), et celle du NT-proBNP, à 0,86 (IC 95 % : 0,84 à 0,89). En combinant le jugement clinique et le NT-proBNP, la précision augmente à 0,90 (IC 95 % : 0,90 à 0,93). Conclusion Dans un système public de soins payé par le gouvernement, une stratégie ajoutant le test NT-proBNP au jugement clinique facilite le diagnostic et diminue les coûts globaux de traitement. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude Devrais-je utiliser le NT-proBNP chez les patients chez qui je soupçonne une insuffisance cardiaque aiguë ? L’utilisation du test NT-proBNP a déjà été étudiée, mais pas dans une étude randomisée construite pour vérifier l’utilité clinique du test à l’urgence. En raison des coûts du test et des critiques des études précédentes, rares sont les hôpitaux québécois où le test est offert. Cliniquement, ce dernier serait le plus utile dans les cas douteux. La marge des résultats en zone grise du test est large. Les urgentologues se posent donc la question pertinente : est-il utile ? Cette étude réalisée dans sept hôpitaux canadiens dont deux québécois a-t-elle toutes les qualités requises pour nous convaincre ? Importance des résultats La durée de séjour à l’urgence a diminué de 6,3 à 5,6 heures, soit d’environ 40 minutes. Les auteurs ont analysé un sous-groupe de patients chez qui le jugement clinique était incertain. La durée de séjour a alors diminué d’un peu plus de deux heures (de 7,5 à 5,4 heures chez 219 patients), ce qui est non négligeable dans le contexte de nos urgences engorgées. Curieusement, les coûts globaux de ce sous-groupe n’ont pas diminué de façon importante. Les auteurs n’ont pas démontré de risques à utiliser ce test. Critique de la méthodologie Voilà une étude dont la randomisation respecte les principaux critères d’un essai clinique de bonne qualité. La mise en parallèle avec la méthode traditionnelle constitue un bon point de comparaison. Le diagnostic final a été fait par deux cardiologues qui ne connaissaient pas les résultats du test. C’est donc un très bon étalon clinique. La clientèle de l’étude est celle d’hôpitaux d’enseignement universitaire canadiens. Ainsi, les résultats peuvent être différents dans d’autres circonstances. On peut se poser des questions sur l’inclusion des patients : pourquoi seulement 55 % présentaient de la dyspnée ? Mise en perspective selon l’état des connaissances Cette étude clinique a toutes les qualités requises pour nous faire changer notre pratique. La méthodologie est sans failles ni biais notables. Elle concerne notre système de santé publique, et la clientèle d’hôpitaux universitaires mise à part, les participants sont des Canadiens. Les urgentologues ont toujours critiqué l’imprécision des résultats du test BNP chez la clientèle où un bon test serait utile, c’est-à-dire chez le patient dyspnéique ayant des antécédents pulmonaires et cardiaques, ainsi que chez les personnes âgées. Les résultats de cette étude sont probants; ils nous aident à prendre les bonnes décisions, et le patient est orienté plus rapidement vers la bonne spécialité. Les coûts du test sont absorbés par une meilleure utilisation du système, car le coût global de traitement est alors diminué, et les patients sont moins souvent réhospitalisés. Contribution à la prise de décision clinique Lorsqu’un médecin à l’urgence a un doute sur l’étiologie d’une dyspnée aiguë, le test NT-proBNP devrait être offert pour qu’il puisse l’utiliser. Ce dernier pourrait l’aider à prendre les bonnes décisions de traitement et diminuer les coûts de santé durant les 60 premiers jours.

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