Le saccharose par voie orale : une option analgésique chez l'enfant lors des immunisations de routine de 2 et 4 mois ?

Critique et pratique fait école. Des résidents de première année en spécialité de l’Université Laval ont rédigé un résumé critique d’un article récent d’intérêt dans leur domaine. Le responsable du cours d’apprentissage de la lecture critique, le Dr Michel Cauchon, a invité des cliniciens enseignants de diverses spécialités à collaborer à la révision de ce travail de synthèse. Quelques-uns de ces travaux seront publiés au cours des prochaines semaines. marie-pier.desjardins.2@ulaval.ca yohann.st-pierre.1@ulaval.ca Article de référence Hatfield L, Gusic M, Dyer AM, Polomano R. Analgesic properties of oral sucrose during routine immunizations at 2 and 4 months of age. Pediatrics, février 2008; 121 :327-34. RÉSUMÉ Objectif Évaluer les propriétés analgésiques du saccharose per os lors des immunisations de routine chez l’enfant âgé de 2 et 4 mois. Conception Essai clinique randomisé avec groupe témoin placebo. Contexte Soins ambulatoires d’une clinique pédiatrique affiliée à l’Université de Pennsylvanie. Participants Cent enfants en santé et nés à terme qui ont visité consécutivement la clinique pédiatrique pour leurs vaccins de 2 ou 4 mois entre mars 2004 et avril 2005. Ont été exclus : enfants ayant reçu de l’acétaminophène le jour de la vaccination, ayant été nourris moins de 30 minutes avant la vaccination, ne faisant pas usage de sucette. Interventions Parmi 995 patients admissibles, 100 ont été randomisés; 17 patients ont été exclus des analyses. Les enfants ont été répartis dans les groupes 2 et 4 mois selon l’immunisation de routine qu’ils devaient recevoir, puis ont été assignés au hasard afin de recevoir soit 1) 0,6 mL/kg de solution orale contenant 24 % de saccharose [n = 17;21], ou 2) 0,6 mL/kg d’une solution d’eau stérile [n = 25;20]. Après la prise orale, l’utilisation de la sucette était préconisée. Principale mesure de résultats La diminution de la douleur évaluée à 0, 2, 5, 7 et 9 minutes dans la séquence d’injection des vaccins estimée selon l’échelle de douleur élaborée par le Children’s Hospital de l’Université du Wisconsin (UWCH pain scale, score de 0 à 5 pour cinq variables comportementales), mesurée en termes de différence entre les patients recevant le saccharose et ceux recevant le placebo. Résultats Le groupe à l’étude à deux mois comportait 38 enfants et celui à quatre mois en comptait 45. Les résultats sont présentés en termes de scores obtenus selon l’échelle de douleur au départ (0,00 vs 0,02; p = 0,926), ainsi qu’à deux (1,19 vs 3,02; p < 0,001), cinq (2,96 vs 4,31; p < 0,001), sept (3,80 vs 4,81; p < 0,01) et neuf minutes (0,59 vs 2,75; p < 0,001) dans la séquence d’injection pour les enfants ayant reçu du saccharose versus le placebo. À neuf minutes, le groupe saccharose est revenu près du score du départ (0,59) alors que le groupe placebo se situait toujours à 2,75. Une différence de 78,5 % entre les scores moyens a ainsi été obtenue. Conclusion Le sucrose per os est un analgésique efficace, de courte durée d’action et facile à administrer lors des immunisations de routine. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude Le calendrier de vaccination proposé par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec comprend neuf injections dans la première année de vie seulement. Un sondage effectué auprès de parents et de médecins a démontré que la préoccupation première en ce qui concerne les multiples injections lors d’une même visite est la douleur. Le saccharose est utilisé et démontré comme efficace chez les prématurés et les enfants à terme pour ses propriétés analgésiques lors d’interventions comme les ponctions veineuses. Les sociétés canadienne et américaine de pédiatrie ainsi que la société américaine de la douleur recommandent son utilisation comme analgésique en néonatologie. Par contre, il n’existe aucune ligne de conduite chez les enfants plus âgés lors de l’administration des vaccins ou encore d’autres interventions. Donc, on peut se demander si le saccharose est vraiment une option efficace dans la pratique de tous les jours. Importance des résultats Afin de conclure à des résultats significatifs, les auteurs ont présenté les résultats en faisant la somme des groupes de 2 et 4 mois. Les deux groupes sont comparables quant au genre, à l’âge gestationnel, au mode de naissance et au poids de naissance. Le nombre de patients à traiter (NNT) se chiffre à 4 pour obtenir un score de 0 ou 1 sur l’échelle de douleur à la deuxième minute postsaccharose et se chiffre à 2 pour l’obtention d’un même score à la neuvième minute postsaccharose. La signification clinique des résultats est difficile à établir en regard de l’échelle utilisée. Critique de la méthodologie Les points forts de l’étude sont le recrutement consécutif des participants, le processus de randomisation explicite, le respect du double insu et les groupes à l’étude comparables. La standardisation de la quantité d’eau sucrée utilisée est une autre qualité de cette étude. La principale faiblesse de la méthodologie repose sur le choix de l’échelle de douleur, pour laquelle les auteurs nous fournissent un seul article de référence faisant état des valeurs psychométriques. La concordance interne de l’échelle calculée par le coefficient de Cronbach est de 0,93 avec 182 observations, et la concordance interobservateurs est de 0,92, mais avec seulement 58 observations. Par ailleurs, cette échelle de mesure n’est pas citée dans un article 1 qui évalue les échelles de douleur les plus utilisées. De plus, 17 % des participants n’ont pas fait l’objet d’une analyse (effectuée selon le respect de l’algorithme); ils ont été exclus après la randomisation sans que l’on précise leur groupe d’appartenance. Mise en perspective selon l’état des connaissances Cette étude apporte des résultats nouveaux puisque peu d’études jusqu’à présent ont été en mesure de démontrer l’efficacité de l’eau sucrée chez les bébés, dont l’étude canadienne 2 effectuée en Alberta et publiée en juillet 2007 dans le BMC Pediatrics où le sucrose avait été utilisé comme analgésique lors de ponctions veineuses. Dans la deuxième édition du Dictionnaire de thérapeutique pédiatrique Weber3, l’utilisation du saccharose comme analgésique lors de la vaccination n’est nullement mentionnée; on suggère plutôt au clinicien d’utiliser l’acétaminophène pour la fièvre et la douleur postvaccination. Des études de plus grande envergure et comparatives avec un analgésique usuel devront être réalisées. Contribution à la prise de décision clinique L’utilisation de saccharose lors de la vaccination de 2 et 4 mois semble une avenue prometteuse pour diminuer la douleur. Références Crellin D, Sullivan TP, Babl FE, O’Sullivan R, Hutchinson A. Analysis of the validation of existing behaviorial pain and distress scales for use in the procedural setting. Pediatric Anesthesia, 2007. Curtis SJ, Jou H, Ali S, Vandermeer B, Klassen T. A randomized controlled trial of sucrose and/or pacifier as analgesia for infants receiving venipuncture in a pediatric emergency department. BMC Pediatrics, juillet 2007. Turgeon J, Bernard-Bonnin AC, Gervais P, Ovetchline P et Gauthier M. Dictionnaire de thérapeutique pédiatrique Weber, 2e édition, Édition Gaëtan Morin, 2008. Vous voulez rÃ©pondre efficacement Ã vos questions cliniques ? Vous dÃ©sirez apprÃ©cier de faÃ§on critique la qualitÃ© de lâinformation scientifique ? 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