Le réseau en région après le PL 10: «Comme Desjardins qui ferme ses succursales»

L’hypercentralisation, prônée par le projet de loi 10, aura des effets néfastes pour les régions, entraînant une perte des services de proximité. C’est ce que prédit le Dr Réjean Hébert, professeur titulaire au département d’administration de la santé, de l’Université de Montréal. «Les CISSS vont rechercher les masses critiques, ce qui va mener à la fermeture de points de services, tout comme Desjardins avec ses succursales.»Cette centralisation de la main d’œuvre, poursuit-il, va accentuer les pénuries en région, «avec pertes d’expertises locales, pertes économiques et dévitalisation des territoires, là où l’hôpital est souvent le plus gros employeur».Le Dr Hébert, ex-ministre de la Santé, participait à un récent séminaire portant sur les implications du projet de loi 10 modifiant l’organisation et la gouvernance du système de santé au Québec. Un événement organisé à Montréal par l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal (IRSPUM).Rémunération des médecinsSans surprise, les quatre conférenciers invités se sont livrés à un exercice unanime de démolition du projet de loi. Rien ne trouvait grâce à leurs yeux, sinon le constat qu’il y a nécessité de changer les choses ou, comme l’a dit en caricaturant Damien Contandriopulos, chercheur à l’IRSPUM: «On est mauvais, comme système de santé. Juste aller dans la moyenne, ce serait déjà une amélioration.» Il faut préciser que la santé publique se trouve dans la mire des compressions budgétaires du ministre Barrette, ce qui contribue aussi à créer un climat d’inquiétude et d’aigreur.Quand on lui a demandé ses suggestions au ministre Barrette pour améliorer le système de santé, Réjean Hébert a mentionné trois points:Mieux contrôler la rémunération des médecins. «Depuis deux ans, on leur a accordé deux milliards de plus sans aucune augmentation de leur productivité. C’est deux milliards jetés à l’eau.»Mieux contrôler le coût des médicaments.Recentrer le système, non sur l’hôpital, mais sur la communauté, les services de proximité.Les médecins sont sur la défensive, a-t-il précisé par la suite à Profession Santé. «Il faut qu’ils soient plus imputables de leurs actions.»D’un côté, a-t-il expliqué, le ministre Barrette utilise son projet de loi comme base de négociations avec les médecins. «Je n’ai jamais vu ça, au Québec!» De l’autre, ajoute-t-il du même souffle, «les médecins ne livrent pas la marchandise et il faut qu’ils soient imputables. Leur mode de rémunération à l’acte doit changer, car c’est devenu un anachronisme. Il n'y a qu'au Québec ou au Canada que les médecins à l’hôpital ne sont pas payés à salaire. Même aux États-Unis, ils le sont.»Mine d’or pour consultantsL’ex-ministre Hébert se dit par ailleurs inquiet du peu d’adhésion des gestionnaires au projet de loi 10. Il déplore également que le coût d’implantation ne soit pas estimé. «Le gros problème, c’est la transition. On va reproduire des silos, rien ne va bouger, mais on peut déjà prévoir une mine d’or pour les consultants. Les entreprises de consultants vont être florissantes pour faire des plans stratégiques, accompagner les conseils d’administration dans la réforme…»Le ministre Barrette parle de 200 millions $ d’économie, avec son projet de loi. «Quand j’étais ministre, nous avons coupé 450 millions dans l’administration.»Le projet de loi 10 a été concocté par un nombre restreint de politiciens, souligne le Dr Hébert. «Habituellement, c’est concocté par la voie administrative et le ministère met ses orientations. Mais là, tout s’est fait sans input de la voie administrative.» Pas de consultations préalables non plus, dit-il, «sauf une commission parlementaire bâclée, où le ministre Barrette est resté hermétique».«Il y a tellement de cynisme»Lors du séminaire, on a relevé un grand paradoxe: la santé n’est pas un enjeu électoral, alors même qu’elle constitue, d’après les sondages, la préoccupation première des Québécois. «Il n’y a pas de débat de société qui devrait se faire en campagne électorale», note le Dr Hébert.Page 1/2Tant au fédéral qu’au Québec, poursuit-il, aucune campagne ne se gagne ou ne se perd autour du thème de la santé. Et pourquoi en est-il ainsi? «Il y a tellement de cynisme que la population a jeté l’éponge. C’est une catastrophe et ça me heurte. Un tel climat permet l’émergence de quelqu’un qui prend le pouvoir…»«Je crois vraiment que le ministre veut changer les choses, pas juste pour le pouvoir», a nuancé Damien Contandriopoulos. «Le ministre Barrette voit bien qu’il n’y a pas de lien entre les professions de la santé, pas de lien non plus entre la première ligne et le reste. Il veut améliorer la collaboration entre tout ça.»Fusionner n’est pas coordonner A-t-il cependant la bonne façon de procéder? Non, répond le chercheur, les études montrant que les fusions administratives à grande échelle ont des effets «allant de nuls à négatifs». «Ce n’est pas parce qu’on fusionne qu’on coordonne mieux», ajoute-t-il.Damien Contandriopoulos a évoqué une étude américaine liant des réorganisations administratives forcées à une hausse de mortalité post-chirurgicale. Et puis, il voit bien peu de choses claires dans le projet de loi, «mais beaucoup est mis dans les règlements et les pouvoirs discrétionnaires».Ce que le ministre Barrette veut faire en hypercentralisant les choses, l’Alberta l’a fait en 1994, a rappelé François Béland, chercheur à l’IRSPUM. Puis, il a fallu faire marche arrière. Paul Lamarche, chercheur, relève de son côté «le discours populiste» autour de la notion de bureaucratie. «Si bureaucratie égale gaspillage, d’accord. Mais, il faut aussi de la bureaucratie en appui au clinique. Plus tu distances la réalité du preneur de décisions, comme le fait le PL 10, plus tu devras multiplier les rapports. Je suis sûr que le nombre de fonctionnaires va augmenter.»Centré sur l’hôpitalS’il parle beaucoup de structures, le projet de loi 10 ne dit pas grand-chose de l’amélioration des soins aux patients. «Sinon pour dire qu’on centre tout sur l’hôpital. Comme en 2004, avec les fusions, où la médecine à domicile et l’hébergement étaient les parents pauvres», lance le Dr Hébert. «Et bien là, il faudra rajouter dans cette catégorie tout ce qui ne rentre pas dans une vision d’hôpital, soit la jeunesse, les clientèles défavorisées, la déficience physique, intellectuelle, etc.»L’ex-ministre croit que la réforme se soldera par un transfert de bureaucratie des anciennes agences vers le MSSS, avec plus de risques d’interférences politiques et d’arbitraire. Les fusions font augmenter le nombre de bureaucrates, insiste-t-il, ça se vérifie autant en santé que dans le monde municipal. «On aboutit à une organisation monstrueuse où les cadres prolifèrent plus que le personnel clinique.»«Est-ce que, parce que la structure est plus grosse, ça coûte moins cher? Le postulat d’économie d’échelles du ministre Barrette n’est pas prouvé par l’expérience des CSSS», fait observer Paul Lamarche. Selon lui, le projet de loi s’inspire plutôt «d’une vision mécanique de la réalité, d’une vision d’hier.»Objectif: privatiser?Enfin, une question, lancinante, a été évoquée à titre d’hypothèse. «Et si l’objectif non écrit de ce projet de loi était de préparer le terrain à la privatisation? D’organiser l’échec du public pour faire rentrer le privé?», demande Paul Lamarche.«Il faut faire la distinction entre la prestation des services et le financement du système. Je crois que le gouvernement du Québec veut garder le financement public, a précisé François Béland. Du côté du gouvernement Harper, c’est moins sûr.» On a aussi évoqué les 50 grosses cliniques privées que veut construire le gouvernement. «Ça va coûter cher, c’est la vraie catastrophe», a indiqué le chercheur.Parmi l’assistance, le Dr Alain Poirier, de la santé publique, a demandé pourquoi le Québec n’avait plus de Politique de santé et de bien-être. «Il n’y a pas d’appétit politique pour une politique de santé, au-delà du cynisme ambiant. Je sens du chiâlage, mais pas de volonté d’imaginer une prestation de services différente», a répondu le Dr Hébert.«Une politique de santé, pour quoi faire? Elle contiendrait un quart de bons sentiments, autour de la prévention et autre, et les trois quarts placés sous l’agenda des groupes d’intérêts», a affirmé Damien Contandriopoulos. «Un système de santé pris en otage par les groupes d’intérêts, ce n’est pas nouveau. L’ex-ministre Rochon en parlait déjà en 1988.»«Il faudrait moins regarder les structures que les acteurs du réseau. Il faut s’arranger pour aligner les intérêts de tous», indique Paul Lamarche. Dans cet alignement des intérêts, ajoute-t-il, il est clair que le paiement à l’acte des médecins est incompatible avec l’atteinte des objectifs en santé.Le séminaire s’est conclu sur la «question de l’avenir», telle que posée par Damien Contandriopoulos, en ces temps de réforme. «Que faire maintenant pour bien fonctionner dans un système de santé dysfonctionnel? »Page 2/2

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