Le pionnier de l’implant cochléaire au Québec s’éteint avec l’AMM

Ce médecin spécialiste qui avait été fait Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2004 laisse derrière lui une œuvre et un héritage immense. Durant sa longue et riche carrière, il a redonné l’audition à plus de 1 000 patients, incluant des enfants, et été à l’origine du Centre québécois d’expertise en implant cochléaire où près de 3 000 chirurgies d’implantations cochléaires ont été effectuées à ce jour. Dans une entrevue qu’il avait accordée à L’actualité médicale en 2008 après avoir obtenu un Prix de médecin de cœur et d’action, le Dr Ferron nous avait raconté son parcours et son choix de carrière. À l’école primaire, avait-il affirmé, il était cancre. Le film «Le grand patron», qui portait sur un médecin, avait changé sa destinée en l’amenant à s’orienter en médecine. Durant sa formation, il avait songé à la psychiatrie, mais y avait renoncé car il voulait réaliser des chirurgies. L’un de ses oncles éloignés était ORL. Il s'en était inspiré. Le Dr Ferron avait des aptitudes physiques. Il était ambidextre et il aimait travailler au microscope. Et il avait aussi en lui le désir profond de redonner aux gens un sens capital dont ils étaient privés: l'audition. Cette compassion, qui devrait être la qualité première d'un médecin, disait-il à ses résidents, s'était manifestée dès le début de sa pratique au Centre de l'ouïe et de la parole de l'Hôtel-Dieu de Québec. Le sort des enfants prisonniers du silence l’avait beaucoup touché. «Le message verbal est ce qu'il y a de plus important, nous avait-il dit. Quand j'ai été en contact avec ces jeunes qui ne pouvaient pas entendre, je me suis dit qu'il fallait trouver une façon de les aider à sortir de leur surdité pour leur permettre de s'intégrer à la société.» La solution, un implant cochléaire La solution est venue d'un implant cochléaire, un appareil qu'il avait découvert lors de voyages à l'étranger. Il s'était dit qu'il serait capable de réaliser cette intervention à Québec, mais l'argent manquait. En 1983, il a mis sur pied avec sa femme, Francine Carmichael, la Fondation du Québec pour la recherche sur l'implant cochléaire. Sa conjointe l’a fait grandir et dirigée pendant 25 ans jusqu’à ce que le ministère de la Santé décide de prendre en charge les implants cochléaires. Dans une autre entrevue qu’il nous avait accordée en mai 2014, le Dr Ferron était revenu sur cette technologie qui, au début des années 1980, n’était disponible qu’aux États-Unis, en Australie et en France. Il s’était rendu dans ces trois pays dans l’espoir de mettre la main sur un de ces appareils, mais ni les Australiens ni les Américains n’avaient accepté de lui en céder un. Un collègue parisien avait consenti à le faire et lui avait vendu un implant au coût de 24 000 $. Il avait mis l’appareil, alors volumineux, dans ses bagages et l’avait rapporté au Québec sans aviser Santé Canada... Un adulte qui avait perdu l’audition s’était porté volontaire pour devenir le premier Québécois à bénéficier de cette avancée spectaculaire en médecine. Le Dr Ferron lui installa en 1984 avec succès. La roue était lancée au Québec et au Canada et ne devait plus jamais s’arrêter. Les enfants du couple René Simard et Marie-Josée Taillefer, Olivier, sourd profond, et Rosalie, en voie de le devenir, reçurent chacun un implant à l’âge de quatre ans du Dr Ferron. Olivier lui avait dit qu’il lui avait sauvé la vie. Son plus jeune patient dans toute sa carrière avait cinq mois, et le plus âgé, 91 ans. Son plus grand bonheur en tant que médecin? «Voir les yeux de mes patients quand ils entendent pour la première fois. Il m'est arrivé de pleurer en voyant leur réaction», avait-il confié. Départ de l’hôpital à 71 ans À 70 ans, il posait encore des implants d’une main sûre et ferme, mais à 71 ans, après avoir pris soin de former sa propre relève en ORL, il a décidé d’abandonner son poste de chirurgien à l’Hôtel-Dieu pour le laisser à un plus jeune. Le deuil de l’hôpital a été difficile à faire, car il aimait énormément le milieu hospitalier. Chaque matin, se rappelait sa femme, il quittait la maison pour l’hôpital avec le sourire. Il a tout de même poursuivi sa carrière durant plusieurs années en faisant de la consultation quelques jours par semaine dans une clinique de Québec. Il a réduit progressivement le rythme pour prendre sa carrière à l’âge de 76 ans, même s’il était encore en pleine forme physiquement et mentalement. Rattrapé par la maladie à 80 ans Toutefois, à 80 ans, il a commencé à éprouver les symptômes d’une maladie cognitive. Un an plus tard, il a reçu le diagnostic de trouble neurocognitif majeur mixte. Selon son épouse, la pandémie a contribué à son déclin. Chaque semaine, il se rendait à une journée organisée par la Société Alzheimer de Québec. Du jour au lendemain, cette activité s’est arrêtée, ce qui l’a affecté. Il a régressé sur les plans physiques et cognitifs. Il savait en outre ce que l’avenir lui réservait; son père ainsi que deux de ses frères avaient souffert de la maladie d’Alzheimer avant lui et un troisième en était atteint. Il y a deux ans, le gériatre qui lui avait livré son diagnostic avait d’ailleurs indiqué assez froidement lors de leur première rencontre qu’il n’y avait aucune guérison possible et que la seule issue à sa condition était la mort. Plus tard, il a dit à son épouse qu’il ne voulait pas traverser ce qu’avaient vécu son père et ses frères et qu’il ne voulait pas lui faire subir à elle. Même s’il savait son combat sans issue, il était tout de même resté positif, explique son épouse. Ses six derniers mois ont été difficiles, mais il n’est jamais tombé dans la dépression, ajoute-t-elle. Ce n’était pas dans sa nature. Il demande l’aide médicale à mourir Le 22 mai dernier, il a appris qu’un changement apporté à la loi fédérale permettait l’AMM pour des gens souffrant de sa forme de maladie et il a décidé d’entreprendre rapidement les démarches pour l’obtenir. Il était aussi résolu dans sa décision, son choix et sa détermination qu’il l’avait été durant toute sa carrière de médecin. Il s’est écoulé un peu plus d’un mois entre sa décision et l’acte, un délai qu’il a trouvé long. Quand le Dr Alain Naud était allé le rencontrer une première fois, il lui avait confié: «Vous me diriez que ce serait demain et ce serait correct.» Comme beaucoup de patients qui doivent recevoir l’AMM, il aurait souhaité que les choses se fassent rapidement. La veille de son départ, lors de leur dernier souper, sa femme lui a dit: «Pierre, change d’idée, ne le fais pas.» Il l’a regardée et lui a répondu tout doucement: «Non, je ne changerai pas d’idée.» Comme il aurait été long pour lui d’avoir une place à l’hôpital, il avait été déterminé qu’il recevrait l’AMM à la maison. Sa dernière nuit, il a dormi paisiblement. Il était en paix avec sa décision. Au matin, il a déjeuné normalement, puis est allé prendre sa douche. Pendant le repas, sa femme lui a dit: «Te rends-tu compte que c’est la dernière fois que l’on mange ensemble?» Il lui a pris la main et l’a regardée. Il savait. Le Dr Naud est arrivé vers 13h15. L’épouse du Dr Ferron a constaté une similitude entre les deux médecins. «Je trouve que Pierre et le Dr Naud avaient une belle connexion. Il y avait quelque chose dans leur pratique qui se ressemblait, cette humanité, cette complicité avec leurs patients.» À un moment, le Dr Ferron a regardé son collègue. Le Dr Naud lui a dit: «Vous êtes prêt?» Il a répondu par l’affirmative et s’est levé rapidement de son fauteuil comme il ne l’avait pas fait depuis des mois et s’est dirigé vers sa chambre. Il s’est étendu sur le grand lit, sa femme à ses côtés. Ses derniers mots ont été à son épouse: «Je t’aime». Elle lui a répondu «Je t’aime» et il s’est éteint rapidement et en douceur. Ses funérailles ont été célébrées samedi dernier à Québec. «Je dis toujours que Pierre a changé le monde de la surdité au Québec. Il était visionnaire et précurseur», dit Francine Carmichael, qui en entrevue nous a fait le récit touchant de ses dernières années et de ses derniers jours. Plus de 1 000 personnes dont il a transformé l’existence en leur donnant ou redonnant l’audition peuvent en témoigner.

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