Le Dr Marcel Cadotte et les 375 ans de Montréal: «finissons le CHUM au plus vite!»

Le Dr Marcel Cadotte, 81 ans, pathologiste et gestionnaire médical retraité, est féru d’histoire. Particulièrement celle de Montréal. Son récent livre – Lisez, mes petits-enfants, ce dont je me souviens… (Éditions Rugande Marcel Cadotte, Mont-Tremblant, 2016) – est aussi prétexte à parcourir un demi-siècle de médecine au Québec. Entrevue.L’année 2017 marque le 375e anniversaire de Montréal et de son Hôtel-Dieu. Vos réflexions à ce chapitre ? Le Dr Marcel Cadotte, pathologiste et gestionnaire médical retraitéFondé par Jeanne Mance peu après la naissance de la ville, l’Hôtel-Dieu a toujours été là où étaient les besoins des malades. Aujourd’hui, ils proviennent en grande majorité de l’est de la ville, et au départ, c’était dans l’Est que nous voulions construire un nouvel hôpital. Je ne veux pas refaire l’histoire, la décision ayant été prise de créer un CHUM unique au centre-ville. Finissons-le au plus vite et commençons à y travailler. C’est une chance unique dans une vie de construire un hôpital selon des normes modernes et les demandes des différents départements.Comment voyiez-vous l’arrivée du CHUM ?En tant que président du CMDP de l’Hôtel-Dieu dans les années 1990, j’ai vécu tous les bouleversements, les promesses gouvernementales non tenues, les difficultés de fusion des divers hôpitaux du CHUM. Mais je trouvais plutôt saine l’émulation qui régnait entre les trois hôpitaux francophones (Hôtel-Dieu, Notre-Dame, Saint-Luc), pour la recherche, l’enseignement et la clinique.Quant aux pierres, on pouvait les sauver en transformant le site de l’Hôtel-Dieu en un centre d’hébergement pour aînés, avec accès aux magnifiques jardins. S’il devait être transformé en condos au lieu de desservir la population vieillissante et pauvre du centre-ville, j’en serais attristé.Comment évaluez-vous l’évolution de la pratique médicale ?La médecine a évolué en un demi-siècle, mais la société aussi a profondément changé. Jamais par exemple je n’avais entendu l’expression « qualité de vie » avant les années 1990. Je n’ai jamais eu à quitter l’hôpital pour aller chercher mes enfants, mon épouse s’en occupait. C’était une autre époque, et nous pouvions nous charger des tâches administratives, du travail des divers comités, le soir après le temps clinique. C’était comme ça. La transformation sociale a du bon, mais elle a aussi entraîné une moindre disponibilité des médecins, notamment pour le travail médico-administratif.Qu’en est-il de la sacro-sainte autonomie professionnelle tant évoquée par les médecins ?Elle ne signifie certainement pas, pour un docteur, faire ce qu’il veut quand il veut. Jamais un médecin, travailleur autonome, ne doit oublier qu’avec les droits et privilèges viennent aussi les devoirs. Certains tendent parfois à l’oublier, mais la grande majorité s’y soumet, heureusement. Comme directeur des services professionnels, j’ai constaté qu’il y a toujours moyen de s’entendre pour répartir au mieux les tâches entre médecins. Et j’ai aussi vu qu’un docteur qui commence à faire de l’urgence vers 30 ans est épuisé à 50 ou 55 ans. Il lui faut alors faire autre chose.Le statut du médecin n’est-il pas en soi ambigu ?Il l’est en effet. Pour caricaturer, c’est un employé de l’État sans être un employé de l’État, mais payé par lui. Nous tous, médecins et patients, nous évoluons aussi dans un milieu confus, avec CLSC, GMF, cliniques réseau, cabinets de médecins. Allez donc demander au patient de démêler tout ça !Quand j’ai commencé ma pratique par ailleurs, beaucoup de médecins exerçaient à l’hôpital. Puis on les en a fait sortir pour les diriger vers les cabinets privés. Ce va-et-vient hôpital/hors hôpital est beaucoup fonction des priorités du ministre de l’heure.Pathologiste dans un hôpital universitaire, vous avez terminé votre carrière comme DSP en région. Votre constat ?J’ai vu combien la médecine générale y joue un rôle majeur, déployant sa polyvalence sans avoir toujours le soutien des spécialistes. Selon la gravité des cas, il s’agit de stabiliser le patient puis de négocier son transfert vers un hôpital universitaire ou de soins tertiaires. La médecine générale demanderait à être mieux connue et reconnue, y compris par les médecins spécialistes.Qu’en est-il de l’image sociale du médecin aujourd’hui, selon vous ?Elle s’est nettement dégradée, c’est indéniable. Quand j’ai commencé en 1962, la prêtrise, la médecine et le droit figuraient en haut de l’échelle sociale. Avec le temps, les médecins ont été de plus en plus jalousés, y compris par les autres professions de la santé. Le médecin est pourtant le mieux placé comme chef d’orchestre, pour autant qu’il sache travailler avec les autres. Comme DSP, j’ai beaucoup collaboré avec les pharmaciens par exemple, surtout en oncologie. Certains hôpitaux acceptaient également qu’un pharmacien soit de garde à l’urgence. Toutes les professions doivent s’entendre pour le bien du patient, et je crois sincèrement que c’est possible.Lors d’une fête à Mont-Laurier il y a quelques années, je me suis rendu compte que j’avais enseigné à 20 des 27 médecins présents. Dans plusieurs cas même, j’ai enseigné à deux générations de médecins, le père ou la mère, et la fille ou le fils. Cela me réjouit grandement, et je suis toujours convaincu que la médecine est la plus belle profession au monde.Cancer de la prostate en 2000, deux pontages en 2009 : être médecin a-t-il fait de vous un meilleur patient ?Sûrement pas ! Moi qui n’avais aucun facteur héréditaire, mangeais raisonnablement bien, faisais régulièrement du sport, je suis tombé malade. Je n’avais aucun facteur de risques donc, sauf le stress, d’après ce que m’a dit le cardiologue. Le stress de gérer des médecins !Comme malade, jamais je ne me suis servi de mon titre de médecin pour tirer des avantages lors d’une hospitalisation, par exemple. J’ai un suivi tous les quatre mois avec mon médecin traitant, et je passe quand c’est mon tour.Montréal a 375 ans en 2017. La statue de Jeanne Mance devant l’Hôtel-Dieu doit-elle suivre le nouveau CHUM ?Non, elle doit rester là où elle est, selon moi. Via la Société historique de Montréal, que j’ai présidée de 1978 à 1980, nous avons mené diverses recherches sur Jeanne Mance*. Ces travaux ont contribué, avec d’autres, à rétablir sa juste place dans l’histoire de Montréal et à la faire reconnaître cofondatrice de la ville, au même titre que Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve. Au-delà des festivités entourant le 375e anniversaire de Montréal, l’année 2017 doit aussi nous permettre de mesurer tout le chemin parcouru en matière de soins au fil des siècles au Québec.* A aussi écrit sur la médecine amérindienne, les maladies des marins de Jacques Cartier, les grandes épidémies au Québec au 19e siècle, la santé publique et la tuberculose.

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