Le Dr François Reeves s'oppose au tracé de l'oléoduc Énergie Est

Sur invitation du maire de Laval, le cardiologue environnemental François Reeves a récemment pris part à une soirée réunissant des opposants au projet d’oléoduc Énergie Est. Le médecin et auteur de Planète cœur: santé cardiaque et environnement y a pris la parole avec Patrick Bonin, de Greenpeace. Entrevue.P.S.: Pourquoi êtes-vous opposé au projet d’Énergie Est?F.R. : La première raison tient au tracé retenu dans la région de Laval. Je connais ce secteur à fond, car j’habite Laval. Je sais que lorsqu’il y pénurie d’eau dans la rivière des Mille-Îles, tout Laval s’en ressent. La rivière est alimentée par le lac des Deux-Montagnes, où je fais de la voile depuis l’âge de 16 ans. Entre le lac et son principal affluent, la rivière des Outaouais, se trouve le barrage Carillon. Or, Énergie Est veut faire passer le pipeline tout juste derrière le barrage.P.S. : Quels risques craignez-vous?Le projet d'oléoduc Énergie Est devrait transporter environ 1,1 million de barils de pétrole par jour, de l’Alberta vers les raffineries du Nouveau-Brunswick, en passant par le Québec.F.R. : Si ça brise, et ça va briser, on va contaminer le lac des Deux-Montagnes, qui forme un plan d’eau absolument fabuleux. On va souiller d’un seul coup la villégiature, les plages et le parc naturel d’Oka, ainsi que la rivière des Mille-Îles et la rivière des Prairies. Toutes les prises d’eau seraient foutues. Vous imaginez la crise d’eau potable ahurissante qui pourrait s’ensuivre dans les trois L: Laval, Lanaudière et les Laurentides? Ce n’est pas acceptable que l’oléoduc passe à cet endroit. C’est un secteur qu’il faut protéger, pas mettre en péril.P.S. : D’où vous vient cette certitude que l’oléoduc va se briser et se déverser?F.R. : Un oléoduc finit toujours par se briser à un endroit ou à un autre. C’est une question de temps. Dans les villes, on perd 50% de l’eau dans les canalisations. On n’est jamais capable de prévoir où les bris vont se produire. Il y là une notion de risques. Si tu ne veux pas que ça survienne, tu ne le construis pas là. C’est comme le projet d’extraction de pétrole Old Harry dans le Saint-Laurent. Le bris et le déversement de pétrole survenus dans le golfe du Mexique devraient nous avoir donné une leçon. Tu ne vas creuser en pleine eau.P.S. : Seriez-vous favorable à un autre tracé de l’oléoduc qui ne menacerait pas le lac des Deux-Montagnes et les rivières des Milles-Îles et des Prairies?F.R. : On ne se mettra pas la tête dans le sable. Les Québécois consomment 15 milliards d’essence par année. Même si je fais partie d’un comité aviseur du ministère de l’Environnement sur la réduction des gaz à effet de serre, je me dis qu’on pourrait acheter canadien plutôt qu'aux pays de l’OPEP. Ce pétrole albertain serait transporté par train, par bateau ou par oléoduc. Un oléoduc causerait moins de gaz à effets de serre. Est-ce que je serais plus réceptif si le tracé d’Énergie Est était beaucoup plus sécuritaire et que les dommages étaient plus limités en cas de déversement? Oui, je serais «parlable». Mais en même temps, je me dis que si on crée un oléoduc, c’est qu'on veut faire croître la production de pétrole. Est-ce aller dans la bonne direction? C'est dans les énergies vertes que se trouve l’argent à court et moyen termes.P.S. : Sur un autre plan, assisterez-vous à la Conférence de Paris sur les changements climatiques, en décembre prochain? F.R. : Oui, je n'y serai pas en tant que délégué du ministère de l’Environnement, mais en tant que représentant de la société civile. Le dernier Lancet Commission sur la santé et les changements climatiques, fait un survol des constats en 2015. Sa conclusion est que l’environnement représente la plus grande urgence médicale du 21e siècle, et si on ne bouge pas, les répercussions engendrées par la pollution (sécheresse, incendies, inondations, montée des eaux et érosion des berges) entraîneront la perte de tous les gains en santé publique des 50 dernières années. On y lance d’ailleurs un message aux médecins, à savoir que nous ne sommes pas là uniquement pour donner des pilules, mais aussi pour influencer la qualité du milieu de vie et de l’environnement.P.S. : Êtes-vous confiant concernant l’issue des travaux et la conclusion d’un accord?F.R : Le fait que les États-Unis et la Chine soient sur la voie d’une entente, c’est très gros. Ces deux pays pourraient entraîner le reste de la planète dans leur sillage. C’est là-dessus que je fonde le plus d’espoir. Je vais tout de même reprendre une phrase de quelqu’un que j’aime beaucoup, Hubert Reeves (son oncle, ndlr): «L’important n’est pas d’être optimiste ou pessimiste, mais d’être déterminé.» Il a aussi dit que «le 21e siècle sera vert ou ne sera pas». Autre belle citation de lui: «Nous menons une guerre à la nature. Si nous gagnons, nous sommes perdus».

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