Le Conseil du statut de la femme choisit l’accès, quoi qu'il en coûte aux femmes médecins

Les femmes médecins attendaient le soutien du Conseil du statut de la femme. Ces derniers mois, plusieurs avaient d'ailleurs contacté l’organisme féministe par courriel afin qu'il prenne position. Pourtant, lors de l'audition du CSF en commission parlementaire sur le PL 20, elles ont plutôt reçu un désaveu. En effet, après nombre de discussions à l’interne, le CSF a décidé de défendre l'accès des femmes et des hommes malades plutôt que d'appuyer les femmes médecins.«On a des intérêts contradictoires de deux groupes de femmes, et, comme Conseil du statut de la femme, en 2015, on essaie d'arbitrer ou de voir quel est l'intérêt dominant ou le plus important ou le plus pressant, et, de notre point de vue, c'est l'intérêt des femmes malades» a précisé Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme. Évidemment, Gaétan Barrette jubilait devant le fait que la présidente du CSF ne voit pas le projet de loi 20 comme une attaque contre les femmes médecins.Toutefois, Julie Miville-Dechêne l’a remis à sa place en lui faisant poliment remarquer que, «clairement, elles vont être plus défavorisées par [le] projet de loi que les hommes médecins».L’organisme féministe préférerait, comme c’est le cas dans d’autres régions du monde, notamment dans les pays scandinaves, que l'idée de travailler moins d'heures par semaine soit la norme pour des parents. «Mais on n'est pas là, au Québec», a-t-elle dit. Le CSF a donc dû se résigner à ne pas prendre parti «pour une petite portion de la population» qui «gagne de bons revenus».Poussée dans ses retranchements à ce sujet par l’opposition, la présidente a justifié sa position: «Les malades sont moins bien organisés, s'expriment moins, n'achètent pas de pleine page dans les journaux. Donc, c'est pour ça qu'on trouvait important, nous, ici, de venir parler des femmes malades.»Néanmoins, concernant les difficultés d’accès, Julie Miville-Dechêne a refusé de faire porter l’odieux aux femmes médecins. Quand Gaétan Barrette lui a demandé son avis sur l'instauration de la parité hommes-femmes dans les facultés de médecine (une proposition que lui auraient faite plusieurs femmes médecins), la présidente a indiqué que cela ne résoudrait pas la problématique. «Si on commence ça, c'est le début de la fin», a-t-elle affirmé.La position du CSF est en effet des plus claires à ce sujet. «De la même façon que les hommes ne se sont jamais fait interdire d'être à 95 % dans telle ou telle profession, il n'y a aucune raison que les femmes se voient interdire de dominer en termes de chiffres.»Pour une prise en charge réelle des patients maladesConcernant le projet de loi 20, le CSF estime qu’en raison du problème d’accès «criant», le statu quo est inacceptable, et que le gouvernement doit donc agir:- en exigeant la prise en charge réelle d’un certain nombre de patients;- en proposant des incitatifs pour modifier les pratiques, notamment avec ce qu'elle appelle l'accès ouvert aux médecins de famille, surtout pour les patients les plus vulnérables.Lors des débats, elle a précisé ce qu’elle entendait par une prise en charge réelle de la part du médecin: «Ça veut dire qu'on peut le voir, en tout cas de la façon dont on le comprend, en accès ouvert, c'est-à-dire que, si le patient est malade, on le voit.» Et ce, dans un délai raisonnable, allant de un à trois jours, en fonction du modèle de l'accès ouvert. «Un changement de pratique énorme pour les médecins», selon Julie Miville-Dechêne.Très subtile, la présidente n’a en revanche jamais endossé officiellement dans sa présentation l’idée de pénalité, tout en reconnaissant qu’il y a des changements de pratique à adopter en médecine de famille. «Il est très important que la pondération et la rémunération tiennent compte, ce qui n’est pas le cas actuellement, pas assez en tout cas, de la complexité des cas et de la vulnérabilité des patients», a-t-elle notamment déclaré.Et au cas où le ministre n’aurait pas compris l’allusion, elle a répété: «Il faut rendre plus "payant" de soigner des patients très malades, notamment les patients à domicile.»Quand l’opposition lui a clairement demandé si elle était pour ou contre les pénalités, Julie Miville-Dechêne a eu plus de mal. Elle ne semble en effet pas sûre que les règlements seront applicables, mais seront «en tout cas difficiles à écrire», a t-elle dit. Elle préfèrerait visiblement des incitatifs, s’ils aboutissent à l’effet voulu, mais ne dit pas non à la coercition. «C'est clair qu'on a vu que la médecine... que les médecins réagissaient contre les... leurs revenus sont en cause. Et donc, une des façons de faire changer les comportements et les mentalités est effectivement, entre guillemets, de punir les comportements qu'on ne veut pas», a t-elle fini par lâcher.Bref, pour le CSF, la priorité reste l'accès à un médecin et il est donc évident que les médecins doivent abandonner certaines pratiques, notamment celle des examens périodiques annuels.Pendant la période de débat, elle a confirmé que cela n’avait scientifiquement pas de sens que «certains médecins essaient encore de justifier la prise en charge de leurs patients leur donnant rendez-vous une fois par année pour faire un examen général».Une «opinion» avec laquelle Gaétan Barrette s’est dit entièrement d’accord, et même si cette «prise de position» l’a «beaucoup surpris», elle lui faisait visiblement très plaisir.«Nos réflexions ne sont pas basées sur des opinions, mais des études de 2013 le disent, lui a rétorqué la présidente du CSF. On a aussi des études qui montrent que ce n’est pas parce que l’on voit un patient plus longtemps que cela a un effet sur sa santé, ni parce qu’on le voit plus souvent d’ailleurs!»Julie Miville-Dechêne a aussi fait remarquer à Gaétan Barrette qu’il y a «beaucoup d’inconnus en ce moment dans ce projet de loi».Favoriser les visites à domicileRevenant sur l’accès ouvert et la pondération à la demande du ministre, la présidente a rappelé qu’il ne fallait pas généraliser «quand on parle des femmes médecins. On parle de moyenne parce que des médecins travaillent déjà en accès ouvert et avec les pratiques recommandées» a-t-elle ajouté.Et parmi ces pratiques à valoriser: les visites à domicile. «Il faut que les médecins, comme dans beaucoup d’autres pays au monde, aillent voir les patients qui ne peuvent pas se déplacer. C’est ça la médecine, ça devrait être ça. Ça a déjà été ça!», a rappelé Julie Miville-Dechêne.Une remarque endossée par le ministre, qui a profité de l’occasion pour lancer des fleurs à un CLSC visité avant les Fêtes. «J’ai visité un milieu où on applique cela à la lettre, ce comportement d’accès ouvert et de prise en charge qui est le CLSC Verdun Sud-Ouest en conjugaison avec les activités hospitalières et c’est le modèle pour moi», a-t-il expliqué.Page 1/2Il a aussi précisé que dans ces calculs, il envisageait pour les clientèles très vulnérables (soins palliatifs, fin de vie ou perte d’autonomie, par exemple) des pondérations pouvant aller «jusqu’à 1 pour 25».La présidente a aussi fait allusion aux AMP, lesquelles, estime-t-elle, ont montré l’impact que la rémunération peut avoir sur la pratique des médecins. «On a pu voir qu’alors qu’on voulait leur imposer 12 heures, certains médecins se sont mis à faire 24, 36 heures, tant et si bien qu’à Montréal, les jeunes spécialistes ne trouvent pas de job parfois dans les hôpitaux parce que les médecins généralistes y sont et aiment ça.» Elle a reconnu schématiser avec cet exemple, mais a affirmé que cette approche semble néanmoins importante.Lors de sa présentation, Julie Miville-Dechêne avait aussi notifié au ministre que la pondération devrait prendre en compte plusieurs autres facteurs oubliés du PL20: «le fameux 12 mois de même que les congés de maladie des hommes et des femmes», notamment quand il sera temps de faire les calculs d’assiduité, pour abaisser l’impact du PL 20 sur les femmes médecins.«Il n'est pas question, dans les statistiques, de ne pas prendre en considération les congés de maternité ou congés parentaux, hommes ou femmes », lui a répondu Gaétan Barrette.La féministe et le ministre ont aussi trouvé un terrain d’entente en matière de pondération, là où personne ne s’y attendait: la responsabilité des fédérations dans la situation actuelle.«Le fait que vous donnez une enveloppe budgétaire plutôt énorme aux fédérations, et que toutes ces pondérations sont décidées par la fédération, il me semble qu'il est plus que temps de revoir cela, parce que la fédération me semble parfois en conflit d'intérêt entre l'intérêt du public et l'intérêt des personnes qu'elle représente, c'est-à-dire les médecins», a spécifié Julie Miville-Dechêne.Une affirmation reprise au bond par le ministre qui aimerait bien que l’on parle moins de ses règlements à venir et plus de certaines modalités passablement oubliées en raison de l’accent mis sur le nombre d’heures de travail des médecins.Profession Santé imagine qu’il faisait allusion à l’article 39 de son projet de loi, de fait, une bombe dans son genre, à lui tout seul:« 39. Malgré l’article 19 de la Loi sur l’assurance maladie (chapitre A-29) et toute disposition d’une entente visée à cet article, lorsque le ministre est d’avis que certaines modifications aux conditions et modalités de rémunération applicables aux médecins permettraient d’améliorer l’accessibilité aux services assurés au sens de cette loi et que ces modifications ne peuvent être convenues avec l’organisme représentatif concerné dans un délai qu’il estime acceptable, il peut apporter ces modifications, avec l’approbation du Conseil du trésor.»S’expliquant à ce sujet, le ministre a déclaré: «La problématique des fédérations, c'est que parfois, elles refusent de payer correctement certains profils de pratique, parce que c'est la dictature de la majorité et c'est la problématique du paiement du service à domicile dans des situations de fin de vie, qui sont très, très, très mal payés, et à un moment donné, le ministre doit avoir la possibilité d'intervenir si la négociation ne règle pas le problème, et force est de constater, si vous connaissez des gens qui ont cette pratique-là, que les derniers 15 ans n'ont pas réglé le problème.»Procréation assistée S’exprimant sur le volet de la procréation assistée, Julie Miville-Dechêne a mouché le ministre.«Exiger une période minimale de relations sexuelles pour les femmes dont les trompes de Fallope sont complètement obstruées, pour les femmes célibataires ou pour les couples de femmes. Ça peut être long de faire un enfant quand on est un couple de femmes!» a-t-elle dit dans sa présentation.Beau joueur (après tout le CSF, même si cela est fait à contrecœur, a tout de même donné son appui au PL 20), Gaétan Barrette a reconnu que «peut-être que [leur] texte n'était pas suffisamment clair et il sera clarifié». En revanche, il n’a pas eu le temps de revenir sur les autres critiques du CSF, à savoir la séquence des méthodes de procréation assistée imposée par le PL 20 et la limite de 42 ans pour la FIV.«Il peut y avoir plusieurs parcours dans la procréation assistée, et ce devrait être aux médecins et non au gouvernement de décider du meilleur parcours pour les femmes», a affirmé Julie Miville-Dechêne. «Et nous ne comprenons pas l’interdiction de la FIV pour les femmes de 42 ans et plus. C’est normal que le gouvernement ne veuille pas rembourser cet acte, mais de là à l’interdire…» a-t-elle déploré.Lire le mémoire du Conseil du statut de la femme Page 2/2

Le Conseil du statut de la femme choisit l’accès, quoi qu'il en coûte aux femmes médecins

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes