Le Canada n’a pas assez de médecins pour gérer tous les patients post-COVID-19

Alors que nous apprenons de plus en plus sur les dommages à long terme que laisse le coronavirus, nous devons nous demander : les patients auront-ils les médecins dont ils ont besoin pour les aider ?Les médecins et autres experts travaillant en première ligne ont découvert une nouvelle réalité clinique à travers la pandémie de COVID-19 : certains survivants du virus souffrent de morbidités graves à long terme. Les gens ne font pas que mourir ou survivre à la COVID-19; cette vision limitée devrait être écartée.De nombreux survivants de la COVID-19 ont un syndrome dit « post-COVID » : un tiers des patients COVID-19 dans un système médical de New York ont développé des problèmes rénaux, dont 15 % nécessitant une dialyse. Dans une étude portant sur des patients atteints de formes légère, modérée et sévère, « l’imagerie par résonance magnétique cardiaque a révélé une atteinte cardiaque chez 78 patients [sur 100] et une inflammation du myocarde en cours chez 60 patients, ce qui était indépendant des conditions préexistantes, de la gravité et de l’évolution globale de la maladie aiguë et le temps écoulé depuis le diagnostic initial ».Les experts disent que le Canada est entré dans la deuxième vague et que celle-ci sera pire que la première. Même si nous n’avons que 200 000 Canadiens de plus infectés, cela représenterait un total de 350 000 patients post-COVID-19, beaucoup souffrant de maladies complexes qui requièrent un diagnostic et des soins.À lire aussi: 2e vague: les soins intensifs face à un double défiBeaucoup voient les médecins comme des professionnels qui demandent des examens et prescrivent des médicaments, mais l’une des compétences les plus importantes que les médecins acquièrent grâce à plus d’une décennie de formation médicale et à des milliers d’heures de clinique est la capacité de diagnostiquer les maladies lorsqu’elles sont complexes et même déroutantes. C’est une compétence qui sera absolument nécessaire avec la grande variété d’organes impliqués dans le syndrome post-COVID et une nouvelle gamme de maladies que nous ne comprenons pas encore.Un des dilemmes diagnostiques est le « cerveau embrouillé » (brain fog) rapporté après une infection à la COVID-19. Le Dr Rick Swartz, neurologue spécialisé en AVC à l’hôpital Sunnybrook, en partenariat avec le neuroscientifique de la Western University, Adrian Owen, étudie les impacts spécifiques de la COVID-19 sur la cognition. Ils ont émis l’hypothèse que le cerveau embrouillé de nombreux patients atteints de COVID-19 était corrélé à des déficits cognitifs spécifiques à la suite de lésions cérébrales causées par des AVC silencieux, des effets découlant des soins intensifs tels que les médicaments et l’hypoxie et les impacts cérébraux directs de la COVID-19, tels que l’inflammation cérébrale.Le Dr Swartz se spécialise dans le diagnostic et le traitement des accidents vasculaires cérébraux. Lorsqu’on lui a demandé comment lui et ses collègues géreraient l’afflux de patients post-COVID dont les symptômes ne sont pas encore compris, il a magnifiquement décrit son rôle : « Être un expert, c’est avoir une approche sur la façon d’aller de l’avant quand une telle approche n’existe pas encore. » Il s’agit essentiellement de démêler les symptômes et de les corréler avec des déficits physiques. Lorsqu’on lui a demandé si lui et ses collègues pouvaient gérer le grand nombre de patients attendus, il a expliqué qu’ils avaient travaillé dur pour renforcer la capacité en médecine de l’AVC, y compris de façon virtuelle. Malgré cela, « la capacité est si faible dans le système de prévention des AVC, comme dans de nombreuses spécialités, que cela submergera le système. »Le Dr Swartz avait également des informations préoccupantes sur la durée des problèmes créés par la COVID-19. Il a expliqué que les accidents vasculaires cérébraux silencieux et d’autres formes de lésions cérébrales augmentaient la probabilité de développer de la démence ultérieurement. De plus, comme le virus a été trouvé dans les nerfs, il peut y avoir une réémergence de ce virus plus tard, de la même manière que le virus de la varicelle réapparaît plus tard sous forme de zona.La COVID-19 augmentera la demande pour les neurologues dès maintenant et à l'avenir. Le Canada, avec une population de plus de 37 millions d’habitants, comptait au total 1 080 neurologues en exercice en 2019. Ce chiffre est inquiétant : il n’est pas étonnant que le Dr Swartz et ses collègues aient du mal à aider tous les patients qui en ont besoin aujourd’hui et s’inquiètent de la montée en flèche des cas post-COVID-19.Il y a une pénurie dans toutes les spécialités. La première étude pancanadienne sur le temps d’attente en spécialité publiée en 2020 a en effet conclu que « les patients partout au Canada continuent de faire face à des retards importants lorsqu’ils accèdent aux soins spécialisés. Le temps d’attente médian national pour toutes les consultations en référence (y compris urgentes) était de 78 jours, ou 11 semaines, un patient sur quatre attendrait 175 jours (25 semaines) ou plus pour son rendez-vous avec un spécialiste. Un patient référé sur 10 n’avait aucun dossier de consultation du spécialiste dans un délai d’un an. Nos résultats suggèrent que les temps d’attente pour des soins spécialisés au Canada se sont aggravés ces dernières années. »Le Dr Roland Grad pratique comme médecin de famille et est universitaire à l’Université McGill. Certaines de ses recherches portent sur la façon de former de manière optimale les médecins de famille et d’améliorer leur pratique. Dans un article récent, lui et ses collègues ont discuté de la façon dont la médecine familiale peut répondre à la crise sanitaire de la COVID-19. Ils ont séparé notre réponse à la COVID-19 en trois phases et suggéré un échéancier pour la phase pandémique, une phase secondaire de rattrapage et enfin une nouvelle normalité. « Les médecins de famille doivent donner la priorité aux soins de ceux qui sont malades et réduire leurs activités qui ont moins d'importance », dit-il.Le Dr Grad souligne que de nombreux pays de l’Union européenne ont affecté un médecin de famille à chaque citoyen et que les soins de première ligne sont associés à une répartition plus équitable des résultats de santé. Ils ont également de meilleurs résultats en matière de santé en général.Près de cinq millions de Canadiens n’ont pas de médecin de famille. Pour notre population de 37 millions d’habitants, nous n’avons que 44 584 médecins de famille. Lorsque les patients et les médecins ont signalé des pénuries, le gouvernement a répondu par des arguments creux, pour parler poliment : si nous redistribuions les médecins, tout irait bien. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : redistribuer trop peu de médecins de famille se traduit encore par trop peu de médecins de famille et des patients sans accès aux soins.La Dre Nili Kaplan-Myrth est médecin de famille en Ontario. Elle souligne que son rôle est basé sur les relations et la continuité des soins. Au jour le jour, elle identifie une maladie grave, fournit à la fois des soins de soutien et fait des références à des spécialistes, s’assure que les tests sont faits et que les recommandations des spécialistes pour d’autres références futures sont mises en place. Elle est le centre de soins pour ses patients.La Dre Kaplan-Myrth souligne en outre qu’elle n’est pas financièrement protégée : si elle tombe malade de la COVID-19 et qu’elle est incapable de travailler, les frais généraux de sa pratique la mettront en faillite, car, comme tous les autres médecins au Canada, elle n’a aucun avantage : pas de congé maladie, pas de pension. Si elle ferme son cabinet, ses 1 400 patients n’auront aucun soin.La Dre Jennifer Kwan, une autre médecin de famille de l’Ontario, a joué un rôle important pendant la pandémie, en préconisant l’équipement de protection individuelle et en créant des graphiques et des visualisations de données sur Twitter pour informer les Ontariens des infections, des hospitalisations et des décès liés à la COVID-19.Comme beaucoup d’autres médecins de famille, le cabinet du Dr Kwan est complet. Elle reçoit maintenant plus de demandes de patients qui ont besoin d’un médecin de famille, mais ne peut pas y répondre. « Tout le monde travaille à sa limite. Cela nous donne moins de capacité à nous adapter aux besoins croissants pendant une pandémie. »Ce n’est pas une situation idéale, dit-elle, car les médecins de famille traitent bien les symptômes non spécifiques, effectuent des tests et diagnostiquent en conséquence et identifient les traitements et la prise en charge ultérieurs, et coordonnent les soins avec les spécialistes.La Dre Mamta Gautam est une psychiatre basée à Ottawa, avec une expertise en santé et en leadership médical. Elle a parlé avec des milliers de médecins canadiens pendant la pandémie de COVID-19 et a des observations profondément troublantes. « J’ai parlé à des médecins plus âgés proches de la retraite qui ont décidé de ne pas retourner au travail — soit en raison du risque d’exposition à la maladie, du besoin d’apprendre la technologie et [d’être] dépassés par cela… Les médecins en milieu de carrière constatent une augmentation des exigences de travail, se sentent incapables de faire plus, sont au point d’épuisement et envisagent d’autres options. [Ils] ont encore des années [de travail] à faire et ne peuvent pas suivre ce rythme… C’est une situation effrayante. »« À mesure que le besoin en soins augmente avec les besoins supplémentaires de nos patients actuels ainsi que le besoin supplémentaire des patients atteints de la COVID, le nombre de médecins pourrait diminuer, laissant moins de médecins disponibles pour répondre à ce besoin. C’est une crise qui risque de se produire. »La Dre Gautam a raison : en 2019, le Canada comptait 2,8 médecins pour 100 000 Canadiens. Tandis que la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est de 3,5 pour 100 000.La répartition par âge des médecins est également préoccupante. La plupart des médecins praticiens au Canada ont entre 45 et 64 ans, avec plus de médecins en exercice de plus de 65 ans que de moins de 35 ans. Cela signifie que plus de médecins sont en fin de leur carrière qu’au début, et ce n’est pas le moment d’avoir un grand nombre de médecins qui prennent leur retraite.Pour remédier à la pénurie de médecins au Canada, nous devons identifier les raisons de celle-ci et pourquoi moins de nos jeunes médecins restent au Canada. Il existe de nombreux facteurs, mais le plus important est que le Canada a un problème de rétention. Les États-Unis offrent aux médecins plus d’argent et d’autres pays de l’OCDE offrent des pensions aux médecins travaillant à leur compte, ce qui entraîne des pertes pour nos médecins. En 2016, il y avait aux États-Unis 11 723 médecins formés au Canada et, en 2008, 19 % de tous les médecins formés à l’étranger dans les pays de l’OCDE étaient canadiens. Si nous avions retenu ces médecins, cela contribuerait grandement à aider les patients qui en ont besoin.Des deux options de rétention utilisées, soit payer mieux, comme aux États-Unis, soit utiliser l’outil de rétention à faible coût des pensions, comme d’autres systèmes de santé financés par l’État, je pense que cette dernière est préférable, car elle est abordable et impliquerait de donner un 2 à 3 % d’augmentation des cotisations de retraite, en fonction du revenu. Fera-t-on cela à temps ? J’ai fait une proposition au gouvernement fédéral pour permettre aux provinces de verser aux médecins indépendants des cotisations de retraite que la législation fiscale fédérale leur interdit actuellement de faire. J’attends leur décision. J’ai également fait une proposition à l’Ontario Medical Association qui a été votée par le conseil, mais elle a refusé d’aller de l’avant.Voilà donc ma solution. J’ai passé des décennies à y travailler. Si quelqu’un a une autre solution, je la soutiendrai sans réserve si elle est peu coûteuse et se révélait efficace pour retenir les médecins.Quoi que nous fassions en tant que pays, cela doit être fait rapidement. L’afflux de patients post-COVID-19 sera important et nous leur devons des soins sécuritaires : parce que nous sommes le Canada.La Dre Mary Fernando est médecin à Ottawa.

Le Canada n’a pas assez de médecins pour gérer tous les patients post-COVID-19

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes