L’arbre, l’allié de la santé cardiovasculaire

Le Dr François Reeves est cardiologue d’intervention clinique à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval et au CHUM. En marge de cette première vocation, il s’est engagé il y a six ans dans une voie encore peu connue et peu répandue au Québec, la cardiologie environnementale. Sans vouloir faire de jeu de mot, cette récente branche de la cardiologie établit un lien direct entre l’environnement, les arbres en particulier, et la santé cardiovasculaire.Cet engagement l’a amené à créer en 2008 la « Journée de la terre » durant laquelle des volontaires plantent des arbres autour de milieux hospitaliers et d’établissements de santé. Sans se décrire comme un écologiste, le neveu du célèbre physicien Hubert Reeves consacre maintenant 25 % de sa pratique à la cardiologie environnementale et souhaite s’y investir davantage dans l’avenir. L’actualité médicale l’a rencontré à Québec lors du congrès « Santé et changements climatiques », où il a présenté une conférence intitulée « Santé cardiaque, climat et biodiversité ». Dans quelles circonstances avez-vous découvert la cardiologie environnementale ?Lors de la rédaction de mon premier livre, en 2007, Prévenir l’infarctus. J’avais été amené à lire des articles sur la santé publique puis, de fil en aiguille, sur la santé environnementale. Ce n’est pas le genre de lectures que fait normalement un cardiologue d’intervention. J’y ai pris conscience que la composante environnementale pouvait être importante dans les maladies cardiovasculaires, ce que plusieurs médecins de santé publique savaient déjà. J’ai plongé plus profondément dans le sujet, ce qui m’a amené à rédiger un deuxième livre en 2011, Planète cœur, qui représente un an de recherches et de réflexions sur le sujet.Quelle est l’importance de l’environnement dans la santé cardiovasculaire ?Cette variable est difficile à estimer avec précision. Un épidémiologiste de la Colombie-Britannique, David R. Boyd, a tenté d’établir la contribution de l’environnement aux maladies, au Canada. Il croit que l’environnement jouerait un rôle dans 5000 à 11 000 décès cardiovasculaires et provoquerait entre 33 000 et 67 000 hospitalisations cardiaques. J’ai relevé au moins 500 études dans la littérature médicale qui montrent la relation entre l’environnement et la santé cardiovasculaire. Plus le taux de polluants augmente, plus le taux de calcifications artérielles, d’arythmies malignes et de morts subites, d’infarctus aigus et d’accidents cardiovasculaires est en expansion.Vous n’avez donc rien inventé sur le sujet...Mon seul mérite est d’avoir pris un casse-tête de 500 pièces et de les avoir réunies de façon cohérente afin de montrer que si l’on vit comme un Nord-Américain, c’est-à-dire avec une nourriture très industrialisée et dans un milieu fortement pollué, on augmente de deux, trois, voire quatre fois ses chances de faire un infarctus ou un AVC.Dans vos présentations, vous soulignez que l’arbre est un allié de la cardiologie...L’American Heart Association a fait deux déclarations officielles sur le sujet, pour lesquelles elle a réuni des experts de différents milieux. Ils en sont venus à dire que « smog kills ». Je n’ai pas à convaincre qui que ce soit. Les deux villes laboratoires qui démontrent parfaitement ce phénomène, ce sont Beijing et Shanghai. Les taux d’infarctus y ont été multipliés par quatre et les taux d’AVC par sept, et ce, en une génération seulement. Lorsqu’il y a forte conjonction de chaleur et de smog, 72 % des décès sont causés par des complications cardiovasculaires : infarctus, arythmies, défaillance, etc. À l’inverse, il y a peu de décès dans les zones vertes. Un peuple indigène de Bolivie vit toujours comme il y a 10 000 ans. Ces gens ont peu ou pas de maladies cardiovasculaires.Dans votre conférence, vous faites état d’une étude japonaise montrant la relation entre la forêt et la pression artérielle...Il y a longtemps que les Japonais savent intuitivement qu’être entouré d’arbres a un effet bénéfique sur la santé. D’ailleurs, nous ressentons tous cela quand nous marchons en forêt. L’expression « aller jouer dans le bois » dit bien ce qu’elle veut dire. On y respire mieux, on relaxe. Les Japonais ont mesuré l’effet de marcher en forêt et ils ont constaté que la pression artérielle, la fréquence cardiaque et le taux de cortisol, hormone de stress, diminuent. On voit bien que l’arbre est cardioprotecteur. Depuis 1982, le gouvernement japonais considère comme une mesure de santé publique le shin rin yuku, ou bain d’arbres, en français.Au lieu de prescrire des médicaments, devrait-on inviter les gens à aller marcher en forêt ?J’en suis convaincu. Les sanatoriums d’autrefois respectaient ce principe et étaient construits dans des milieux naturels. Quant à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, il se trouvait en plein bois lors de sa construction. On éloignait les gens malades, particulièrement les tuberculeux, de la pollution atmosphérique du centre-ville. Pour les protéger de cette agression, on les amenait dans des sanatoriums entourés d’arbres. Les médecins qui exerçaient il y a un siècle avaient compris que la qualité de l’air pouvait aggraver ou détériorer la santé. Ils amenaient donc leurs patients dans des milieux naturels.En dépit des effets positifs des forêts et des arbres sur la santé, on fait encore beaucoup de déforestation en 2013, même au Québec.Oui, mais en réaction il y a un mouvement qui s’y oppose et qui a obligé les forestières à agir de façon plus intelligente. Dans les villes, dont Montréal, toucher à un arbre est presque devenu un acte criminel. Certaines villes ont mal géré des secteurs boisés au nom d’intérêts économiques, mais les Québécois sont sensibilisés à l’importance des arbres. Dès qu’on touche à eux, on entend des citoyens protester. Des mouvements d’opposition s’organisent dans des quartiers pour empêcher l’abattage.En 2008, vous avez lancé la « Journée de l’arbre » dans le but de planter des arbres autour des établissements de santé. Quels étaient vos objectifs ?Quand j’étais enfant, le secteur où se trouve l’actuel Hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval était occupé par une forêt et des milieux humides où j’allais jouer. Tout a été détruit pour construire cet hôpital. J’ai donc voulu rebâtir cet environnement naturel. La première année, nous avons planté 500 arbres autour de ce centre hospitalier et des établissements du CSSS de Laval afin de reverdir les terrains. La « Journée de l’arbre » se veut non seulement une fête, mais aussi un prétexte pour passer des messages environnementaux. Et chaque année, elle fait des petits.Où en êtes-vous six ans plus tard ?À ce jour, 1400 arbres ont été plantés près des divers établissements du CSSS de Laval. Cette année, on a planté près des CHSLD Marie-Rollet et Les Quatre Temps, également près de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, et à proximité de trois cliniques médicales de Trois-Rivières. Cent arbres ont aussi été mis en terre à Grand-Mère grâce à la collaboration d’une pépinière, et 300 autres, au CHUS de Sherbrooke pour une deuxième année consécutive. En cinq ans, des milliers d’arbres ont été plantés près d’établissements de santé.Peut-on déjà en mesurer les effets ?Ces arbres constituent un meilleur cadre de vie. Les gens vont pique-niquer à leur proximité plutôt que de « se faire chauffer sur la dalle de béton ». Mon rêve ultime serait que tous les CSSS participent d’une façon ou d’une autre à la « Journée de l’arbre » en tant que symbole de la sensibilisation du milieu clinique à la qualité de l’environnement. Je souhaite aussi que ces plantations se fassent à grande échelle, dans des quartiers défavorisés. Les études ont montré que plus ils sont défavorisés, moins ils sont verts et plus les décès augmentent. À l’inverse, si on reverdit, le pronostic de santé des habitants s’améliore.Déjà, vous réservez le quart de votre pratique à la cardiologie environnementale. Comptez-vous vous arrêter là ? Non. Mon objectif à long terme est d’y consacrer 50 % de mon temps. J’aimerais me lancer dans plus de protocoles de recherche, participer davantage à des congrès pour faire des transferts de connaissances, plus de rédaction et de diffusion. Je voudrais que la Chaire de cardiologie environnementale de la faculté de médecine de l’Université de Montréal ait pignon sur rue et soit dotée d’une équipe. La Chaire a été approuvée par le comité de direction de la faculté, mais elle n’est pas encore titularisée. Il faudrait qu’un mécène sorte deux millions de dollars de sa poche pour la faire vivre !À lire aussi: Changements climatiques et santé - L’INSPQ élabore une formation clinique à l’intention des médecins

L’arbre, l’allié de la santé cardiovasculaire

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